Garder la forme

Il est très tôt, le jour est à peine levé. L'heure idéale pour faire un peu de sport tranquillement. Je pénètre dans la salle de muscu et, en effet, il n'y a personne. Mais je ne me fais pas d'idées, je sais que d'autres personnes arriveront sous peu.

Je vais dans les vestiaires pour me mettre en survêtement. Une fois que c'est fait, je range mes autres affaires dans un casier, sauf mon manteau. Je le roule et le mets sous mon bras puis quitte les vestiaires. Je parcours toute la salle de muscu du regard, me demandant par quelle machine je vais commencer.

Finalement je choisi le tapis de course. Je m'en approche, grimpe dessus, et reste quelques secondes immobile. Je me demande où poser mon manteau... Je me décide à l'accrocher au devant de la machine. Je règle l'appareil sur footing et commence mon exercice. Puis, après quelques minutes d'échauffement, je passe en vitesse course.

Je commence à sentir les effets de l'effort, j'adore ça. Mes muscles qui se tendent, les battements de mon coeur qui s'accélèrent, mon corps qui devient humide de sueur. Et je sais qu'après cela mon corps sera envahi d'une bouffée d'endorphines. C'est mille fois meilleur que l'état de plane après un joint. C'est comme après l'amour. On a l'impression de plâner, on ne sent plus son corps.

C'est toutes ces sensations qui me motivent, parce qu'en dehors de ça, c'est plutôt ennuyeux de courir pour arriver nulle part.

J'augmente encore la vitesse de course et l'inclinaison du tapis, juste au moment où j'entends la porte de la salle s'ouvrir et quelqu'un pénétrer à l'intérieur. Je ne m'arrête pas, je ne bronche pas, je continue à courir.

J'entend le nouvel arrivant aller dans le vestiaire puis revenir dans la salle de muscu. Ses pas se dirigent vers moi, et il grimpe sur le tapis juste à côté de moi. Je ne lui adresse pas un regard jusqu'à ce qu'une voix familière s'adresse à moi. Une fois féminine. Je la regarde du coin de l'oeil une fraction de seconde puis regarde à nouveau devant moi, c'est crucial de toujours regarder devant soi, enfin, surtout pour moi, sinon je perds l'équilibre, c'est stupide, mais c'est comme ça.

Je reconnais Nico. Bon, tant mieux, quelqu'un que je peux prendre en photo, encadrer, je sais pas encore, mais c'est déjà pas mal, prendre en photo, dans mon échelle de valeurs, si si.

Je hoche la tête, et n'articule qu'un simple "hum" en signe d'approbation. Pour parler, il me faudrait ralentir mon rythme. Si la discussion en vaut la peine, nous verrons cela.

Voyant que Malu est toujours aussi bavarde, j'arrete mon marcheur et je sors un livre enroulé dans ma serviette que j'avais psé sur le tableau de bord. j'ouvre le livre le pose et remet la machine en marche tout en lisant.

-je ne savait pas que tu pratiquait du sport.. tu est certe tres svelte mais j'aurais cru que c'etait naturel chez toi..

Ayant un peu d'experience des dialogues avec Malu, je ne m'attend pas a une grande réponse, surtout que la elle va vouloir eviter de s'essoufler j'en suis sure..

Mes yeux toujours rivé sur mon livre, j'accelere la vitesse du tapis..

Je me sens obligée de répondre, par pure politesse, alors je ralentis le rythme du tapis et règle la pente. Je prends le temps de m'habituer au nouveau rythme plus lent. Ma respiration se fait plus douce, je suis apte à parler.

"Rien n'est dû." dis-je.

"Et ça fait du bien au moral un peu d'exercice, puisque ça fait du bien au corps."

Je lui jette un regard en coin et suis étonnée de constater qu'elle court tout en lisant. Fortiche ! Mais elle est complètement accro à la lecture, on dirait, c'est impressionant quand même.

Je hoche la tête pour montrer que j'ai bien entendu mais je ne réponds pas tout de suite. Je cours, fixant un point droit devant moi d'un regard concentré.

Il se passe bien deux ou trois minutes avant que je ne me décide à répondre :

"Il n'y a pas que des loques ici, au moins." dis-je platement.

Je commence à m'habituer à parler tout en courant, alors j'augmente peu à peu le rythme de ma course. Mon visage et ma poitrine sont en sueur, et mes vêtements commencent à coller à ma peau, mais j'aime, étrangement, cette sensation. Chaque sensation est la preuve de mon activité vitale, et comme je le dis toujours : tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir, et donc, tant que j'aurais l'espoir, je saurais survivre dans cette prison sans y perdre la tête, quoiqu'il m'arrive.

"Qu'est-ce que vous lisez aujourd'hui ?" demandé-je.

Je me demande si elle va noter ce progrès chez moi : je ne me limite déjà plus à répondre aux questions qu'elle me pose, je relance la conversation, si plate soit-elle.

Je hausse un sourcil. Décidément, on reste dans un certain thème. Je me demande pourquoi elle lit ce genre de livres... Par plaisir ? Intérêt ? Désir de connaissance ? Curiosité morbide ? ... Tout ça à la fois ? J'aimerais le lui demander, mais ça devient un peu beaucoup pour moi.

"Vous lisez vite." me contenté-je de dire.

J'augmente encore la vitesse de course, m'habituant à soutenir le rythme en même temps que la conversation. Enfin la conversation... Ce n'est pas avec ma remarque particulièrement constructive qu'elle va avancer, la conversation... Bon allez, je me lance :

"Hum... Pourquoi lisez-vous ce genre de livres ? Ne le prenez pas mal, mais ça fait deux titres qui m'évoquent un thème plutôt... morbide, et cela m'interpelle."

Cette réponse me semble bizarre, je ne doute pas de sa bonne foi, mais quelque chose m'intrigue... Encore une fois je reste silencieuse pendant plusieurs minutes, puis reprends :

"Hm... Vous parlez comme si l'univers du crime était quelque chose de nouveau, tout du moins c'est comme ça que je le perçois... Mais ça m'ammène à me poser une question qui j'espère ne sera pas trop indiscrète..."

Je me tais quelques instants, pour reprendre mon souffle, puis continue :

"Qu'est-ce que vous avez fait pour vous retrouver là ? ... Bien sûr je veux bien répondre aussi."

En fait, je me demande si elle n'est pas victime d'une erreur judiciaire car elle semble bien innocente. Mais bien sûr, je ne suis pas stupide, je sais qu'il ne faut pas se fier à l'apparente innocence, car après tout, quand j'étais plus jeune, c'était une de mes armes majeures.

Au mot "justice", je ne peux m'empêcher de me crisper. Nico serait une justicière incomprise ? C'est ce que je déduis de ses dires... Mais alors dans ce cas, cela risquerait d'être venimeux quant à nos rapports. Ayant été élevée dans le monde du crime, j'ai toujours eu un rapport assez conflictuel avec la justice. Ce qui ne veut pas dire que je sois dénuée de toute morale, non. Seulement... Ma morale n'est pas forcément en rapport avec l'éthique commune.

De plus, je sens, même sans la regarder, qu'elle est contrariée, alors je n'ose pas en demander plus sur son crime. En revanche, maintenant, quelque chose d'autre m'intrigue :

"Vous voulez dire que, selon vous, vous auriez été victime d'une erreur judiciaire ?"

Je ralentis progressivement la vitesse du déroulement du tapis pour finalement l'arrêter et en descendre. J'ai à peine posé le pied par terre que je récupère mon manteau, le roulant en boule sous mon bras. Puis je ricane aux paroles de Nico, car en fin de compte, je suis plutôt d'accord avec elle.

"C'est sûr que parfois on se demande qui sont les criminels et qui sont les justiciers." dis-je d'un ton sarcastique.

Je me dirige vers un appareil de musculation pas trop éloigné des tapis de courses afin de poursuivre cette conversation.

"Quand je pense au nombre de fois où j'ai acheté ces ripoux sans qu'ils ne disent rien, et se sont pliés à toutes mes volontés, uniquement pour de l'argent... J'appelle pas ça des représentants de la loi." continué-je toujours sur le même ton.

Sans arrêter mon exercice, je secoue la tête.

"No problem. Je vais vous répondre, et puis, ça me rappellera le... bon vieux temps. Même s'il n'est pas si lointain que ça..." terminé-je d'un ton un peu amer.

Je secoue à nouveau la tête, mais cette fois-ci comme si j'essayais de me réveiller. En fait, je préfère chasser toute pensée amère de mon esprit, sinon ce serait la porte ouverte à la dépression... Toujours garder espoir (voilà ma, ou plutôt une de mes, devise) car en gardant espoir, on peut trouver la force de s'en sortir (en voilà une autre).

Je soupire, puis me lance :

"J'ai tendance à dire que si je suis ici, c'est à cause d'un joint... Bien sûr, c'est plus compliqué que cela, mais je reste persuadée que si je n'avais pas fumé ce pétard, je ne serais pas ici aujourd'hui. Car c'est le shit qui a obscurcit mon esprit et m'a fait faire le mauvais choix, celui qui m'a mise en danger."

Je fais une pause, le temps de faire une dizaine de mouvements, puis reprends :

"J'avais le choix entre deux contrats, et celui que j'ai choisi s'est avéré être un piège tendu par la police. J'ai été bêtement attrapée et jugée pour mes divers crimes."

Je souris en évoquant ainsi mon ancien business.

"J'étais plutôt polyvalente dans le domaine, je pouvais faire presque n'importe quoi, mais j'étais spécialisée dans le trafic d'armes et l'escroquerie."

Mon sourire s'élargit.

"C'était la grande éclate, quoi."

Tout en ecoutant attentivement le recit du passé de Malu, je poursuivait toujours ma course et j'avait repris ma lecture, j'avais de plus en plus chaud, j'arreta la machine pour faire une petite pause.

-Dommage que tu te soit fait arreter betement.., mais dis moi comment en est tu arriver a devenir tranfiquante d'arme et escroqueuse?

J'etait assise sur le tapis de la machine, buvant quelques gorgées, et tournant une page de mon livre.

"Oh, ça." dis-je d'un ton désinvolte.

Mon sourire se fait nostalgique, mais sans non plus paraître accablée.

"Ma famille faisait partie d'une organisation criminelle depuis plusieurs générations. J'ai été élevée dans le monde de la criminalité. Pour moi, cette voie est tout ce qu'il y a de plus naturelle."

Encore une pause, le temps de faire quelques mouvements. Je ne veux pas perdre ma moyenne !

"Quant à mes spécialisations... Hm... Je ne saurais pas dire, c'est venu tout seul. C'est ce pour quoi je suis la plus douée, et aussi ce que je préfère."

Entre deux profondes respirations, je laisse échapper un pouffement...

"Ça semble déjà plus probable, de faire, ici, du sport avec une criminelle de métier, qu'avec un enfant de choeur, pas vrai ?"

Je ne peux pas m'empêcher de rire un peu. Je dois passer pour une abrutie à rire de mes propres blagues (nulles en plus), mais mieux vaut rire que pleurer, surtout ici.

Je reprends mon sérieux et continue :

"Justement, je pense que dans un endroit comme celui-ci, nos... talents de criminels ne peuvent que nous être utiles. Je sais que si besoin, je n'hésiterai pas à... exercer ma profession, du genre pour défendre mes intérêts."

Je la regarde taper dans le sac de sable. Tiens, bonne idée, ça dois être pas mal du tout pour se défouler, faudra que j'y pense quand j'aurais une petite rage... Ce qui est susceptible d'arriver d'un moment à l'autre dans un endroit comme celui-ci.

Je hausse les épaules et dit plus pour moi que pour Nico :

"Ouais superbes... S'ils l'avaient été... s'rait pas là... fin bon..."

Je toussote pour me racler la gorge, puis dit plus clairement :

"Hmm... Le vol ? Bof. Je suis pas très discrète. En revanche quand il faut bourriner je suis plus habile, déjà. Mon truc, disons que c'est plutôt l'embrouille."

Sans arrêter mes exercices, je hausse les épaules et réponds d'un ton désinvolte :

"Un peu de tout. Préférence pour les armes à feu, mais j'ai eu une assez bonne formation dans plusieurs disciplines. Quand on vit depuis toujours dans le milieu, ça vaut mieux."

Je fais encore quelques mouvement puis m'arrête, m'essuie le visage, le dos et la poitrine avec une serviette, puis la passe autour de mon cou, me lève, récupère mon manteau et me dirige vers un tapis de sol. Je me met à genoux et m'allonge en arrière, un bon étirement, en même temps relaxant.

"C'est sûr que c'est bien utile de savoir se servir de son corps pour se défendre, parce que si on s'en tient aux armes... quand on se retrouve sans rien, on n'est pas dans la merde."