nouvelle Patiente... patiente

Je soupire. Ces vacances m'ont effectivement fait du bien, et le fait que mon projet ait été accepté, tout autant. Je suis extrêmement épuisée par contre. Je n'ai pas arrêté de courir d'un côté à l'autre pour préparer mes affaires, faire préparer celles de Jefferson, régler les papiers, rencontrer et rencontrer à nouveau la direction pour les prises de disposition. Böse n'a toujours pas décidé des personnes qui nous accompagneraient ce qui, en soi, est plutôt malheureux, car j'aurais aimé le savoir, les connaître un peu. Après tout, je vais partager mon quotidien et mes tentatives de recréer une ambiance de vie familiale avec eux. Il faudra qu'ils se prêtent à mes instructions et ne devront pas être butés. C'est pour ça que j'aurais aimé les choisir moi-même, mais ce ne sera pas le cas. Et malgré tous ces préparatifs, je dois continuer de rencontrer mes patients. Enfin, pour le moment du moins. Dans quelques jours je dois aussi rencontrer la personne qui prendra ma place pour la durée de mon séjour à l'extérieur. Une semaine, c'était assez court pour qu'on se passe d'une psychologue dans l'établissement, mais j'ignore encore combien de temps nous devrons rester. C'est une véritable analyse que je vais tenter sur Jefferson : ça peut prendre des mois, et ce sera difficile, je le sais, je le sens.

J'arrive un peu à la course près de mon bureau, un paquet de paperasses à ranger sur les bras. Il y a encore une foule de prisonniers que je n'ai pas rencontrés et qui n'ont pas de dossier approuvés par ma signature. Aujourd'hui je dois en rencontrer une dizaine, histoire de laisser un peu moins d'ouvrage à mon ou ma remplaçante, je ne sais même plus tant j'ai l'esprit occupé. Je vois immédiatement que quelqu'un est assis près de la porte. Je ralentis l'allure, manque d'échapper un ou deux dossiers mais les rattrape, et j'arrive finalement dans une allure à demi précipitée.

-Je m'excuse si j'ai quelques minutes de retard. Vous devez être Maya. Vous pouvez prendre cette clé et … Oh, vous êtes attachée, laissez tomber. Laissez-moi un instant alors.

Je pose mes affaires sur le sol dans un grand BAM et tire la petite chainette qui est dans mon cou et qui tient la clé de mon bureau, ainsi que d'autres clés. Je me penche, déverrouille la porte et me redresse, ramassant ensuite mes affaires et faisant signe à la jeune femme d'entrer. J'entre à sa suite, fouille un peu dans mon bureau et en sors une autre clé.

-Vous permettez ? je dis en m'approchant d'elle. Vous serez plus confortable sans ces hideux bracelets.

Je la débarrasse de ses menottes avec un petit clin d'œil joyeux et retourne m'asseoir près de mon bureau. Amusant, cette bonne humeur, je songe en passant ma main dans mes cheveux courts et blancs comme la neige. Si elle avait entendu parler de moi et de ce que j'étais avant mes vacances, elle ne s'attendait sûrement pas à voir cette jeune femme pleine de vie devant elle aujourd'hui.

listening to Jem - 24

[Mdr, j'adore la phrase dans ta sign, je vais lui dire de t'en faire un, juste pour ça !]

La jeune femme fait preuve d'une politesse presque caricaturale pour une prisonnière. Après tout ce que j'ai vu dans cet endroit, cela me semble presque déplacé. Constatant qu'elle est restée debout, je lui indique la chaise d'un geste doux, pour l'inviter à y prendre place, ce qu'elle fait. C'est le signe, pour moi, que la rencontre peut officiellement commencer. J'ouvre son dossier, que je n'ai pas eu le temps de feuilleter au préalable, et note quelques faits importants dans ma mémoire, mémoire qui ne me joue jamais de tours. Un mètre 55, 39 kilos, niveau d'études bas, lunatique, hydrophobe, insomniaque, attentats et terrorisme, espionnage industriel et homicides. Et c'est ce petit bout de femme poli et visiblement timide qui se tient devant moi ?

-Pourquoi ? je dis, d'emblée.

Oui, cette question toute bête, qui pourrait prendre n'importe qui au dépourvu. Je ne précise pas tout de suite ma pensée, pour la laisser réfléchir aux différents domaines que pourrait toucher cette simple et si complexe question. Mais après plusieurs secondes de silence – peut-être deux ou trois minutes en tout – je finis par apporter des balises à la question.

-Qu'est-ce que vous faites à Sadismus, Maya ? Je lis ici que vous avez procédé à de nombreux attentats terroristes, et que vous avez attenté à la vie d'individus. Pourquoi faire une telle chose alors que, visiblement, vous n'êtes pas quelqu'un de mauvais ?

Et qu'elle n'essaie pas de me faire croire le contraire. Les gens qui ont la graine du mal d'implantée en eux, je les reconnais de suite, et pour cause ! J'en ai connu tellement de ces gens. Des gens qui ont tenté de me faire souffrir alors que j'essayais de les aider, des gens qui ont essayé de nier par tous les moyens les regrets qu'ils pouvaient avoir éprouvés face à leurs actes odieux.

Je suis restée souriante, tout le temps que j'ai posé ces questions, parlant sur le ton de la simple causerie, comme d'une amie à une autre amie.

listening to Death Note - What's up People ? !

J'écoute parler la jeune femme que j'ai devant moi avec une attention toute professionnelle, et passionnée, car bien sûr, ma profession est ma vie. Ses paroles, ce qu'elle dit, effectivement, c'est bien censé. Seulement, l'argent, bien que très utile dans la vie, ne doit pas motiver les actions illégales. Je me tais tout le temps qu'elle parle, mais dès qu'elle ferme la bouche, je mordille ma lèvre.

-Si je comprends bien donc, vous avez enlevé la vie à de nombreuses personnes, tout cela pour améliorer les conditions de vie de votre famille. Je crois que vous ne connaissez pas le nombre de vos victimes Maya. Laissez-moi vous éclairer là-dessus.

Je reprends mes papiers en main, les observe en silence quelques secondes, puis les abaisse et lève le regard vers celui de la femme. Mes yeux s'arrêtent un moment sur les cicatrices sur sa joue. Triste souvenir que lui ont laissé ses activités.

-De manière officielle, vos attentats ont fait 33 victimes. Ces 33 personnes avaient elles aussi des familles, vous savez. Si l'on considère uniquement la famille rapprochée, cela nous fait environs un dizaines de personnes dans le deuil pour chacun de ces morts. 330 personnes, environ. Vous savez combien de personnes, sur ces 330, se sont enlevées la vie suite à la mort d'un de leurs proches ? Vous voulez savoir ensuite combien de gens ces autres décès ont mis en deuil ? Voulez-vous connaître le nombre de vies gâchées pour vos proches ?

Je sais que je ne devrais peut-être pas lui parler de la sorte. Elle doit probablement se dire que la psychologue dont parlait tout le monde – douce, compréhensive, aimable et pas brusque du tout – s'était fait kidnapper et remplacer par un sosie. Seulement non. La psychologue qu'elle avait devant elle s'apprêtait à vivre la plus grande épreuve de sa carrière. Elle allait se concentrer sur le cas le plus difficile qu'elle aurait jamais, et de la confrontation, elle allait devoir en emmener, beaucoup, avec lui. Seulement, cela n'a jamais été mon fort, la confrontation. Je vous prie de m'excuser, Maya, de vous prendre comme premier cobaye pour développer mon courage.

listening to Blues for Miles

Je sais bien, que mes chiffres ne sont pas absolument exacts, nul n’est besoin de me le signaler. Je n’étais pas sur les lieux alors qu’elle, si. Et puis les rapports non plus ne sont pas exacts : parfois les officiers en oublient, et d’autres fois, ils inventent carrément des victimes. Il n’y a rien à comprendre à notre système judiciaire. Les policiers sont corrompus un peu partout, parfois au profit des criminels, parfois à leur malheur. Je ne suis pas experte en la matière : je n’ai jamais travaillé sur le terrain, bien que cette prison ressemble parfois plus à un terrain sauvage qu’à un endroit sécurisé et encadré.

Quand Maya lève les yeux vers moi, je ne peux pas empêcher un voile de culpabilité me passer dans le regard. Je n’aurais peut-être pas du la brusquer ainsi. Ce n’est pas le genre de choses que l’on veut entendre lorsqu’on a commis une faute. On préfèrerait entendre un “ce n’est pas grave, ça va s’arranger” même si c’est totalement faux. Le fait est que l’esprit humain ne veut pas la vérité : il veut ce qui lui convient le mieux. C’est là la nature de l’homme, et l’on peut le constater dans tous les milieux du monde.

-Pourquoi ...

Je ne sais pas si ce mot s’adresse à moi, ou à elle. Comme il est prononcé dans un murmure, je me dis que c’est une parole pour elle même. Elle me l’a dit, pourquoi. Elle avait fait cela pour l’argent, pour sa famille. Les intentions premières sont louables, certes, mais d’autres solutions auraient du être favorisées. C’est là le problème, car on ne peut pas défaire ce qui a déjà été fait. Comme la vie serait si l’on pouvait retourner à volonté sur nos pas pour changer les choix qui se sont avérés désastreux. Mais non, le monde est ainsi fait que nous vivions pleinement les conséquences de nos actes.

-Dites-moi, Maya, je poursuis d’un ton plus doux. La première fois que vous avez du tuer quelqu’un, avez-vous éprouvé du remord, de la crainte ? À quoi pensiez-vous, en commettant vos crimes, pour faire passer la douleur ?

listening to Evanescence - My Immortal

J'écoute son histoire avec une attention toute professionnelle, et en même temps, je l'observe, essayant de comprendre par moi-même ce qui se trouve chez cette femme qui n'est pas chez les autres, et qui la fait franchir la limite très mince entre civile et criminelle. Je pousse un soupire alors que j'écoute ses mots. J'essaie de savoir ce qui la différencie de moi. Par exemple, je sais que jamais, oh grand jamais, je n'aurais eu le courage d'accomplir de tels actes, n'eut-ce même été pour des raisons deux fois plus graves que les siennes. Je ne l'aurais fait ni pour l'argent, ni sous la menace. J'aurais eu bien trop peur des représailles dans les deux cas. Bien sûr, il se peut que, si Lui me l'avait demandé, je l'aurais fait, après plusieurs demandes, après plusieurs coups, plusieurs paroles. L'humiliation que Jefferson pouvait me donner était terrible, plus terrible probablement que la perspective de finir mes jours en prison. Je me souviens que j'ai déjà volé des bonbons pour lui, et juste ça, ça me rendait malade. Alors imaginez le tableau s'il m'avait demandé de tuer quelqu'un, ou de poser des bombes ! La demoiselle se tait, elle a terminé. Je ne dis rien pendant un moment. Que devrais-je dire ? Je devrais peut-être m'excuser, d'avoir été si dure avec elle, de lui avoir lancé tout cela à la tête en essayant de la faire culpabiliser. Visiblement, elle culpabilisait déjà.

-Au moins vous ne faites pas partie de ces gens pour qui avouer des remords est pire que le crime lui-même et la douleur qu'il cause. Vous avez un bon fon, Maya.

Je lui souris, de ce sourire charmant, qui, après des années de pratique devant le miroir et les patients, parvient à exprimer totalement le pardon offert au pécheur. Dans ce sourire, je mets toute ma délicatesse, toute ma candeur, pour bien montrer que rien n'est plus important que le présent, maintenant.

-Vous avez du courage, et j'espère que ce dernier vous aidera à traverser l'épreuve qui est devant vous.

Je fais ici référence à Sadismus, tout le monde l'aura deviné.

-Et je tiens à ce que vous sachiez que dans ce bureau, une main vous sera toujours tendue.

-Et je tiens à ce que vous sachiez que dans ce bureau, une main vous sera toujours tendue.

- Merci ...

Je fais défiler mentalement le film de ma vie. Je l'ai fait plusieurs fois depuis que je suis à Sadismus. C'est effroyable le temps qu'on a à perdre ici. Les moment d'insouciance avec ma famille me font monter les larmes, ils me manquent terriblement.

- Vous pensez que j'aurais dus en parler avec mes parents ?ils travaillaient pour la même firme mais a des services bien différents. C'est toujours pensé qu'ils devais être au courants, du moins dans les grandes lignes. C'est vrai, plus une structure est grandes, plus les bruits de couloirs circulent ! l'existence d'un services entiers ne peut quand meme pas être passé inaperçue.
Est ce qu'il m'en veulent pour ça ? ou pour n'avoir rien dit ?
Est ce qu'ils me detestent maintenant ?
Est ce qu'il savent que je suis ici au moins ?

Mon regard repart dans le vague, je nous revoit comme sur les photos de famille ... c'etait le bon temps

Toutes ses questions me ronge le coeur et ce depuis que j'étais en fuite. J'ai essayé de les contacter sans succes.

Je souris timidement alors que me regard se fixe a nouveau sur la psychologue.

Ça doit vous paraitre déplacé d'accorder de l'importance aux jugements de mes proches avec ce que j'ai fais non ? je me rappelle que je me faisait un peu chambrée par les collègues sur le fait que je devait etre rentrée chez papa-maman à 10h en semaine. Ça m'enervait un peu alors, maintenant ça me parait tellement dérisoire ...

Les larmes longtemps retenues s'echappe enfin sur mes joues.