Et si on parlait... [Maybeth, bien sûr !]

Une main crispée sur mon cœur, la respiration sifflante et un cri coincé dans la gorge, je panique. J'ai toujours ma main gauche sur la poignée de la porte. Il ne semble y avoir personne dans mon bureau, mais la porte refuse de s'ouvrir au complet. Quelque chose la bloque derrière. Peut-être quelqu'un qui veut me tuer… Peut-être quelqu'un qui en a après moi… qui veut me faire une mauvaise – mais alors là très mauvaise – blague. Je pousse encore un peu sur la porte, histoire de m'assurer que je n'ai pas seulement halluciné une résistance. Non, c'est bien là, et ça pousse un petit couinement surprit. Moi aussi je pousse un couinement, mais un couinement effrayé, tout petit.

Je recule de quelques pas en entendant du bruit derrière la porte. Ça y est, le type sort son arme, va surgir devant moi et me menacer en échange de je ne sais pas quoi, ou simplement parce qu'il meurt d'envie de me ficher une trouille bleue. Je déglutis en voyant un pied apparaître, suivi d'une main sur la porte et d'un corps chétif orné d'une tête noire bleutée aux traits franchement androgynes. Je recule d'un pas, la bouche close, lèvres pincées. Le type lance un regard vers moi que je ne peux pas interpréter dans l'état où je suis. Comprenez-moi, je rassemble toutes les caractéristiques d'une poule mouillée et en ce moment, je ne suis pas capable de me concentrer. Je jette un rapide coup d'œil à ses mains. Vides. Je pousse un léger soupire de soulagement et laisse tomber ma main le long de mon flanc.

-Tu m'as fait peur, je dis.

Notez ici que le tutoiement ne signifie pas que je connais cet homme. – enfin, plus je le regarde, plus il me semble que c'est un garçon, poitrine plate, regard aiguisé… - Je ne l'ai même jamais vu de ma vie. Disons plutôt qu'avec mon travail, on essaie toujours de mettre le moins de distance entre le patient et soi.

Lentement, mon cœur reprend un rythme normal et je peux examiner avec plus d'attention le spécimen que j'ai sous les yeux. L'air égaré, il n'a pas l'air sûr qu'il veut être ici. Quoi de plus habituel. Des gens comme ça j'en rencontre toutes les semaines.

-Je peux faire quelque chose pour toi? je demande.

J'ai l'impression assez désagréable qu'il m'inspecte, comme moi je le fais avec mes patients. Intimidée, je détourne le regard, comme je le fais toujours quand on me regarde avec autant d'insistance. C'est dans ces moments-là que je me dis que je n'aimerais pas être l'un de mes patients.

"J'ai trouvé la salle vide... et calme. J'aime bien le calme... Alors j'y suis rentré... Mais si c'est votre... bureau... je vais partir."

-Oui en effet, c'est mon bureau mais…

Il fait un pas vers moi. Aussitôt je me recule. Ridicule. De quoi je peux bien avoir l'air dans ce genre de situations? De pas grand-chose si on me demande mon avis. Je finis par me raviser. De quoi dois-je avoir peur? D'accord je ne suis pas dans la sécurité de mon bureau, la porte est ouverte et personne ne surveille parce qu'on ne sait pas que je m'y trouve, mais quand même… Je ne vais pas faire la trouillarde toute ma vie. Je fais un pas en avant, histoire de reprendre l'emplacement que j'occupais quelques secondes plus tôt. En plus, je le vois dans ses yeux, cet homme me ment ouvertement.

-Je ne vais pas te forcer à rester, mais tu étais venu pour un entretien n'est-ce pas?

Il ne me répond pas. On dirait qu'il est mal à l'aise avec l'idée de rentrer ici et de me parler comme à une psychologue. Je force un sourire.

-Ne t'en fais pas, je ne suis pas méchante, et je n'irai rien raconter à personne. Il n'y a pas de honte à consulter.

Je lui indique la chaise devant mon bureau, mais laisse toutefois le champ libre entre la porte et lui. Je lui fais clairement comprendre qu'il est libre de faire ce qu'il veut.

Je le regarde s'éloigner de moi, et respire un grand coup. Ce n'est pas que je n'aime pas qu'on entre dans ma bulle, mais il y a un peu de ça. Comme beaucoup de gens l'ont fait avant lui, il part s'installer à la fenêtre, seul réconfort de bien des gens, et cause de nombreuses crises puisqu'elle donne sur notre liberté perdue.

"Je ne suis pas quelqu'un de bavard normalement... Mais la prison m'a changé. Non... cette prison m'a changé. L'autre n'avait pas eu cet effet sur moi. Ici, je ne suis plus moi même..."

Eh bien… pour quelqu'un qui n'est pas bavard, je trouve qu'il se met à parler plutôt rapidement. Surtout si on prend en compte le fait qu'il ne voulait pas entrer au départ. Je note facilement la douleur dans sa voix.

"Peut être faut il que je commence par me présenter: Alec Praens, celule B, matricule 305278."

Je réprime une grimace quand il me donne son matricule. Je n'ai jamais adoré cette manière de traiter les humains comme des articles en série. Ce n'est pas ce qu'ils sont après tout. Si on devait m'appeler par une série de chiffre, je pèterais un plomb – un de plus. Je ferme la porte et vais m'asseoir à mon bureau, là où je me sens plus à ma place pour interroger quelqu'un.

-Bien Alec, je dis avec la douceur qui m'est coutumière. – j'ai prit grand soin de prononcer son nom pour qu'il sache que je ne fais pas partie des gens qui se servent des matricules et ainsi le mettre plus en confiance – Je m'appelle Maybeth.

Je ne donne pas mon nom de famille parce que ça incite les gens à m'appeler madame Greene. Je préfère grandement qu'on se serve de mon prénom quand on s'adresse à moi.

-Quelque chose de déroutant t'es arrivé pour que tu aies envie de parler tout d'un coup?