Concerto en loup majeur [libre]

-Il n'est pas question que vous nous fassiez monter dans cette voiture! Je veux marcher! je crie à l'homme qui me tient la portière.

Il pousse un profond soupire et se frotte les tempes avec ses gros doigts galleux. Je sais bien que ça fait partie de son mandat de me reconduire jusqu'à la prison, mais déjà qu'Arcturus a eu du mal à supporter l'avion et le bateau il y a quelques jours, je ne vais pas le refaire monter dans un moyen de transport quelconque.

-Madame, recommence-t-il plus doucement. Vous avez des bagages, des chiens. En plus on meurt de chaleur aujourd'hui, vous ne vous rendrez jamais en haut de la montagne toute seule.

J'émets un grognement rauque, qui ressemble à celui d'un animal. Aussitôt, mes compagnons arrêtent de bondir autour de la voiture et reportent leur attention sur moi. Mon chouchou vient se positionner devant moi, la tête haute. On jurerait qu'il lorgne la voiture. Je le comprends. Moi non plus je n'ai pas envie de monter là-dedans.

-Très bien. C'est comme vous voulez. Je transporterai vos valises, vous vous organiserez avec vos clébards. On se retrouvera en haut.

J'esquisse une grimace censée représenter un sourire et pose mes effets par terre, satisfaite. Je siffle trois coups rapides et aussitôt, toute ma petite troupe s'approche de moi, prête à lever les voiles. Après de vagues salutations – un hochement de tête agacé de ma part – nous nous mettons en route. Aucune chance de se perdre. On aperçoit les murs de l'édifice en haut du chemin, et il n'y a qu'une seule route dans cet endroit, qui sillonne la montagne. Nous prenons tout notre temps, profitons du paysage qui nous est offert, de cette nature presque vierge qui se donne à nous dans toute sa nudité.

Nous arrivons, une heure plus tard, aux portes de la prison. Il fait chaud. L'homme avait raison. J'ai d'ailleurs retiré ma blouse à mi chemin et ai fait le reste du trajet en soutien-gorge, escortée par mes gardes du corps à quatre pattes. J'aurais beau me balader avec une pancarte "violez-moi" sur le dos, personne ne pourrait m'approcher sans se retrouver avec trois dents pointues dans la jambe, minimum. Et ça, c'est sans compter les coups que je peux porter.

-Vous parlez d'une tenue! me lance l'homme en souriant bêtement quand je passe devant sa voiture stationnée avant les grilles.

Lentement, je remets le mince morceau de linge sur mes épaules couvertes de sueur. Je ne la boutonne toutefois pas. Trop chaud pour le moment.

-Ça se voit que vous avez vécu longtemps avec les fauves, dit-il. Vous avez l'air de sortir de la jungle.

Je lui lance un regard animal, bientôt imitée par mes fidèles acolytes.

-Vous comptez me faire rentrer dans ce trou à rats un jour? je lance sèchement, accompagnant la fin de ma phrase d'un claquement sec de la langue ressemblant à un aboiement.

Avec mauvaise humeur, l'homme entreprend d'ouvrir les lourdes grilles. Arcturus, en bon chef de meute qu'il est, se jette littéralement à l'intérieur dès que l'ouverture est assez large pour son corps massif. Les autres chiens l'imitent rapidement et tous se mettent à renifler l'intérieur de l'enceinte avec zèle. J'entre à mon tour, reprenant mes bagages. La porte se referme derrière moi dans un grand bruit mécanique.

-Eh bien… On y est les gars… je murmure avec mélancolie.

Mon grand loup gris pousse un hurlement sinistre. Nous faisons tous comme lui, et un concert d'aboiements, de grognements et d'appels à la lune se met en marche, ébranlant les murs de la prison, annonçant notre arrivée.

Bien que la plupart des chiens avec lesquels je me trouve semblent pleurer sur leur nouvelle habitation, regretter la forêt et la vieille maison, l'un d'eux semble moins malheureux. Dusty bien sûr. Ce dernier semble plutôt content d'avoir un nouveau territoire à marquer, de nouvelles choses à découvrir. Ce berger allemand ne changera jamais. Social comme pas deux, il aura tôt fait de se plaire ici. Ça risque d'être un peu plus long pour Sid et Arcturus, qui ont toujours tenu dur comme fer à leur liberté. Après quelques instants, Dusty se soustraie à ma vue. Je prends un moment à le remarquer. C'est quand je l'entends aboyer un peu plus loin que je réalise qu'il est parti. Je pars, seule au départ mais bientôt rejointe par toute la meute, à sa recherche. Il n'est pas bien dur à trouver avec le bruit qu'il fait.

Je le trouve près d'une jeune femme blonde. Il se roule à ses pieds en soulevant un maximum de poussière et en poussant des couinements heureux. En le voyant, Baldwin et Web s'empressent d'aller le rejoindre, tout aussi joueurs. J'aurais beau siffler, le seul qui reviendrait serait peut-être Web, mais encore là il n'est pas certain qu'il serait revenu.

-X'cuse-les, je marmonne. C'est mes plus jeunes. Y manquent un peu d'tenue avec les gens. Ils ont pas l'habitude.

Je claque des doigts. Aussitôt, Sid se jette dans l'heureuse mêlée, mordant les pattes qui sont à sa portée. Après quelques instants, ils reviennent tous à mes pieds, sous le regard paternel d'Arcturus qui est appuyé contre ma jambe, ma main caressant sa tête.

-J'espère qu't'as rien contr' les chiens. Moi c'est Vanessa. J'viens juste d'arriver. Pis eux, ben c'est mes bébés.

Je leur lance un regard presque amoureux, protecteur. Tous les six, nous portons notre regard sur la femme avec circonspection. Je pose mes yeux dans les siens. Ils ont une couleur que je ne me souviens pas avoir vue ailleurs. Remarque que je ne peux pas me vanter d'avoir vu beaucoup de monde au cours des onze dernières années. Je ne lui demanderai pas son nom. Si elle veut me le dire, elle a ben beau. Moi ça m'est un peu égal. – à vrai dire j'en ai rien à faire – C'est pas méchant, c'est juste que je vois pas l'utilité.

La femme pousse un soupire que je ne sais pas interpréter. Faut dire que j'ai pas l'habitude de ces créatures sur deux pattes comme moi. Je la toise sans retenue, je pose mon regard un peu au dessus de ses yeux, la seule politesse que j'aie à mon actif étant de ne pas provoquer les gens par le contact visuel.

-Alors ils vous appartiennent, Ce sont de belles bêtes que vous avez là.

Je souris fièrement. Ouais. Des belles bêtes. Les plus belles. Enfin, elle n'a pas vu ce qui est resté au pays et que je n'ai pas pu ramener avec moi. Des animaux dans une forme remarquable, avec des fourrures toutes plus soyeuses les unes que les autres. J'ai rechigné à m'en séparer, mais c'était ce qu'il y avait de mieux pour eux. Eux pouvaient se débrouiller tous seuls. Si j'avais laissé Dusty sans surveillance, il serait mort au bout de quelques jours. Arcturus aurait pu rester, mais je suis tellement attachée à lui que je ne pouvais pas m'y résoudre. Quant aux autres, - en mettant Sid de côté – je n'avais pas envie d'abandonner leur dressage en plein milieu.

-Mon nom est Mion. Fallson, Mion. Je viens d'arriver, moi aussi...

Eh bah… Deux nouvelles d'un coup. Je me demande bien comment on va se diriger pour se retrouver dans c'te grosse bâtisse en roche. M'enfin, je suppose qu'il n'y a rien de mieux pour apprendre à connaître un endroit que de le fouiller de fond en comble et de se perdre trois-quatre fois. – ou encore d'avoir le pif d'un de mes chiens – D'un coup, une idée me traverse l'esprit. Je ne sais pas à qui j'ai à faire.

-Dis, t'es ici pourquoi? On te fout en tôle parce que t'as fait un truc pas sympa ou tu viens bosser ici?

Ben elle a pas l'air d'une meurtrière mais je préfère pas prendre de chance. On sait jamais.

Je l'écoute rire avec fascination. Ne vous méprenez pas sur moi. Ça fait seulement tellement longtemps que je n'ai côtoyé quelqu'un jusqu'à l'entendre rire que ça me fait du bien. À part mon rire à moi, qui de mon avis a une drôle de résonnance, je n'ai pas entendu grand-chose de ce genre.

-C'est vraiment encourageant d'entendre qu'on me prenne pour une détenue... Je plaisante. Je viens pour bosser ici... J'ai déjà expérimenté la vie de gardien dans une prison alors je sais un peu à quoi m'attendre ici. Même si j'ai bien l'impression que je ne vais pas tarder à être surprise.

Ah bah c'est cool qu'elle ait de l'expérience. C'est pas comme moi, qui n'ai jamais été formée pour travailler dans une prison et qui n'en ai jamais visité une seule de toute ma vie. Mais bon, chacun son truc. N'empêche, je ne peux pas me retenir de penser que je suis pathétique à côté d'elle. Mais je ne le montre pas. Je n'ai pas l'habitude de démontrer clairement ce que je ressens. Enfin, c'est pas clair pour les humains parce que tout de suite, Arcturus pose son museau dans ma main pour m'encourager.

-Hum... Sans vouloir paraître indiscrète, et toi?,

Moi? C'est pas assez évident? Je me trimballe avec une bandes de sympathiques cabots.

-On est v'nu m'chercher chez moi parce que j'ai un don avec les animaux. J'suis maitre chien en clair.

C'est pas gardien mais quand même, je vais faire un peu la même chose qu'eux par moments, sans doute qu'on me le demandera, ou que je le ferai par simple instinct. Il est très fort chez moi.

-Bon c'pas tout ça mais, j'aimerais bien rentrer moi, je dis d'un ton dynamique.

-On est v'nu m'chercher chez moi parce que j'ai un don avec les animaux. J'suis maitre chien en clair.

Je manque de m'écraser contre le mur, feignant au dernier moment que je m'adosse juste contre la pierre froide. Encore une preuve de son sens de l'humour? Hum, j'en doute... Quelle drôle de façon d'être devenue gardienne de prison tout de même... Je manque d'éclater de rire, bien que ce ne soit guère mon genre; je veux surtout éviter qu'on me croit malpolie...

-Bon c'pas tout ça mais, j'aimerais bien rentrer moi.

Je souris à son propos, acquiesceant en signe d'accord; je n'avais moi non plus pas trop l'intention de passer le restant de mes jours ici.

-Moi de même, dis-je simplement.
Je m'enfonce donc un peu plus dans la prison, d'un pas pressé pour prendre de l'avance sur Vanessa - pas que l'évite hein - afin que ses clebs ne me tombent pas dessus. Je scrute minutieusement ce qui m'entoure, prenant mes repères par-çi, par-là; il ne faudrait pas que je me paume non plus... Je repère sans mal ce qui semble être un passage pour le sous-sol, ainsi que les différentes ailes... C'est spacieux, mais crade...

[topic terminé]