Un arrivant du nouveau monde

Bien qu'ayant commis tous mes crimes aux Etats-Unis, j'ai été extradé vers l'Allemagne, puisque c'est ma nationalité, à l'origine. D'après ce que j'ai compris au cours du voyage sacrément long qui m'a amené devant ces portes, c'est plutôt un prétexte pour m'envoyer dans une prison spéciale, hors du sol américain. Certains se sont sûrement dit : "envoyons la vermine ailleurs, si elle s'échappe, elle aura plus de mal à revenir". Pour moi ça ne change pas grand chose, puisqu'il faut être enfermé, ici ou ailleurs, ma foi peu m'importe. Il n'est pas vraiment dans mes intentions de moisir en prison si je peux faire autrement.
L'Allemagne et les Etats-Unis, ce n'est pas la porte à côté. Avion, train et fourgon blindé, ce voyage a été plus que long et inconfortable. Mais c'est terminé, nous sommes devant les portes. C'est un peu au bout du monde cette prison. Je parle allemand, français et anglais couramment, alors si j'arrive à sortir, je devrais pouvoir me débrouiller pour ne pas être repris tout de suite. Tiens en parlant de ça, j'aimerais quand même en savoir un peu plus sur ce qu'il se passe là-derrière. Peut-être que les policiers qui m'escortent en savent un peu plus.

_ Dites, c'est quoi cette prison? demandé-je l'air de rien.

_ Sadismus Jail? On te laisse le découvrir par toi même! Nous tout ce qu'on sait, c'est qu'on y amène que des tordus, des tueurs en série, des cannibales. Quant à ce qui se passe derrière ces murs, mystère!

La réponse du policier me laisse perplexe. Apparemment, on rassemble la lie de l'humanité dans cette prison. Je me fais un peu l'impression d'un petit joueur, malgré mon casier bien rempli. Tueurs en série? Cannibales?
Ça m'inquiète un peu, cette histoire. Si les plus grands criminels sont réunis ici, les mesures de sécurité doivent être serrées, bien plus que ce que je pensais. Ça risque de ne pas faciliter mes tentatives d'évasion. Enfin, inutile de tirer des plans sur la comète, je ne suis même pas encore entré! Attendons de voir ce qui se trouve derrière ces portes.

Je ne suis pas réputé pour ma patience, sauf si ça en vaut la peine. Et là, franchement, attendre d'être enfermé ne fait pas partie des choses que je classe dans cette catégorie. Pour m'occuper, je détaille la prison, enfin, ce que je peux en voir. Des portes, de hauts murs.
Alors que je regarde ces fameux murs, j'entends un bruit étrange, comme une musique métallique et je sens que mes gardiens sont soudainement mal à l'aise. Je reporte mon attention sur les portes. Elles viennent de s'ouvrir, ce n'est pas trop tôt! Je me demande pourquoi je ne les ai pas entendues...

Une femme se dirige vers nous. Elle m'a l'air un peu, disons, particulière. Des cheveux rouges, ce n'est pas courant. Elle porte un jean et un débardeur noir, pas d'uniforme, mais juste une casquette de gardien. Cela confirme mon impression première, cette prison est spéciale.
Elle se rapproche encore, passe à côté de moi et signe un papier que lui tend un policier. Je devine qu'il s'agit d'une décharge prouvant que la marchandise, c'est-à-dire moi, a bien été livrée.
Je remarque qu'elle est grande, au moins dix centimètres de plus que moi. Mais pourquoi suis-je aussi petit? Remarque, ça m'a bien servi quand même.
La musique métallique de tout à l'heure trouve une explication. La femme porte au bras droit une vingtaine de bracelets qui s'entrechoquent. Je fronce les sourcils. C'est son problème, mais en tant que combattant au couteau, ça me choque un peu. Un, ça fait du bruit, ça peut te déconcentrer. Deux, ça offre une très bonne prise à l'adversaire. Mais à quoi je pense, moi? Les combats au couteau, c'est fini pour un moment, Karl! En plus c'est un gardien, inutile de te la mettre à dos par une remarque déplacée sur son style vestimentaire.

Le comportement des policiers me fait sourire. Ils ont l'air terrifiés par cette gardienne. Pourtant, elle ne doit pas être une criminelle! Quoique... Quand elle se tourne vers moi pour me faire signe de la suivre, je remarque qu'elle a les yeux rouges, aussi rouges que ses cheveux. Je comprends la réaction des policiers. A côté d'elle, je fais vraiment piètre figure, petit, de longs cheveux noirs, un uniforme de prisonnier américain trois fois trop large... Tu parles qu'ils ont plus peur d'elle que de moi!

"Bienvenue,si je puis dire, vous serez dans la Cellule II,Mr.Riwerok."

Au moins, elle fait preuve d'un semblant de politesse, mais quelque chose me dit que ça ne va pas durer. La cellule II? Je hausse les épaules et la suis. Adieu, liberté! Enfin, j'espère que ce n'est qu'un au revoir...
Je secoue la tête pour m'éclaircir les idées. Inutile de penser à ça. J'accélère le pas, elle a de grandes jambes, j'ai du mal à suivre. Il ne manquerait plus que je me perde!

Elle ralentit le pas, ce dont je lui suis reconnaissant. Mon uniforme trop large ne m'aide pas vraiment à allonger le pas, alors déjà que je suis petit... Je regarde autour de moi avec curiosité, découvrant mon nouveau monde. Pas très intéressant, nous allons trop vite pour que je puisse noter quoique ce soit d'utile. Les regards que nous adressent les prisonniers que nous croisons sont remplis de haine, mais je n'ai pas l'impression qu'ils me soient destinés.
Du coup, je reporte mon attention sur la gardienne devant moi. Elle semble nerveuse, je vois sa main monter vers son visage pour remettre une mèche de cheveux en place et sa démarche s'est, sur quelques pas, faite saccadée. Je me demande bien pourquoi, mais je résiste à la tentation de poser la question. Inutile de chercher les ennuis, Karl.

Nous entrons dans un couloir plus sombre et je sens monter la tention. S'attend-elle à quelque chose de ma part? si c'est le cas, elle risque d'être déçue. Je ne suis pas assez bête pour me faire remarquer le premier jour!
Enfin, je ne serais pas contre quelques informations, mais reste à savoir comment les lui demander sans me faire rembarrer.
J'ai beau tourner ça dans ma tête, je ne trouve pas.
Allez tant pis, j'ai vraiment besoin d'en savoir plus, je vais tenter une approche suffisament discrète pour qu'elle ne puisse pas mal le prendre. Enfin j'espère...

"hum hum"

Je toussote pour attirer son attention, mais ne pose pas ma question, attendant sa réaction pour continuer. Si elle se retourne et s'arrête, on verra, je pourrais peut-être m'aventurer à la questionner, ça dépendra de son regard. Si elle fait mine de ne rien entendre, tant pis. J'aime me battre, mais je vais éviter avec les gardiens, sauf si ça en vaut la peine. Tiens, il faudrait d'ailleurs que je réfléchisse à ce que je range sous ce descriptif. Karl, arrête! Fais un peu attention à ce qui se passe autour de toi, au lieu de te perdre dans tes pensées sans arrêt.

"Oui?"

Enfin, une réaction! Ah oui, mais du coup, je ne sais plus ce que je voulais savoir, moi. Par quoi commencer? Les us et coutumes de la prisons, où va-t-on, ce qu'elle fait là, pourquoi elle porte tous ces bracelets? Zut, zut, zut.
J'y repense, elle a eu l'air soulagée, même si de dos c'est difficile à dire, quand j'ai rompu le silence. Du coup, je prends un malin plaisir à ne pas poser ma question immédiatement. C'est un peu jouer avec le feu, mais tant pis.
Je regarde la femme devant moi, je me demande comment elle est arrivée là. Ah tiens, j'ai trouvé ce que je vais demander.

"Dites, n'est-ce qu'une impression, ou les prisonniers ont peur de vous?"

Et voilà, je crois que j'ai posé la question qui fâche, je crois que c'est ce qui s'appelle mettre les pieds dans le plat. Et dire qu'il n'y a pas cinq minutes je m'admonestais mentalement pour ne pas la provoquer. Allez, pendant que j'y suis, poursuivons sur la lancée.

"Au fait, comment vous nommez-vous? Comment êtes-vous arrivée ici? J'ai un peu du mal à comprendre ce qu'une femme telle que vous fait dans cette prison, en tant que gardienne. Je vous aurais plutôt imaginée, je ne sais pas, plus libre, un métier d'extérieur..."

Puisqu'apparemment le silence la dérange, parlons! Je sais faire de belles phrases, pourquoi s'en priver? Par contre, je ne suis pas sûr de me réjouir autant de sa réaction.

Elle s'arrête et s'écarte, sûrement pour éviter que je lui rentre dedans. Elle ne peut pas savoir que j'aurais pu m'arrêter sans problème ou la contourner, mes réflexes de combattant ont au moins ça de bon. Elle rit. Ma question est-elle si étrange? Ou au contraire très pertinente? Sa voix est amusée quand elle répond.

"A voir leur comportement,je suis sûre que oui."

Pourquoi? C'est la première chose qui me vient à l'esprit. Elle ne m'inspire certes pas vraiment confiance, elle est gardienne de prison après tout. Mais elle est loin de m'effrayer ou d'éveiller en moi en sentiment de danger comme ont pu le faire d'autres personnes. Alors, pourquoi ont-ils tous autant peur d'elle, les policiers comme les prisonniers? Je me retiens de l'interroger davantage. Elle a l'air de bonne humeur, inutile de changer cela. C'est bizarre quand même, mon attitude ne cesse de se modifier. Il y a deux minutes, j'étais prêt à tenter le diable, et là, ma prudence naturelle a repris le dessus.

Elle est plongée dans ses pensées, suite à ma deuxième question, on dirait. Hésite-t-elle à y répondre? Finalement elle se décide.

Une femme telle qu'elle? Pourquoi répond-elle à ma question par une autre? C'était pourtant clair! Ou peut-être pas, finalement.
Avec sa chevelure et ses yeux rouges, et tous ces bracelets, elle ne correspond pas du tout à l'idée que je me faisais d'une gardienne de prison. Mais vu que je ne vois pas du tout comment le lui dire sans la vexer, je préfère laisser tomber le sujet et détourner la conversation.

"A ce propos, ici? Qu'est-ce que cette prison a de si spécial? Mon escorte a juste pu me dire que les pires criminels étaient réunis ici?"

J'ai prononcé le terme "escorte" avec une ironie perceptible. Contrairement à elle, je ne suis pas ici de mon plein gré, et je n'ai pas non plus l'intention d'y rester plus longtemps que nécessaire. Alors, plus tôt je récolterais un maximum d'informations, plus tôt je pourrais envisager de sortir d'ici.
Ici. Cela fait plusieurs fois que j'emploie ce terme. C'est un peu une manière d'appréhender différemment la réalité. Oui, je suis en prison. Mais ici, encore, ici, ça m'a l'air différent, ce n'est pas une prison comme les autres, je le sens, je ne sais pas trop comment. La peur et l'ignorance des policiers, cette étrange gardienne. Ce qui m'intéresse maintenant, c'est de savoir ce qu'ici a de si particulier.

Bizarre, elle a l'air un peu déçue que je n'ai pas poursuivi sur le sujet. Elle secoue la tête avant de répondre. Pour les prisonniers, je savais déjà que c'était pas des enfants de coeurs, mais là... C'est encore pire que ce que je pensais. Pour les gardiens par contre, j'apprends quelque chose et je comprends mieux sa présence ici.
Des gardiens schizos, pyromanes, obsédés? Pour des prisonniers complètement timbrés? Finalement, ça parait logique. Attends. Schizos, pyromanes, obsédés. J'ai l'impression qu'elle ne m'a pas fait une liste exhaustive. Je pense que je peux ajouter de moi-même des sadiques et des amateurs de torture.
Pour les schizos et les pyromanes, pas de problème. Pour les obsédés... Il va falloir que je fasse attention à mes fesses. Je suis capable de me défendre, mais autant éviter de frapper, voire tuer un gardien si je peux éviter.
Sa dernière question me laisse perplexe. D'abord, elle me vouvoie, alors que la phrase d'avant elle me tutoyait. Et pourquoi relancer ce sujet? Un piège? Je ne pense pas, on dirait vraiment que ça l'embête de changer de sujet au milieu d'une conversation.

"Pour mieux y revenir."

J'ai lancé cette réponse sur un ton amusé, un sourire aux lèvres. Je replace mes longs cheveux noirs derrière mes oreilles, révélant la cicatrice sur ma joue, jusque là restée cachée.

"Une pirate? C'est vous, n'est-ce pas? C'est ce que je voulais dire par une femme comme vous. On vous imagine plus facilement à la proue d'un navire défiant les flots que gardienne de prison."

Mon sourire s'est accentué, je fais jouer mon charme. Je sais que mes traits fins ont autant de succès auprès de femmes que des hommes et j'adore en jouer, pour obtenir les informations que je veux.