Suivez le guide [Doc'- Dama]

[on vient de l'église mais le topic est situé dans le couloir]

Damara semble tenir à cette histoire de Paradis. J'ignore pourquoi. Cette notion est tellement complexe à mes yeux que je ne suis pas certain d'en saisir tout le sens. Qu'est ce que le Paradis ? Un lieu ? Une idée ? Une personne ? Un état peut-être ? Malgré ce qu'on nous apprend, je pense que chacun à son propre paradis. Qu'il y croit ou pas. Et quoique cela puisse être. Ma gardienne avait probablement suivit sa pensée car sa question fait échos à celle de mon esprit.

« Avez-vous votre Paradis ? … »

Mon Paradis est le néant Damara. Cette obscurité qui vous enveloppe quand vous dormez d'un sommeil sans rêve. Mon paradis n'existe pas car le seul fait d'exister le détruirait. Mon paradis est dans le silence, la solitude, et la mort. Je ne veux pas vivre. Chaque respiration dans ce monde m'est un enfer. Mon paradis est dans mon esprit. Mon paradis est avec Sarah. Mon paradis n'existe pas. Il est mort.

Je décide finalement de ne pas répondre à la question, laissant mon regard vide lui faire croire que je n'en ai pas. Elle n'insiste pas, me proposant de partir. J'hoche tranquillement la tête, pas faché de quitter cette atmosphere. Je sais que ma soeur m'attend à la porte, pas fachée mais curieuse de savoir ce qui c'est passé.

Nous continuons à marcher. Damara est légèrement devant moi, Sarah, un peu en arrière, flotte pour rester à ma hauteur. Je vous arrête tout de suite, vous qui sourcillez à me lire. Je ne suis pas fou. Je sais tres bien que Sarah, la vraie Sarah, n'est plus qu'un corps dans une tombe en france. Je sais qu'elle ne reviendra pas, qu'elle a été avalé par le néant, bref, je sais qu'elle est morte. Je ne vois pas de gamine aux cheveux roux et aux yeux dorés qui me parlerait d'une voix fluette. Mais ma soeur, ou une version idéalisée d'elle, son souvenir, sa présence même, est sans arrêt à mes côtés. Elle est une partie de moi. Mes intuitions viennent d'elle, la voix de ma conscience qui s'oppose parfois à celle de mon esprit est la sienne, et j'aime me l'imaginer près de moi. Parfois, j'arrive même à sentir sa présence. Est-ce de la folie que d'avoir des hallucinations lorsque l'on sait que ce n'est pas réel ?

« A votre gauche, vous avez le bureau de la psychologue, et à côté, celui de la direction. »

Une fois de plus, la voix de Damara me rappelle à ce monde. Je ne compte plus le nombre de fois ou elle m'a arraché à mes songes aujourd'hui. Je n'en éprouve aucune colère ou lassitude. C'est juste une remarque mentale de ma part. Je ne sais absolument pas par où on est passé mais j'avoue que cela ne m'inquiete pas outre mesure. J'errerrais dans les jours à venir pour apprendre à mes pieds les différents chemins. Ainsi, je saurais me déplacer sans réfléchir. Quoique

Je ne vois pas ce que j'aurais bien avoir a faire avec la direction. A moins d'aller me plaindre du bruit de mes compagnons de cellule. Derrière mon impassibilité coutumière, cette idée m'amuse presque par son impossibilité. Quand à la Psychologue... non. Je refuse. Je ne parlerais plus à personne de ce que j'ai vécu. Il n'y avait qu'Elle qui pouvait me comprendre. Elle est loin à présent, mais je ne la remplacerais pas.

Nous continuons...et arrivons dans une pièce blanche. Murs blancs, lits blancs, rideaux blanc. Un monde de mort. On dirait un hôpital. Pas besoin d'être très intelligent pour deviner qu'il s'agit de l'infirmerie.
Si je n'aime pas les hôpitaux, Damara semble les craindre. Ses yeux s'écarquillent, sa peau devient plus terne que la cire fondue d'une bougie, tandis que ses pieds reculent à l'aveuglette pour heurter un mur. Elle semble prête à perdre pied mais réussi à articuler quelque chose avant de s'effondrer, en tas, contre le mur. Je n'ai rien compris de ce qu'elle a dit. Je la regarde. Dans les films, on voit toujours les gens tomber en position allongée. Damara est en tas.

Il me faut quelques secondes pour réaliser ce qui vient de se passer. Je n'arrive pas à la quitter des yeux et quelque chose qui doit ressembler vaguement à de la perplexité a envahi mon visage. Est-elle vivante ? Est ce que j'ai fais quelque chose de mal ? Ou est ce l'hopital qui l'a tué ? Moi peut-être ? Suis-je en train de faire l'une de ses crises qui disparaissent de ma mémoire, ne laissant que des cadavres derrière moi ? Vais-je oublier ? Damara vit-elle encore ? Pourquoi rien de tout cela ne me touche réellement ? Comment suis-je sensé réagir ? Qu'est ce que la réalité attend de moi précisément ?

Je prend une profonde respiration pour éloigner tous ces mots de mon esprit. Doucement je pose un genou à terre et prend un de mes cheveux que je place devant la bouche de ma gardienne inerte. Le cheveu bouge. Elle respire. Elle est vivante. Bien. Maintenant que faire... euh... pourquoi agir ? Apres tout quelqu'un viendra bien assez tôt. Comme pour Sarah. Il la casseront en deux puis me diront qu'elle ne souffre plus. Dieu que je n'aime pas cet endroit. Le blanc est en train d'envahir mon esprit et de l'empoisonner avec des mots.

Je me relève. Un mouvement attire mon regard, je vais dans cette direction. Il y a un homme ici. Petit, comme tous les êtres humains ou presque. Je le vois de dos. Il a les cheveux bruns et une blouse blanche. J'avance vers lui et pose ma main sur son épaule, juste une seconde pour attirer son attention. Puis, sans un mot, je lui désigne Damara, toujours en tas contre le mur.

*Cassée* dit mon regard.

Je trie les dossiers médicaux, je n'ai rien à faire et ces derniers étaient pêle-mêle dans un meuble. Autant remettre tout cela en ordre, bien rangé, pour s'y retrouver plus facilement. Je me laisse aller à la lecture de l'un d'entre eux quand quelque chose touche mon épaule. Je me retourne et fait face à un individu. Il est maigre, grand, je suis obligé de lever la tête pour capter son regard. J'attends qu'il me dise quelque chose, qu'il m'explique la raison de sa venue ici, mais il ne dit rien. Je vais pour lui demander si je peut faire quelque chose pour lui lorsqu'il me montre une direction. D'où je suis je ne vois strictement rien. Je me déplace donc, passant devant lui et je vois ce qu'il m'indiquait.
Un peu plus loin, à l'entrée de l'infirmerie, une jeune femme est au sol, contre le mur. Sans plus attendre, je me précipite à elle. Je pose une main sur son épaule, et de l'autre relève sa tête qui pend sur son torse. Son teint est livide,ses yeux clos.

-...Tu m'entends?

Pas de réponse, elle est inconsciente. Je l'allonge au sol, sur son dos.Elle ne semble être blessée nul part. J'approche mon oreille de sa bouche entrouverte, je sens un souffle; elle respire, c'est déjà ça. Je prend son pouls à son poignet... Elle fait un peu de bradycardie mais c'est léger. L'homme qui m'a averti est là, il regarde la scène, impassible, aucune émotion ne se déssine sur son visage. Ni peur, ni stress, rien du tout. Plutôt rare, habituellement, les personnes qui assistent à une situation pareille ne restent pas sans réagir, au contraire, parfois elles peuvent se révéler agaçantes. Mais là rien. Je me demande si il n'est pas à l'origine de cela, après tout je n'ai rien vu, ni entendu et cela expliquerai aussi cette impassibilté... Mais je ne le juge pas, cette femme me dira ce qui c'est passé à son réveil.

-Comment cela c'est produit?

J'interroge l'individu, en éffet, l'une des meilleures façon de poser un diagnostic est de demander aux témoins l'état du patient avant son évanouissement. Il était peut-être avec elle lorsque cela c'est produit, dans ce cas il pourrait me le dire. Je ne le regarde plus, et attendant une réponse de sa part, je donne de légères claques à la femme tout en lui parlant assez fort pour la faire réagir, lui faire reprendre conscience. Si elle ne se réveille pas ainsi, j'aviserais.

La jeune femme ne se réveille pas, malgré mes gestes. L'individu qui est là ne semble toujours pas plus gêné. Je me demande si il compte répondre à la question posée car il met un certain temps avant de prendre la parole. "Ventre" ...C'est le mot qui sort de sa bouche pour m'expliquer ce qu'il c'est passé. Quest-ce-que cela peut bien signifier?C'est vague. Lui, il s'installe sur une chaise à coté d'un lit puis pose son regard sur l'inconsciente. Je ne peux pas la laisser ainsi plus longtemps, il faut que je passe à l'étape suivante. Elle fait de la bradycardie, il faut quelque chose pour inhiber cela. De l'Atropine... Il y en a quelque part ici, j'en ai vu, mais c'est tellement désordoné... Je me lève, me dirige vers une armoire et l'ouvre. Des boites diverses de médicaments et autres produits sont empilées dans celle-ci et je me met à chercher. Je fouille, le bazard ne m'arrange pas, je perd du temps et chaque seconde a son importance dans ces situations. Voilà pourquoi j'apprécie que tout soit rangé, au moins il n'y a pas de perte de temps car l'on trouve ce que l'on cherche immédiatement. Des boites tombent au sol, ce n'est pas grave, je les ramasserais plus tard. J'en prend une d'entres elles, avec écrit sur le carton de l'emballage "Atropine" . Je m'en empare, retourne vers la jeune femme et saisit à la volée une seringue dans son sachet stérilisé. Une fois aux cotés de la gardienne, j''ouvre le flacon, ensuite sors la seringue de son enveloppe la remplis du produit choisit.Je fais sortir l'air entrée; toujours faire cela avant de piquer; et relève la manche de son haut jusqu'au dessus de l'articulation de son coude. Je la pique sans plus attendre. Après lui avoir administré la dose, je pose la seringue sur un meuble tout près. Il n'y a plus qu'a attendre que l'Atropine fasse son éffet et normalement elle se réveillera dans un petit instant. Je jette un coup d'oeil au lit à proximité, il faudrait que je l'y emmène je ne vais pas la laisser ainsi au sol. Je la regarde, sa masse corporelle n'est pas très importante, c'est dans la mesure du possible. Je passe un bras sous ses épaules, l'autre sous ses jambes et parvient à la soulever du sol. Elle n'est pas si lourde que ça, je l'emmène sur le lit où je l'étend. L'homme assis à son coté me regarde faire. Je veut lui dire quelque chose, je ne sais pas... Pour le rassurer peut-être? Quoiqu'il n'a pas l'air du tout inquiet.

"Ca devrait aller, elle va revenir à elle dans quelques minutes."

Lui dis-je en lui adressant un sourire. Je me retourne, vais reprendre la seringue pour la jeter à la poubelle. Je m'empare d'une chaise et retourne auprès du chevet de la jeune femme. Je m'asseois en face de l'individu à coté du lit. Comme celui-ci est à notre hauteur, je peut reprendre le pouls de la patiente, il est déjà un plus correct que précédemment. Comme je le dis, il n'y a plus qu'à patienter.

Elle se réveille enfin, ouvrant lentement les yeux, posant une main sur son front.La jeune femme reste me regarder puis se redresse enfin doucement comme émergeant d'un profond sommeil. Elle articule quelques mots puis se lève même du lit. Elle me parait éffrayée, comme si elle craint quelque chose. Elle me remercie et s'excuse pour ce qui c'est passé. Elle n'avais pas besoin de le faire, ce que j'ai fait est tout à fait normal, c'est mon métier de soigner les gens, de leur redonner la santé si cela m'est possible et je n'arreterais cela pour rien au monde.

Elle semble vouloir fuir la pièce le plus vite possible car sans attendre, elle se dirige vers la sortie dans l'intention de s'en aller. Pour la première fois depuis qu'il est là, l'individu assit sur la chaise réagit. Voyant la gardienne partir , il se lève et va se placer devant elle pour lui barrer le chemin, la dissuader d'aller plus loin. D'un signe, il lui désigne le lit en lui disant "non" sur un ton froid, encore une fois sans émotions. Je m'approche d'eux, il n'a pas tort, il faut qu'elle reste en observation, au cas ou elle aurait encore un autre malaise, pour surveiller les éffets de l'Atropine qui pourraient avoir lieux... Elle n'a pas besoin de rester bien longtemps. Je lui fait la remarque, la tutoyant comme à mon habitude:

" Tu devrais rester en observation, au cas ou il y aurait une récidive et pour surveiller les éffets indésirables liés à l'injection... Tu n'auras pas besoin de rester bien longtemps, juste le temps que tu te remettes tranquillement. "

Je lui dit cela sur un ton calme, confiant, tentant de la rassurer. Je ne veux pas l'éffrayer mais on ne sait jamais ce qui pourrait se produire. Elle pourrait au moins passer la nuit ici, on ferait le plus court possible, pour cette femme qui ne semble pas être à l'aise dans la pièce qu'est l'infirmerie.

Impatiente de gagner la porte, celle qui me conduira hors de ce lieu de mes craintes. De mes souvenirs douloureux, d’un tout n’ayant que pour but de me rappeler ce que je tente d’oublier. Elle est là, encore quelques pas, et le cauchemar est fini. Une ombre se dessine devant moi, c’est un papillon. Un énorme papillon qui me bloque le chemin de ses ailes d’argent. J’arrête mon pas, surprise par les initiatives de Siriel. Tantôt impassible, le voilà autoritaire à mon égare. Qui est devenu le petit dragon maintenant ? Je sourie intérieurement. Je ne veux pas rester ici … Pas plus longtemps. Je m’apprête à parler quand un « non » stricte et net retentit dans la pièce. Mes yeux se plongent un instant dans les siens. Auriez-vous peur pour moi ?

« Siriel … »

Je ne peux continuer ma phrase, couper par le médecin qui nous rejoint. Je tourne alors mon regard vers lui. Rester le temps de surveiller. On m’avait dit la même chose à l’hôpital, j’y suis resté deux jours entiers. Je repose mon regard sur Silver. Il ne me laissera pas partir, je le sais, je le sens. Tu vas devoir te plier à la volonté de ces deux messieurs Damara. Je soupire tout en regardant le sol, je dois me faire à l’idée que voilà.

« D’accord. Je reste, je n’ai pas trop le choix de toute évidence. »

J’avais dit cela à l’adresse de Siriel en lui adressant un petit sourire aux coins des lèvres. Je fais donc demi-tour en me dirigeant vers le lit où je reprends à nouveau place. Avec le temps de pose, j’ai bien eu le temps de regarder les deux hommes. Décidément, Siriel était un homme très grand, et le docteur dont je ne connais toujours pas le nom, était assez social pour s’adresser à moi directement en employant le « tu ». En Grèce, vouvoyez les personnes n’existent pas, c’est comme un manque de respect. Alors, nous tutoyons. Bien que, ne connaissant pas l’Allemagne, on m’a toutefois conseillé d’utiliser la formule polie, histoire de ne pas se faire passer pour une impolie.

Je fais signer à Siriel de s’approcher. Je ne voulais pas rester seule. Et puisqu’il me force à rester, j’en ferais de même. Ouh, je suis méchante. Une fois qu’il est assez proche, de préférence assis sur sa chaise, je l’informe :

« Je ne vous retiens pas Siriel, vous êtres libre de partir … »

Bien que même le son de ma voix disait le contraire. Mais je n’avais pas envie de le retenir s’il n’en n’avait pas envie. C’est un papillon, il a besoin de voler. Sauvage et si doux. Je regarde de nouveau le médecin. Au moins lui, n’avait pas l’air d’avoir envie de tuer les prisonniers par pure sadisme. Un collègue en somme. Le premier censé que je croise d’ailleurs.

« Vous êtes nouveau dans cette prison ? »

Il n’avait pas l’air de s’y retrouver encore dans ses affaires. Sur le sol, jonchait une multitude de médicaments de tout genre. J’en reviens rapidement à mon protégé, toujours passible et calme.

« Tout va bien pour vous Siriel ? »

Me préoccuper de l’état des autres avant le mien, c’est bien connu. Malgré ma chute, je ne pense pas que cela l’ait affecté. Après tout, un papillon est fragile dans le fond …

Mes yeux impassible lui renvoient son propre regard, ses interrogations personnelles. Je suis un miroir, ne l'oubliez jamais. Je n'ai pas d'existence en moi et ne sert qu'à renvoyer leur image aux gens qui me regardent. La peur, l'angoisse, la panique ne sont que des exemples d'émotions. Je sais en reconnaitre les signes sur les visages de ceux qui sont en face de moi. Je les reçoit et je les rends, parfois un peu déformés. Le docteur s'est fait du soucis. Moi pas.

« Siriel … »
" Tu devrais rester en observation, au cas ou il y aurait une récidive et pour surveiller les éffets indésirables liés à l'injection... Tu n'auras pas besoin de rester bien longtemps, juste le temps que tu te remettes tranquillement. "

Les yeux de ma gardienne quittent les miens pour regarder le docteur qui s'est approché de nous. Sa voix est plus douce, plus gentille que la mienne. Il a utilisé plus de mots mais le sens de son discours est exactement le même que le mien. Elle doit se reposer.

« D’accord. Je reste, je n’ai pas trop le choix de toute évidence. »

Je sens du reproche dans sa voix mais je n'éprouve aucun regrès ou remord de ce que je viens de faire. Je ne sait pas pourquoi j'ai fait ça, mais je ne me pose pas non plus la question. C'est fait. Maintenant que j'ai dit non, je ne reviendrais pas dessus. Je resterais accroché à cette opinion, comme un noyé met ses dernières forces à ne pas lâcher la bouée qui lui tient la tête hors de l'eau. Je ne dis pas souvent non, mais quand c'est non, c'est non .

Elle s'est redirigée vers le lit, s'y est assise et me fait signe d'approcher. J'obeis. Elle regarde la chaise, comme si elle me demandait silencieusement de m'asseoir. J'obéis. Et là elle m'informe :

« Je ne vous retiens pas Siriel, vous êtres libre de partir … »

Sa voix me supplie de rester. Je me lève, hoche la tête pour dire que je comprends, fait demi tour, m'éloigne d'elle. Un pas. Deux pas. Trois pas. Près du mur près de la porte il y a des feuilles éparpillées. C'est mon dossier, ma vie. Celui que Damara avait peur de perdre. C'est la deuxieme fois en quelques heures qu'il se retrouve au sol. Peut-être est-ce un signe. Peut-être pas. La bille est également dans un coin et j'en profite pour refermer ma main dessus. Jolie bille aux reflets ambrés.

Pendant ce temps, Damara discute avec le médecin. Patiemment, je range les feuilles de mon dossier dans l'ordre, époussetant la poussière des pages puis vérifie que tout soit parfait. Cela fait, je fais demi tour et revient tranquillement vers ma gardienne. D'un seul gest souple, je m'asseoit a nouveau sur la chaise, et pose le dossier sur la table de nuit.

« Tout va bien pour vous Siriel ? »

Je tends ma main, poing fermé, devant le visage de Damara (sans brusquerie aucune) tourne le poignet pour que ma paume fermée regarda vers le plafond, en déplie doucement mes doigts. La bille apparait alors, tremble, roule sur le coté et atterrit sur le lit.

La jeune femme raisonnable, se résigne à quitter l'infirmerie et retourne sur ses pas pour reprendre place sur le lit. C'est un bon choix de sa part. L'individu, lui, va chercher quelque chose au sol, à l'endroit où la gardienne était inconsciente quelques minutes auparavant. Il se redresse avec en main, une sorte de dossier, qu'il remet en ordre, des feuilles dépassant de ce dernier. En le voyant faire, je me souviens des diverses boîtes de médicaments tombées au sol lorsque je cherchais l'Atropine. Je me dirige vers ce désordre, donc, et commence à ramasser tout cela. La jeune femme m'adresse alors la parole:

"Vous êtes nouveau dans cette prison?"

Elle continue à me vouvoyer alors que je la tutoies.... Elle peut en faire de même et je ne manque pas de lui en faire la remarque avant de répondre à sa question.

"Tu peux me tutoyer si tu veux, il n'y a aucun souci...Sinon oui, je suis nouveau, je suis arrivé il y a peu et tu es d'ailleurs ma première patiente."

Je me retourne pour faire face à mon interlocutrice lui adressant un léger sourire et remarque que le prisonnier est de retour sur la chaise, au chevet de la gardienne. Comme je le lui dit, je n'ai eut personne à soigner avant elle jusqu'à présent mais cela ne me dérange pas, au contraire, cela signifie que tout va bien. Je reprend:

"Et toi, il y a longtemps que tu travailles ici? Je suppose que ce ne doit pas être facile tous les jours..."

En disant cela, je pensais aux détenus violents, qui n'hésitais pas à se jeter sur n'importe qui, notamment les gardiens. La violence gratuite a une place de choix dans cette prison. Moi je n'ai pas à me plaindre, je n'ai pas encore eut affaire à ce genre de situations.
L'individu installé auprès de la jeune femme ne me paraît pas violent, bien au contraire, d'un calme perturbant. Mais il vaut mieux cela après tout...

La gardienne m'informe qu'elle est ici depuis une semaine. Elle est donc arrivée récemment ici, comme moi en fait. Lorsque quelqu'un me parle, j'aime bien lui faire face, je m'empresse de ranger le reste des boites éparses au sol. Tandis qu'elle fait la présentation du prisonnier, je termine mon rangement et viens me placer dans le bout du lit, pour être visibles d'eux deux et leur faire justement face. Ainsi cet homme qui ne parle pas, semblant plongé dans un certain mutisme, se nomme Siriel. Ce dernier n'ajoute rien à cette briève présentation. La gardienne se présente à son tour:

« Je suis Damara Galanis. Gardienne comme vous pouvez le voir. »

Elle continue à me vouvoyer... Tant pis, je ne vais pas insister plus sur ce menu détail, après tout, c'est en somme une marque de respect que je devrais moi aussi tenir. Puisqu'elle m'a demandée comment je me nomme un peu plus tôt, je répond à sa question.

-Je m'appelles Kenzo Hunter, ma fonction vous la connaissez déjà...

Je regarde alternativement la gardienne et le prisonnier puis reprend, un sourire confiant aux lèvres.

-Et sachez que si vous avez besoin de quelque chose, ou que si ça ne va pas, je me ferais un plaisir de vous procurer les soins dont vous aurez besoin. N'hésitez surtout pas.

Oui, ne surtout pas hésiter, car je n'aime pas voir quiconque souffrir. Je trouve abérrant que certaines personnes reste sans soins ni aide lorsque ça ne va pas. Beaucoup préfère garder leur douleur physique et morale pour eux, sans ne rien montrer ... Et ils ne viennent voir le médecin qu'en dernier recours. Enfin bref, tout cela pour leur dire que je suis là pour eux, disponible n'importe quand et prêt à tout faire du moment que cela reste dans la mesure du possible...

Gagner la confiance d'un patient est la chose la plus importante pour une bonne relation. Aussi mon message est bien passé, elle me remercie de nouveau. Mais pourtant elle me semble gêné, bouleversé peut-être? Sans doute car sans me regarder et d'une voix tremblante, elle se confie:

-Hmm. Docteur. Pensez-vous qu'il est possible pour une femme d'avoir peur de ce genre d'endroit au point de s'évanouir ? ... En sachant qu'un jour, elle y a perdu son enfant. Serait-ce là, une forme de traumatisme ?

Voici donc ce qui fait qu'elle soit mal à l'aise lorsqu'elle se retrouve exposé à cette pièce si particulière qu'est une infirmerie. Il n'y a plus besoin de chercher les raisons de son malaise, tout s'explique. La perte d'un être cher est quelque chose de douloureux, marquant la personne restante au plus profond de son être. Mais qu'une mère perde sa fille est contre-nature. Un parent ne devrait jamais avoir à enterrer son enfant, c'est l'inverse. Mais la vie se révèle parfois injuste et on n'y peut rien. Les larmes lui viennent aux yeux. Je ne supporte pas de voir les gens pleurer, car leur tristesse agit sur mon humeur; en bref, je suis triste pour eux.

Siriel réagit à la souffrance de la gardienne. Reprenant la bille, il reste regarder cette dernière puis, la place devant les yeux de la jeune femme. Le prisonnier m'adresse un regard interrogateur... Et sans plus attendre adresse la parole à Damara.

-Ta peine. Dedans.

Ce qu'il lui dit, il la console mais à sa manière. Chaque personne a sa façon d'agir. Il désire qu'elle mette sa douleur dans cette sphère. Il tente ainsi de lui redonner courage...
De la voir ainsi me perturbe, je vais auprès d'elle, m'asseyant sur le bord du lit. A mon tour d'essayer de la réconforter. Maladroitement j'attrape un mouchoir d'une boite qui se trouve à ma portée et le lui donne. Prenant sa main dans la mienne, je serre légèrement, juste pour lui montrer que je suis là et que je partage sa tristesse mais à ma façon.

-Ta crainte est tout à fait normale. Tu as subi un choc psychologique à la suite de la perte de ta fille, alors oui c'est en quelque sorte un traumatisme. A chaque fois que tu te retrouves dans une pièce telle que celle-ci tu revis ce jour qui t'as marqué profondément et cela même sans le vouloir. Alors ne t'étonnes pas, le fait de s'évanouir ne dois pas te donner honte ou autre. La peur ne se commande pas et chacun y réagit différemment. Certains s'évanouissent, d'autres font des crises de tétanies..

Lui adressant un sourire, je viens poser ma deuxième main sur celle que je tenais déjà. Et reprend, affichant mon habituel sourire qui se veut rassurant:

-Je ne vais pas dire que je sais ce que tu ressents car ce n'est pas possible... Chacun porte ses propres douleurs. Il faut lever la tête et affronter tout cela. Plus facile à dire qu'à faire me diras-tu.. Oui c'est vrai, mais je crois que tu en êtes capable.

Je lance un regard à Siriel puis revient à Damara.

-Et puis tu as Siriel, qui à l'air de tenir beaucoup à toi. Prends en compte et fait abstraction de cette pièce qui te met mal à l'aise.

J'espère avoir été convainquant et que les larmes qui parsèment ce visages cesseront de couler. Pleurer fait du bien, je sais, ça soulage d'une certaine façon. Mais pour moi, lorsque je vois les gens pleurer je ne vois que douleur et tristesse.