La Lettre [pv Sasha]

J'ai reçu une lettre, il y a quelques jours. Je ne saurais pas trop dire combien de temps. Je ne compte pas les jours dans cet endroit. Je hais cet endroit. Je me sens comme un chien domestiqué comme un vulgaire joujou. Je caresse Arcturus derrière les oreilles. Cet énorme loup gris ne m'a pas lâchée d'une semelle depuis l'arrivée du dit papier. On dirait qu'il sent que quelque chose cloche, et je ne peux pas le blâmer de s'inquiéter. Selon ce que disait cette lettre, le gouvernement ou je ne sais trop quoi qui est en charge de cette prison, mon contrat serait prolongé d'un an, et je n'aurais pas mon mot à dire là-dessus. Prisonnière.

De jolies marguerites. C'est l'image qui me vient en tête quand je pense à ma captivité. Pourquoi des marguerites alors que tout ce qui nous entoure est un mince tapis de neige salie par le sable et la terre, piétinée 1101 fois par des prisonniers tournant en rond ? Parce que les marguerites sont ce dont je me souviens le plus de l'époque où j'étais libre comme l'air, où Arcturus, moi et tous les autres vivions dans cette misérable maison perdue dans les bois. Il y en avait à profusion, juste devant la fenêtre de ce qui servait de salon. Je me levais le matin et les avais presque automatiquement sous les yeux.

Et moi je suis une femme qui aime les choses simples. Me réveiller le matin et savoir que la journée m'appartient … Je n'avais pas pris conscience de l'importance de ma liberté avant de me retrouver enfermée ici. Gardienne, maître chien… Ils m'ont donné un poste parce qu'ils ont entendu parler de mon don avec les animaux, mais pour ne pas me perdre, il me mettent un paquet de contraintes sous le nez. Ils voulaient même que je me débarrasse de l'un de mes chiens parce qu'il avait mordu un autre gardien… Jusqu'à ce qu'ils découvrent que le dit gardien avait menacé d'attenter à la vie d'un de mes gentils toutous, et ce sans raison valable.

Dans la lettre, il était écrit que dimanche, j'aurais à aller signer des papiers pour confirmation du tout. Mais je sais bien que même si je ne signe pas, ils trouveront le moyen de me garder ici, contre mon gré. Ils savent que je ne veux pas rester. Ils savaient dès le départ que je ne voulais pas venir m'installer ici. Mais ils se sont organisés pour que je n'aie pas le choix.

Au moins, grâce à Arcturus, je tiens le coup. Prenant sa tête entre mes mains, je lui colle un gros baiser sur le crâne avant d'enserrer son cou de mes bras. Sa grosse tête velue se pose sur mes genoux repliés, ses grands yeux me regardant comme pour me redonner confiance en la vie.

-La vie est une chienne mon chou, je dis doucement. L'prends pas perso surtout, j'ajoute en lui ébouriffant la crinière.

Il s'ébroue alors que je ris doucement. Je m'arrête brusquement et me relève sur mes pieds quand je l'entends qui se met à grogner et qui me tourne le dos, les sens en alerte. Visiblement, quelqu'un vient.

La femme qui semble avoir effrayé Arcturus – semble parce qu'il n'a jamais peur de rien en réalité – se tient droite devant nous, à quelques mètres. Un petit claquement de langue ramène la bête à l'ordre. Un dernier petit grognement, mais il se positionne assis devant moi, prêt à bondir si on venait à me menacer. Ma main sur sa tête, je l'observe quelques secondes. Son regard ne lâchera pas cette femme des yeux tant qu'il ne sentira pas qu'elle ne me veut pas de mal. Je suis bien capable de me protéger seule, mais le savoir qui veille sur moi me rassure sur bien des points. Il aurait eu maintes fois la possibilité de partir habiter les bois de l'île, mais toujours il revenait, assis devant la grande porte et effrayant les gardiens qui amenaient les nouveaux prisonniers. Arcturus n'était pas prêt de me laisser tomber dans cette sale aventure. D'un geste lent, je chiffonne la lettre au fond de ma poche, comme si de la savoir amochée pouvait m'être d'une quelconque utilité.

-J'te crois, je lance.

Le femme a les mains devant elle, comme pour se défendre de cet acte qu'elle n'a soit disant pas commis. Peu m'importe. Elle pourrait bien avoir tué la directrice de ses mains blanches que j'en rirais et la prendrais dans mes bras pour danser une valse. Ça n'a aucune chance d'arriver, et bien heureusement car je n'ai aucune idée de comment m'y prendre pour valser. Cela finirait sans doute par une simple accolade.

Je la regarde, son regard sur le loup en dit long sur l'effet habituel qu'Arcturus procure aux gens. Qui peut s'habituer à la présence d'un animal sauvage dans un lieu dit civilisé. Dit parce que de tous ces prisonniers, et même du personnel, je ne vois pas grande civilisation. Tout le monde se tape dessus, tout le monde se baise. Moi je creuse mon trou avec mes chiens et j'essaie de ne pas trop me faire remarquer, de ne pas emmerder les gens avec mon boulot. Boulot qui, je le rappelle, est celui, ingrat, de faire bondir mes bébés sur des gens dangereux. Non merci. Je reste loin des situations violentes pour leur éviter de s'abaisser à ses bouffonneries. Arcturus gronde un peu, ses oreilles rabattues vers l'arrière.

-Tu sens comme les gens mauvais, j'explique. Y aime pas ça.

Je caresse à nouveau la tête de l'animal du bout des doigts. Il lève le museau pour lécher mes doigts, mais je vois bien ses yeux sombres et féroces ne quittent pas la femme un seul instant.

-Mais y va bondir juste si j'y dis d'le faire.

Comme ça n'a pas l'air d'être ce qu'il faut dire pour rassurer quelqu'un, j'émets un petit son guttural pour demander à l'animal de se coucher sagement. Il pousse un léger couinement, comme un chiot grondé par sa mère, mais s'exécute, toujours regardant la prisonnière.

-Si ça peut t'rassurer, j'ai pas l'intention d'y d'mander d'quoi d'même.

Comme à mon habitude, je ne me présente pas. Je sais qu'elle a aussi peu à faire de mon nom que moi du sien. Et puis de toute façon, je ne suis pas civilisée, et les présentations, c'est pour les gens qui le sont.

-Il s'appelle Arcturus, je dis au bout d'un moment.

À l'annonce de son nom, le loup dresse sa grosse tête velue d'entre ses pattes et se lèche les babines. Sa queue bat entre mes pieds chaussés de bottes de cuir souple.

[HJ: désolée pour le retard conséquent]

Elle me croit, très bien. La tension se fait palpable autour de nous, et la menace du molosse sur moi se fait plus présente. J'ignore pour quoi, mais je ne suis pas du tout à l'aise.
Après tout, cela peut paraître normal. Je suis en face d'un animal dangereux et supposé être sauvage, dirigé par une p'tite femme. Qu'est-ce qui me prouve que la d'moiselle à une quelconque contrôle sur la bête, hein? A le voir, je me demande s'il n'a pas envi de me sauter à la gorge pour faire mumuse. Mais il reste sagement aux pieds de sa maîtresse, comme s'il attendait un signe positif de sa part. Signe qui ne vient pas.

Je finis par détacher mon regard du loup pour le poser sur la gardienne. Elle me paraît bien paisible mais quelque chose dans son regard révèle une part d'ombre. Peut-être de la tristesse, de la peine, ou bien de la fatigue, simplement.
Je suis momentanément attiré par ses yeux qui ne manque pas de charme, puis je me reprend en continuant mes observation. Elle a une main dans sa poche. Une main qui pourrait détenir n'importe quoi. Alors je ne dois vraiment pas faire de bavure sur ce coup là.

La voix de la demoiselle fuse à nouveau dans l'air gelé de la cours. Je n'aime pas cette voix. Je n'aime pas non plus sa façon de s'exprimer, mais je ne m'aventure pas à le lui dire. Je ne voudrais pas la fâcher. Par contre, ce qu'elle me dit ne me plaît pas vraiment non plus. Alors comme ça... je pus?
C'est en gros ce qu'elle vient de me sortir, je sens comme les gens mauvais, ou est-ce que je sens mauvais comme les gens... J'esquisse une grimace pour ne pas m'échauffer à cette simple allusion. Laissons passer... laissons couler.
Je hoche la tête comme si j'étais compréhensive, mais je commence à bouillonner à l'intérieur. Je n'aime pas être insulter, encore moins me laisser insulter sans rien faire. Mais il semblerait que ici, on n'est pas le choix quand à tout cela.

Une brise de vent soulève mes cheveux sombres qui viennent se coler désagréablement sur ma joue et devant mes yeux. Ils sont tellement crâdes et gras qu'ils en sont lourds. D'un geste lent, je les remets à leur place; lent, parce que je ne veux pas attirer l'attention du chien. Bien qu'il est les yeux fixés sur moi.
Elle continu à blablater un peu toute seule. Je ne l'écoute pas vraiment, je suis plus attentive aux moindres faits et gestes de l'animal. J'entend simplement un "bondir" et un vague "pas l'intention de lui demander". Ce n'est qu'à ce moment la que je consens à reposer mon regard dans ses yeux.
Elle ne me paraît pas du tout agressive. On dirait même qu'elle tente à tout prix d'éviter le pire. On risque de bien s'entendre alors... si elle jarte son cleb's, ce qui m'étonnerai. Je n'y avais pas fait attention, mais en un son venant d'elle, et l'animal c'était couché à ses pieds, soumis.
J'ai donc ma petite preuve qu'il est totalement ou presque contrôlé par cette gardienne.

Alors que je médire inutilement sur ce chien et sa maîtresse, je l'entend qui me décline l'identité de la bête. Très bien mais... qu'est-ce que j'en ai à faire moi, de son nom? hein?
Bien sûr, je ne lui dirais rien de tout ça. Je ne veux pas la fâcher.
Je hoche à nouveau la tête et m'apprête à parler, mais mes lèvres gercées sont collées et m'empêche momentanément de dire quoi que se soit. Après un bref et faible effort pour les décoller et les soulager d'un coup de langue, j'articule enfin quelque mots.

"C'est bien..."

Ouai, c'est bien... t'aurais quand même pu dire autre chose, elle risque d'être vexée. De plus, ton désintérêt pour sa bébête se voit vraiment trop... fait un effort quoi!
Je ne veux pas avoir plus d'ennui que je n'en ai déjà. Pour ce, je joue le jeu.

"Et euh... vous travaillez ensemble... depuis longtemps?"

Oui c'est bien... parle lui de son animal comme si c'était quelqu'un à part entière. Elle va être contente, sûrement.
Je lui accorde un faible sourire douloureux qui a pour seul conséquence que mes lèvres se fendent à nouveaux. Je grimace et lèche la goutte de sang qui commençait à perler doucement.
Je redirige mes yeux sur l'animal, méfiante.

La jeune femme hoche la tête. Elle a l'air mal. Et je ne sais pas si c'est elle qui sent comme un être mauvais, ou si elle a seulement pris l'odeur de la place, obligée de vivre collée sur des gens qui puent la méchanceté et le crime. Je plisse le nez. Je vais probablement finir par sentir le mal moi aussi. J'espère seulement qu'Arcturus saura me reconnaître, malgré cela. Je ne suis pas mauvaise. Oh et puis, je n'ai pas à m'en faire. Je l'ai avec moi depuis tellement longtemps, que je pourrais commencer à sentir la viande fraîche qu'il ne s'en soucierait même pas d'un poil.

Je vois bien qu'elle n'en a rien à faire du nom d'Arcturus. Au moins n'a-t-elle pas insisté pour que les présentations soient faites entre elle et moi, car là, elle aurait bien que c'était à mon tour de m'en ficher royalement. Artcurus passe sa langue humide sur son museau, se décide enfin à tourner la tête vers moi. Seulement, quand elle recommence à parler, il ramène son attention sur elle, presqu'immédiatement.

-Et euh … Vous travaillez ensemble … depuis longtemps ?

Quelle drôle de question, je songe, mais probablement d'usage dans les circonstances. Si elle avait croisé un policier et son collègue et que ceux-ci avaient eu l'air de posséder une parfaite entente, elle aurait probablement posé la même question. Je hausse les épaules, passe ma langue sur mes lèvres. Pas parce qu'elles ont besoin d'être humidifiées, mais bien parce que comme quand quelqu'un bâille, le voir faire nous y pousse aussi, d'une manière pratiquement inéluctable.

-Pas d'puis longtemps, je dis en baissant les yeux sur mon compagnon à poil et à pattes. On vient d'commencer l'service ensemble.

C'est la réalité. On n'a commencé à travailler ensemble que depuis que j'ai été forcée de ici, et d'emmener quelques-uns de mes chéris avec moi. Cruel destin que le leur. Ils n'ont pas mérité cela. J'aurais peut-être du laisser Arcturus là-bas. Il aurait continué à vivre comme un animal sauvage. Mais, égoïstement, je n'aurais pas pu affronter la captivité sans lui. Je voulais l'avoir avec moi dans cette épreuve. Deux animaux sauvages enfermés ensemble. Ils ne se battront pas, mais ils affronteront le monde, protégeant leur affection l'un pour l'autre et ces années de bonheur qu'ils ont eu ensemble. Une lutte pour la liberté qu'ils souhaitent tous deux retrouver un jour.

Je froisse le papier dans ma poche, d'un geste presque rageur. Mes ongles le grattent, commencent à le briser, légèrement, presque juste pour racler l'encre qui a servi pour l'écrire. Je déteste ce papier. Je déteste les mots. Je déteste l'encre. Je déteste la personne qui l'a écrite, même si la signature est illisible et que j'ignore de qui il s'agit. Je grimace légèrement, Arcturus se relève et frotte sa grosse tête pleine d'amour à donner sur ma cuisse. Ma main quitte ma poche et vient le gratter entre les deux yeux. Il pousse un petit gémissement plaintif, comme s'il partageait ma peine. Je reporte mon attention sur la femme qui est devant moi.

-Z'avez tué des gens ? je demande sans préliminaires précédant ma question.

À vrai dire, je ne demande pas ça parce que ça m'intéresse ou que ça a une quelconque importance. Non. Je le demande seulement pour penser à autre chose qu'à ce maudit papier réduit à un chiffon illisible dans ma poche.