Première Tournée [PV Zezelj-chou]

Je regardais les lieux et tentais de me repérer dans mon nouveau Lieu de vie. Je me sentais perdue dans mon uniforme allemand avec mon sachet de petits légumes coupés. Je pris une tomate cerise et la croqua avec gaité. C'est déjà plus joli que chez l'autre scientifique ici ! Je me mis à chanter en allemand.

"Hoppe Hoppe Reiter
Eine melodie im wind
Mein herz schlägt nicht mehr weiter
Und aus der Erde singt das Kind."

Les prisonniers me fixent bizaremment et je les regarde d'un air sévère. En même temps je les comprenais...Une allemande ici...Je m'arrêtais un instant en voyant quelqu'un approcher. (A toi Zeze ! )

[C'est quoi tous ces surnoms ? n_n']

Naaaon ! Reviens petit papier, je t’en priiie ! C’est presque impossible d’enchaîner autant de bourde que moi. Je me promenais tranquillement. Non, en fait, j’essayai de fuir un autre gardien qui m’avait gentiment proposé de l’accompagner dans les douches. Etrangement, je fuyais plus mes congénères que les prisonniers. Comme quoi, qui se ressemble s’assemble, et je ne suis pas un gentil gars. Certes je n’ai pas tué, violé, détourné je ne sais quoi, mais ma façon d’être et de penser est suffisamment déstabilisante pour un petit bourgeois. De ma poche j’avais sorti un papier, gribouillé n’importe comment à première vue. C’était un dessin. Non pas de moi, mais d’un gamin de mon ancien quartier, quand j’étais encore libre. Car libre à présent je ne le suis plus, enchaîné à cette prison comme un chien à sa niche. Un chien de garde malmené par sa chienne de vie.

Puis je ne sais comment, j’avais lâché le papier. Un instant d’absence sûrement, à la vue d’un canon de beauté qui était passé sous mon nez. Puis voilà le papier qui glissait, porté par je ne sais quelle brise, et évitait mes mains avides que je lançais furieusement vers lui. Quelques uns riaient de me voir courir ainsi après un morceau de papier, d’autres me regardaient avec étonnement, mais je n’en avais rien à faire. Ce dessin est sûrement l’une des rares choses qui me rattache à mon passé, en plus d’avoir le numéro de téléphone de toutes mes conaissances marquées au verso.

Puis je m’élance et, je l’ai ! Ma main se referme sur ce morceau froissé de papier, un sourire s’étale sur mes lèvres puis je tombe par terre, content toutefois. J’ai réussi mon plaquage ! J’atterris toutefois aux pieds d’une inconnue, me heurtant la mâchoire au sol dans un bruit détestable. Je lève les yeux, découvrant au dessus de moi une grande tige aux cheveux blonds et aux yeux bleus. Le saint esprit ? A mon avis non, car la demoiselle a l’air bien trop sévère et pied à terre pour un ange. Je ne tenterais pas même un sourire, me sentant comme un gamin qui va se faire gronder.

Je soulève l'étrange être pour le remettre debout et le regarde avec un air inquisiteur de haut en bas. Etrange animal que voilà.

-Was machst du hier kleine Archlor ? Du bist so kleine fur dieses job.

Je me souvins que les gens parlaient français ici et que l'allemand avait tendance à effrayer surtout que j'avais une voix assez forte ce qui rend la langue agressive. Je pris un air plus doux malgré le fait que mon accent allemand très prononcé rendait la traduction difficile.

-Ach ! Je zuis dézolée klein Bonhomme ! Je fiens d'allemagne je ne zuis pas habiduée à cette langue. Que fais-du izi ?

Si jamais il se moque de mon accent je l'exécute.

Voilà qu’une main me happe, et je suis obligé de me redresser. Puis voilà la demoiselle qui me dévisage comme si j’étais une étrange bestiole. Mon sourire s’efface, je remets mes cheveux en place, puis me retient fortement de lui donner un coup de tête. Certes, je ne parle pas l’allemand, mais j’ai un répertoire à gros mots qui m’a permis d’en repérer dans sa phrase. Je fais les gros, yeux, m’apprêtant à remettre cette vipère dans son trou avant de l’enfumer.

Toutefois avant que je n’ai pu esquisser le moindre geste elle se reprend, en français cette fois. Je comprends à peu près le français. Mieux que l’allemand en tout cas. Quoi qu’il en soit son accent si dur me rend incapable de tout comprendre. Etrangement, ses propos sonnent plus… propre dans cette langue. Toutefois je ne peux m’empêcher de pouffer à la vie de ce gloubi boulga franco-allemand. C’est catastrophique. Mon fou rire ne durera pas longtemps, je ne tiens pas à attirer l’attention, je suis assez étrange, que je n’en rajoute pas sur mon sort.

« Excusez moi j’ai rien compris… »

Je ris sous cape, un sourire narquois sur mes lèvres. Je ne veux pas paraître irrévérencieux, mais il faut dire ce qu’il est : j’ai rien capté du tout !

Nom d'un chien mais il se fout de ma gueule ! Je vais l'écraser ! Je le soulève et le laisse retomber comme une merde par terre. Je vais m'expliquer en anglais il comprendra peut-être

- Oh Sorry ! I can't control my strength...I'm german you see. That's why I can't speack french very well...

Je souris méchamment puis le rammasse pour l'épousseter. Puis je lache une petite insulte en chinois pour me défouler.

-Tongje...(Lire Tongdjeu ce qui signifie homosexuel en vulgaire.)

Mince, elle l’a mal prit. Je n’y peux rien, je suis moqueur. Je me laisse surprendre, ne pensant pas qu’elle en arriverait jusqu’aux mains. Faut dire que deux mètres dix sept et aux alentours de cent kilos, je ne suis pas facile à soulever, et faut y aller pour me faire décoller du sol. Une sacrée force, cette nana, mais je ne suis pas en rade. Toutefois je suis tombé par terre sous la surprise. Mais au moins j’ai comprit ce qu’elle a dit. A peu près. Comme toujours. Je ne manie que facilement le bosniaque, l’arabe et le français, je sens qu’on va mal s’entendre. Rectification. On s’entend déjà mal. Elle me remonte, mais je me serais passé de son aide. D’ailleurs elle me crache une ultime insulte au visage. Je n’aime pas qu’on m’insulte, surtout quand je ne comprends pas.

Les relents de flic habitué à la matraque reviennent. Je la décroche, et c’est à mon tour de taper, ou plutôt de bloquer. Je la retourne contre le mur, ses bras dans son dos, ma matraque entre eux, appuyant entre ses omoplates, une de mes jambes bloquant les siennes. Quelques détenus détalent, d’autres regarde avec curiosité avant de se barrer en vitesse. Une bagarre de gardien, c’est violent. Plus que celle des détenus car eux sont armés…

En un français lent, correct et sur un ton froid, je prononce quelques mots.

« Insulter n’est pas le meilleur moyen de régler ses comptes, et moi aussi je sais frapper. »

Je profite de ma force de bœuf, mais là, je ne m’en voudrais pas. Ou presque pas. Je m’emporte vite et me met facilement en galère. Qu’importe. Je la relâche, me reculant de quelques pas, remettant ma matraque à sa place. Voilà, les remords arrivent dans ma caboche misérable. Je me mords la lèvre inférieure, remontant mes épaules, apprêtant à parer tout coup qu’elle pourrait me donner. C’est le genre de demoiselle qui riposte. J’aime me battre, mais certains lieux et certaines personnes sont à éviter.

Je le sens me plaquer au mur. J'aime bien qu'on riposte. Je l'aime bien ce grand truc finalement ! Je souris et quand il me relache lui tends la main. Je parle alors moi aussi très lentement pour mieux articuler.

-Je suis Maria von der Kreuz. Enchantée. Et toi tu es...

Je souriais et sortit mes petits légumes pour croquer une carotte. Au moins j'avais prouvé que je ne me laisserai pas marcher sur les pieds.

J’aurais pensé me retrouver à terre, rué de coup et d’insulte mais à la place, main tendue et calme plat ! Je n’ose pourtant pas saisir sa main. Elle peut très bien en profiter pour me tordre le poignet. Je suis très craintif quand je risque de me faire blesser. Comprenez moi, quand on a peur du sang, on fait attention à ses moindres gestes. Une coupure et c’est la nausée assurée. Elle se présente, cette fois en articulant. C’est plus intelligible ainsi. Maria. Prénom simple mais de Dieu, quel nom compliqué ! Von der Kreuz. Je tends ma main, la retire, puis finalement prend la sienne, emprisonnant sa main dans ma grande paluche pour parer à tout genre d’attaque. Mes yeux restent plantés dans les siens. Le ciel contre la mer. Moi le ciel, elle la mer. Agitée, la mer. Je suis en plein pic de stresse et ça se voit. Je suis crispé, et le contact physique n’en est que plus douloureux. Je prononce toutefois quelques mots.

« Zezelj Stjepan. Pas très enchanté pour ma part. »

Allait elle savoir quel mot était le prénom, l’autre nom, rien à fiche. Elle pouvait même croire que ce n’était qu’un mot. J’étais si habitué à que l’on écorche mon identité qu’à présent, je m’en foutais. Pour le « pas très enchanté », c’était tout à fait vrai et ne m’en cachais pas. J’étais ainsi, direct et brutal, doux et mielleux parfois. Tout dépendait de mon humeur. Je laissais ma main dans la sienne, mes yeux dans les siens alors que ses dents blanches croquaient avec une malice presque révulsante quelques légumes. De vrais hachoirs que ses dents, j’en avais presque peur. Mon regard finit par se décrocher du sien, fixant un point au dessus de sa tête.

Je souriais. Pas très sur de lui le grand dadet. Je sens son stress comme si c'était le mien. Je ris puis lui tends un petit légume.

-Tu en veux un ? Ca détend tu sais.

Mon sourire ne se détachait pas de mes lèvres. Décidément il est marrant c'ui-là. Je remarque enfin qu'il fixe mes yeux intensément. Ouh là mon gars tu devrais éviter. En effet, toutes les horreurs que j'ai commise sont visibles dans mes yeux. Ces yeux que le docteur m'a greffé pour faire une expérience. J'ai jamais eu à m'en plaindre. Je ne détourne pas les yeux pour autant. Il veut voir l'horreur qu'il la voit. J'ai l'impression cependant de l'inquièter. Serait-ce mes dents ou mes yeux de chat qui l'effraient ?

-Ok ! Tu permets que je t'appelle par ton prenom Stjepan ?

Je pense ne pas avoir écorché son prénom. Il apprendra à m'apprécier avec le temps. J'suis pas un monstre ! Comment ça si ?

Elle me propose un légume, je refuse d’un signe de tête. Ce n’est pas que je n’aime pas, mais j’ai la gorge nouée. J’ai lâché sa main. Elle n’a émis aucune protestation contre ma poigne brutale, n’a rien tenté. R.A.S. mon gars, tu peux relâcher les reines. Ce que je fais. Je cesse de me tenir droit comme un piquet, je relâche tout mes muscles, met mes mains dans mes poches, jouant à l’intérieur avec mon briquet. Quel dommage, interdiction de fumer dans l’enceinte de la prison. Quoi que je ne me prive pas pour fumer dans ma cellule. D’ailleurs je n’ai pas encore croisé mon colocataire, à croire que c’est un fantôme. Qu’importe, je suis très bien dans ma solitude.

Elle me demande si elle peut m’appeler par mon prénom. Yes ! Rien que le fait qu’on le prononce à peu près correctement, le distinguant surtout du nom me met en joie. Je cligne trois fois des yeux, tout d’abord abasourdi. Dire qu’avant on s’en mettait plein la poire. Ma mâchoire se décroche légèrement, mais je parviens à articuler quelques mots.

« Euh, ué si ça peut vous rendre heureuse. »

Un haussement d’épaules, un demi sourire pour toute marque de ma joie. J’aurais peut être dû accepter un légume. Ca détend à ce qu’elle dit, mais cela m’aurait empêché de penser « tabactabacclooopeyaaahtabactabacfumeeeer »… Quelle délicieuse litanie que le manque de nicotine.

« Et moi je peux vous appeler par votre prénom ? »

Je souris et dis d'une voix que je veux calme et agréable même si elle est dure comme de la pierre.

-Ja grand truc ! Appelle-moi Maria ou Kreuz ! C'est toi qui fois. T'es pas français nan plus toi !

Je regardais les prisonniers partir au fur et à mesure de notre discussion. Le spectacle était terminé pour eux.

-Depuis combien de temps es-tu ici ? T'es sur que tu feux pas de petits légumes ?! C'est pon pour la santé !

Je souriais de m'être fait un pote-rival. Il en faut un en tout pour mieux se booster.

Grand truc ? J’en reste coit. J’ai quoi de grand ? Et de truc ? Ma taille, mes cheveux verts ? Me voilà sous le quolibet de grand truc. Un détenu pouffe, un autre roule des yeux. Je l’appellerais Maria. Kreuz ça fait… Rustre. Creuse, bagnard ! Maria c’est plus doux. Ca fait « avé Maria »… Moi ça a l’air bien parti pour grand truc. Truc, tête de turc… Houlà, je me lapide moi-même. Mais c’est vrai que j’ai une jolie bouille de victime, et c’est encore plus affolant quand l’on me connaît. Moi, incapable de tenir debout quand je vois du sang couler, moi qui pleure quand je suis déçu d’un rien… Je souris, puis lance d’une voix joyeuse quelques mots comme vengeance.

« Je vous nommerai Maria, crocodile végétarien ! »

Etrange, je la voyais plus déchiqueter de la viande et écraser des os que manger des légumes. Pourtant, elle en avalait devant moi. Derrière son ton joyeux, qui se cachait vraiment ? Un monstre, à n’en pas douter. Puis je réponds au reste de ces questions, sans être affolé cette fois.

« Je suis bosniaque, ça s’entend pas ? »

Je forçais mon accent, le rendant aussi fort que celui de la demoiselle, quoi que le mien restait plus doux. Une voix légèrement pincée, et me voilà qui parlai comme si j’avais un truc –ça parle beaucoup de truc, en ce moment !- chaud dans la bouche… A ce rythme là, j’allais me faire dégoupiller. Je me moquais, mais c’était ma façon à moi de la tester.

« Je suis là depuis pas longtemps. Deux semaines je crois, je n’ai pas la notion du temps… Et vous ? »

Je passais du vouvoiement au tutoiement selon la conversation, je n’arrivais pas à me fixer. Vouvoiement ou tutoiement ? Zut. Distance ou familiarité ? La distance est obligatoire, je me méfie, mais en même temps, je ris comme si c’était une amie… Elle me repropose des légumes, et cette fois je m’avoue vaincu.

« Un morceau de carotte suffira. Le manque de nicotine me coupe l’appétit. »

Voilà c’est dit, mais le vide n’est qu’à moitié comblé. Ce manque à tendance à me rendre nerveux, brutal.

Je souris quand il me nomme crocodile végétarien. Je ris de bon coeur. Ce grand dadet est un comique tiens donc. Je lui mets une grande tape amicale dans le dos. Je lui dis en essayant de m'exprimer bien mais mon accent roule les "r" et transforme les "v" en "f".

-Je suis ici depuis aujourd'hui. J'espère que je me ferai des amis.

Je sentais son inquiétude face à mes yeux. Il a vu l'horreur. Pourquoi je paris qu'il me prend pour une canibale et une mangeuse de viande. C'est justement parce que j'ai vu trop de viande froide que je suis végétarienne. Je souris quand il m'annonce qu'il est en manque de nicotine. Je sors un paquet de chewing-gum et le lui tends.

-C'est menthe-nicotine. C'est pour arrêter de fumer. J'aime bien le goût.

La demoiselle me dit qu’elle st là depuis seulement aujourd’hui. Eh bien ! J’ai pourtant l’impression qu’elle vit ici depuis toujours ! Elle est si détendue. Moi le premier jour, je ne pouvais rien avaler et je l’ai passée terré dans ma chambre. Ce n’est que le troisième jour que j’ai osé prendre mes fonctions de gardien. Pour ce qui est de se faire des amis, c’est bien parti ! Coup dans les dents, gros mots, regards suspicieux. On est bien parti, nous deux, espérons qu’elle soit plus sympathique avec d’autres qu’avec moi.

Elle me tend un paquet de ce qui ressemble être fortement du chewing-gum. Je le regarde avec curiosité, et en prend un, avant d’afficher une mine affreuse quand elle me dit que c’est pour arrêter. Je n’ai aucune attention d ‘arrêter, moi. J’aime trop ça. Toutefois cela me permettra de patienter jusqu’à ce que je puisse me cacher dans un coin sombre et en griller une. Je l’enlève de son emballage et le met dans ma bouche. La conversation suit son rythme, je lâche un petit « merci » et la regarde de nouveau, planté comme si j’étais au garde à vous.

« Première journée, pas trop difficile ? Et si on marchait un peu ? je dois faire ma ronde moi. »

Je lui tends mon bras, comme je le fais avec toutes les demoiselles, l’invitant à poursuivre sa route avec moi, histoire de faire plus ample conaissance…

Je ris devant sa tronche de déterré quand je lui donne le chewing-gum.

-C'est pas un chewing-gum qui te fera arrêter. Relax !

Je prends à mon tour un chewing-gum et fait une grimace quand je sens la nicotine. J'adore ce goût amer. Quand il me tends le bras je le regarde assez sarcastiquement.

-Laisse tomber j'ai pas besoin d'un bras pour marcher.

Je mets mes mains dans mes poches et avance avec lui. Je suis pas comme les autres femmes moi. J'ai toujours su me débrouiller presque mieux qu'un homme.

Elle me rassure me disant qu’un seul de ces barres en caoutchouc ne me fera pas arrêter, et je souris légèrement. Un sourire forcé, mais un sourire tout de même. Elle en prend elle un aussi, me prouvant qu’ils ne sont pas empoisonnés. C’est rassurant, mais si ça se trouve, elle résiste aux intoxications, elle paraît avoir la peau dure, pourquoi pas l’estomac aussi ? Puis elle refuse mon bras, je le laisse donc tomber sur le côté. J’aurais dû m’en douter, elle ressemble plus à un homme qu’à une lady. Elle met ses mains dans ses poches, moi je me contente de les laisser pendre lamentablement, près à saisir à ma matraque au moindre problème. Un prisonnier siffle quand je passe aux côtés de lui, limite si il ne me crache pas dessus. Je n’en suis pas inquiété, flic, j’ai toujours vécu ça. Je ne sais que dire, quoi faire, je la regarde, marche à ses côtés, reste silencieux.

« Comment êtes vous atterrie là ? Par choix ? »

Question utile pour moi, que je sache si je suis le seul pauvre bougre à être dans mon cas ou si il y a d’autres personnes qui comme moi ont été « mutées »… Si on peut dire ça ainsi. Plutôt éjecté de la société à mon avis.

Nous marchons tranquillement et je le vois se faire siffler. Je grogne et le regarde avec sérieux.

-Tu te laisse insulter comme ça ? Fais donc respecter ton autorité.

Je chope le détenu et le soulève par le col contre le mur.

-Schwein Hund ! Je fais te faire regretter !

Je lui colle une flanquée de mandales avant de le laisser par terre.

-Ca t'apprendra. Barre-toi afant que je fasse un rapport...Ca t'apprendra à te comporter comme ça !

Je le regarde filer et sourit à Stjepan.

-Je suis venue ici par obligation. Car sinon j'aurai fini en prison mais en tant que prisonnière pour crime contre l'humanité.

Si moi je laisse tout couler, comme l’eau sur roche, elle cherche à tout maîtriser. Elle me gronde, ou du moins c’est comme ça que je le prends. Je la regarde méchamment, non pas comme si je la haïssais, mais comme un gamin qui n’aime pas qu’on lui reproche quoi que ce soit en grognant « laisse moi tranquille, chuis assez grand pour me débrouiller seul » Je la regarde le soulever et lui flanquer une correction, posant brièvement ma main sur son épaule pour lui signaler que ce n’était pas utile avant de la retirer comme si elle m’avait brûlée.

Faire un rapport ? Elle irait jusque là ? Peut être que je suis trop mou et qu’elle a raison, mais être méchant n’est pas vraiment dans mes cordes. Je peux certes me montrer odieux, mais je ne me sens pas encore suffisamment à l’aise pour mettre une dérouillée à chaque idiot –ou idiote, je n’hésite pas à frapper les femmes- qui passeront sous mon nez. Puis j’écoute la réponse du crocodile allemand, et je me demande pourquoi je n’ai pas tenue ma langue. Crime contre l’humanité ! Je suis le seul être sensé par ici ? Peut être. Ou peut être que moi aussi, je n’ai plus toute ma tête. Les neurones détruits par els excès… Je risque d’avaler le chewing-gum en ravalant difficilement ma salive, regardant droit devant moi, n’hésitant pas croiser son regard.

« Rien que ça… »

Quoi qu’il en soit quand elle parlait avec moi elle articulait, c’était déjà pas mal. Je la comprenais, mais peut être aurais je préféré ne pas la comprendre… Toutefois je suis curieux.

« Et quoi comme crime contre l’humanité ? »

Je redescend mon regard vers elle, effleure d’une main les murs que je longe, ne faisant pas attention aux détenus qui nous observent.

Je regarde mon ami et sourit en rejettant ma tresse derrière. Je lui dis ou pas ? Bah essayons par devinette...

-La Shoah ça te dit rien ? Expériences, camps de la mort ?

Je ris même si c'est pas marrant. J'ai mal...Je me souviens vaguement des horreurs que j'ai comise.

-J'ai pu échapper à la prison en faisant parler les prisonniers politiques de France pendant la guerre du golfe. Mais bon la guerre une fois fini j'ai eu que ce job ! Ca me va !

Je n'ai pas envie de lui parler de Lui...Je veux l'oublier. Comme tout les morts...

Elle n’avait pas besoin d’en dire plus. Bien sûr que cela me disait quelque chose ! Je suis tzigane. Je sais que de nombreuses personnes ont été exterminées dans ma famille. Mon rang de flic m’a protégé, mais pas mes cousins. Je m’arrête brusquement, tapant sur le mur, la regardant non pas comme si elle était un monstre, mais un insecte répugnant. Et les insectes, il faut les exterminer. Elle rit, c’est pire. J’ai envie de lui crier qu’il n’y a rien de drôle, de la ruer de coups, mais je ne peux pas. Je plaque mon dos au mur, alors qu’elle parle de faire parler des prisonniers. De la torture, ça se comprend facilement. Le sang me répugne au plus haut point, et quand on me dit torture, je vois tout un tas d’instrument qui servent à faire mal et couler le sang. La torture morale a elle aussi sa place, mais c’est bien els inconvénients physiques qui me marquent le plus. J’ai l’estomac sensible, moi.

Elle ne semble pas être dérangée par ses propos, mais je le suis à sa place. J’ai envie de la bâillonner, les souvenirs remontent en moi, j’ai mal. Finalement, je laisse échapper ma tristesse, la regardant, suppliant.

« Tais toi. »

J’ai envie de m’asseoir par terre, me recroqueviller sur moi-même, mais je me contenterai de baisser la tête, regardant le sol, les mains contre le mur, les épaules voûtées.

« Tais toi. »

Je n’aime pas cette période sombre de l’humanité, et penser ne serais-ce qu’à avoir une nazie en face de moi me répugne. Je revois le visage de la sœur de ma mère, souriante, qui a disparue lors de cette période. Qu’il est dur d’être différent, parfois. Surtout quand on est faible.

Je le regarde peinée. Mince...Une victime. Si ça se trouve j'ai vu des amis ou de la famille à lui...Je n'ose pas le toucher. Je crois que je dois lui expliquer.

-Je suis désolée Stjepan. Tu sais on a pas choisi nous autres allemands. On se fait enroler de force. Sous peine d'être accusé de collaboration et d'être torturé. Je suis désolée mais quand tu porte des souvenirs comme ça. Si tu ne ris pas tu en meurs. Tu ne porte pas des visages contorsionnés de douleurs dans ta mémoire. Tu ne peux pas comprendre ce qu'on ressent nous les ex-SS. On a pas choisi.

Je regarde ailleurs. Oui je suis un monstre mais j'aurai préféré être une femme comme les autres...

Elle se rend compte que j’ai été blessé, cherche à se rattraper, mais ce sont les souvenirs qui m’ont happé. Ses paroles ne servent pas à grand-chose. J‘entends que torturé, meurs, contorsionnés de douleur… SS. Bien sûr les autres propos l’effleurent, mais ce sont les mots qui le frappent. Chacun ses souvenirs, chacun son vécu. Je suis très fragile psychologiquement, et le moindre souvenir peu sympathique me fait frémir d’horreur. J’ai déjà les yeux qui s’humidifient, et je me mords un doigt pour ne pas me mettre à chialer comme une gonzesse. On n’a pas choisi hein ? On a toujours le choix. Je la regarde, avec douleur et presque une férocité qui ne m’appartient pas. Comme j’ai souvent rêvé d’étrangler l’un de ses monstres… Mais à ses dires, elle n’est pas l’une des amies du gazage. Je reste toutefois raide, ne pouvant pas bouger ni articuler une phrase compréhensible, tant mon accent ressort.

« Et toi tu peux comprendre ce que je ressens ? »

Un regard noir et brouillé par les larmes qui montent et que je tente de retenir. Peut elle comprendre à quel point j’ai été troublé par cette période ? Comment j’ai été lapidé par des gosses de mon âge de par la faute de mes origines tziganes ? J’ai peur, je suis fatigué, harassé, triste, haineux, en colère. Tout se mélange, m’accablant encore plus que je ne le suis.

Je n'ose ni le regarder ni le toucher. Mon pire cauchemar est arrivé...Voir une victime. Je porte pas cette uniforme par provoque comme on le pense souvent. C'est ma punition. Je le porte pour être rejetée par les victimes. Je veux mourir dans les pires souffrances pour expier mes fautes. Je me place devant lui et lui tends mon couteau d'assaut après l'avoir pris dans ma bottine.

-Tues-moi. Charcute-moi parce que j'ai fait des expériences horribles mais sache que je ne touchais les femmes et les enfants. Je ne prenais que les criminels.

Je laissais mon coeur en vu libre. Tues-moi j'attends que ça. Libère-moi de ma souffrance. Tu vengeras les tiens comme ça.

Elle me tend un couteau à ma grande surprise. Abasourdi, je le saisis délicatement, regardant la lame effilée luire à la faible lumière qui règne dans le couloir, joue un instant avec. Ca se voit que je suis habitué à manier ce genre d’armes. Un mouvement souple du poignet et elle fait un cercle parfait, puis je faillis la laisser tomber aux mots de Maria. Tue moi. Un instant la lame se retrouve soutenue par un poignet plus ferme que la seconde d’avant, mais je n’esquisserais pas le moindre geste. Je ne suis pas un tueur. Et j’ai horreur du sang. Si un jour je tuerais, je m’arrangerai pour que le sang ne coule pas.

Toutefois je ballade un instant la pointe de la lame, sans la toucher, sur son corps. Partant des lèvres, risquant d’effleurer la gorge, m’arrêtant au nombril après avoir glissé sur sa poitrine, puis je vais jusqu’à sa main, et lui tends le couteau par le manche pour qu’elle le saisisse. Mes yeux se baissent, et je prononce quelques mots difficilement.

‘Te tuer ne servirai à rien. Les morts sont morts, et la vie est un trésor que je ne t’ôterai pas. »

Je m’arrête, je soupire, ferme les yeux, les rouvre, cette fois regardant la demoiselle droit dans les yeux.

« Et si je voulais te tuer, j’éviterais de faire couler le sang. »

Je rougis légèrement d’avoir à demi avoué ma peur de l’hémoglobine qui me poursuit et me ronge de l’intérieur. J’ai parlé lentement, très bas, pour bien peser mes mots. Puis je lâche, presque contre moi-même. Comme ça, sans m’en rendre compte.

« La moindre goutte de sang me fait faire un malaise. »

Hop, rouge tomate, ce qui contraste avec mes cheveux verts. Au secours, j’enchaîne des tas de bourdes ! Au moins, le moment difficile est passé, la conversation redevient petit à petit légère.

Je le laisse me parcourir avec la lame sans bouger. C'est pas la première fois que ce genre de chose me parcourt. Je n'en ai plus peur. Il m'avoue sa peur de l'hémoglobine. Comme je le comprends. Mais j'ai appris à m'y habituer car tout mes rêves sont pleins de sang.

-T'es trop généreux.

Je range la lame et l'enlace. Je pleure contre lui chose qui ne m'arrive jamais d'habitude.

-Je suis impardonnable je le sais mais je te remercie pour ta tolérance.

Je sèche mes larmes de façon à ce qu'il ne les voit pas je le dégouterai s'il les voyait. Je me relève et lui tend la main. Arrivera-t-il à toucher une main jadis couverte de sang ?

-Je comprends ta peur. Je suis végétarienne car j'ai vu trop de sang justement.

J'ose esquisser un sourire rassurant. Ne t'inquiète pas Stjepan je ne te ferai aucun mal.

» Zezelj Stjepan