Liberté envolée

Vous ne comprenez pas monsieur ! Il y a méprise, je le sais. Si seulement j'avais pu me défendre à mon procès. Non. Tout ce que j'ai fait, c'est rester silencieux, à attendre que la sentence vienne. Que pouvais-je faire ? Mon client ne parle pas votre honneur. Le juge a ricané, dit que je ne disais rien seulement parce que je n'en avais pas envie et que juste pour cet affront à son nom, je méritais la prison à vie. Mes yeux étaient embués de larmes. Un enfant. Je ne suis qu'un enfant, même si aux yeux de la loi je viens d'atteindre la majorité. Enfant de la rue. Et alors ? On m'a jeté dans ce monde-là. Les gens avec de l'argent n'ont pas voulu de moi alors que j'avais simplement besoin de quelqu'un à mes côtés. Jesse est venu. Lui il m'a aidé, et aujourd'hui il le paie de sa vie, et moi de ma liberté. Mais je ne regrette pas. Si je ne l'avais pas connu, je serais sur une chaise à l'école en train de me faire juger par tout le monde. Mais maintenant je me trouve derrière cette grille, debout, ne sachant que faire, ne pouvant demander mon chemin à qui que ce soit. On n'a pas voulu me laisser mon crayon, arme potentielle qu'ils ont dit, nous verrons une fois entrés. Mais voilà, je n'entre pas. Ils m'ont laissé mon cahier, mais à quoi me sert-il sans crayon.

Je pourrais aller voir cet homme rondouillard qui se tient derrière une vitre, prêt à ouvrir la porte à quiconque le demandera. Seulement voilà, comment le demander. Je n'ai que le oui et le non à ma portée. Je laisse tomber mon paquet de feuilles blanches dans la boue, certaines s'envolent avant d'avoir touché le sol. Je pleure, mais ça ne se remarque pas à cause de la pluie battante. On me crie d'entrer, je ne me retourne pas et continue à fixer l'horizon derrière le fer de la grille. De l'autre côté. Liberté envolée, comme ces feuilles de papier. J'entends vaguement quelqu'un appeler en arrière. Pas pour moi cette fois.

-Envoyez quelqu'un le chercher ! Le p'tit va geler sur place.

C'est vrai, j'ai froid, mais je ne m'en formalise pas. Le pluie me trempe les os et le vent me les gèle. Et alors ? Pourquoi je ne mourrais pas ici plutôt qu'à l'intérieur ? Je ne survivrai pas à cet endroit, pas sans un Jesse à mes côtés pour me soutenir et me protéger. J'entends des pas derrière moi, j'appuie le front contre la grille, stoppant net le flot de larmes de mes yeux. J'enlève mes lunettes et les glisse dans ma poche avec négligence. Je n'ai pas envie de voir à qui j'ai à faire. Je n'ai envie de rien sinon d'avoir un crayon dans les mains, et une surface plane pour y écrire mon nom, la seule chose qui me reste.

Il fait un temps de chien, il fait toujours un temps de chien. Mais, me voilà, je suis là, dehors…La pluie ne me gêne pas de toute manière. J’y suis habituée. J’appréciais le mauvais temps autrefois. Je ne connaissais rien de plus purifiant qu’un petit vent et une pluie glaciale. Mais, aujourd’hui…La pluie arrive n’importe quand et bien trop souvent. Ça restera tout de même un de mes petits plaisirs, même si ça me fait rappeler où je suis. Moi? Mélancolique? Ça m’arrive à l’occasion.

Et j’attends…J’attends quoi? Mais, rien. Je délire, ne m’écoutez pas. Kô n’est pas venu aujourd’hui, ni hier. Je me demande où il est. Ai-je vraiment envie d’entendre jacasser cet âne, cette abération, cet idiot insolent? Non, pas du tout. Par contre, ça donne quand même quelqu’un à qui parler. Je marche les pieds traînant et le regard perdu dans mes réflexions. J’ai l’impression que ça fait beaucoup trop longtemps que je suis ici…Tu es ici pour y rester ma vieille! J’entends la voix de Kô dans ma tête, mais je ne le vois nulle part…Pas même dans mon esprit. Il n’est pas là. Beaucoup trop longtemps que je suis là…

Des voix viennent comme en « fond sonore » dans mes pensées et ça me dérange grandement. Mais, je reste silencieuse, sans chercher à dicerner la signification de ces cries énervés…

-Envoyez quelqu'un le chercher ! Le p'tit va geler sur place.

Je n’entends aucune parole distincte, je ne vois personne…Je suis aveugle et sourde à ce qui m’entoure et cela me convient. Je suis muette. J’ignore même si je sens le sol sous mes pieds…Mais, je sais que je sens la pluie. Hélas, les cries persistent et je finis par comprendre que c’est à moi qu’on s’adresse.

-Hey, toi! Rends toi utile!

Je ne comprends pas tout de suite ce qu’il veut dire. Je le regarde…Un gardien bedonnant, à la tronche sympathiquement niaise mais malheureusement déformé par un pli d’énervement…Il a une apparence…Clownesque…Oui, c’est ça…C’est le mot juste.

-…Va chercher l’gamin avant qui se les gèle!

Je hausse les épaules. Il n’y a pas de gardiens autour…Bon, je ne vois pas pourquoi j’écouterais mon nouvel ami le clown mais je ne vois pas non plus pourquoi je ne l’aiderais pas…Donc, après bref réflexion, allons « chercher l’gamin avant qui se les gèle ».

Je me dirige donc vers le dit « gamin avant qui se les gèle ». Et le « gamin avant qui se les gèle » prend la forme sous mes yeux d’un jeune asiatique, assez fluet, petit. Eeeeeh…Et il est enfermé pourquoi lui? Il pourrait se faire manger, littéralement.

Ton nom? Lui demandais-je.

J'ouvre les yeux quand quelqu'un s'approche de moi, un brin méfiant. Qui est cette personne ? Que me veut-elle ? C'est évident. Elle est là pour me tirer vers l'intérieur de la prison, m'arracher à ma contemplation du vide, ô si douce et si amère contemplation. Je me concentre encore plus sur le point invisible que je fixe. Je ne veux pas tourner la tête vers cette personne qui s'en vient. Je ne veux pas la regarder, car j'ai peur d'associer son visage à mon emprisonnement. Le dernier que j'aurai vu avant de me retrouver vraiment enfermé. Je serre les dents à m'en faire mal. Je suis jeune, je suis con, je suis faible. Cet endroit sera ma tombe. Si seulement Jesse était là, avec moi. Il saurait quoi faire pour que j'aille mieux. Il réussirait peut-être même à m'arracher un sourire, comme il le faisait si bien.

-Ton nom? me demande-t-elle.

Malheur. Cette femme n'aurait-elle pas pu se contenter de me demander si j'allais bien ? J'aurais pu lui montrer ma main gauche où elle aurait pu lire le mot oui, et aussi la gauche, pour le non s'y ajoute. Elle aurait pu comprendre ce que je voulais dire, mais ce n'est pas tout le monde qui me comprend toujours.

Non, je montre tout de même en ne faisant qu'incliner doucement ma main vers le haut, toujours sans un regard pour elle. Peu m'importe que sa voix ait l'air de celle d'une jolie femme. Les gens, jolis ou laids, ne m'ont jamais intéressé. Il n'y avait que Lui qui comptait à mes yeux.
Je sais que ce n'est pas la réponse à sa question. Toutefois, j'accompagne mon geste d'un trait sous la gorge – avec l'index droit – pour signifier que je ne parle pas et qu'il m'est impossible de prononcer même jusqu'à mon propre nom.

Si j'avais mes choses avec moi, je pourrais lui écrire sur un bout de papier que je n'ai pas envie de rentrer. Je sais qu'elle est là pour cette raison. Je sais que le garde ne la lâchera pas du regard tant qu'elle ne m'aura pas fait entrer. Je sais aussi que je n'aurai pas le choix d'y aller à un moment ou un autre. De mon plein gré ou couché à terre par une pneumonie.

Je garde les yeux baissés, les referme en douceur en reposant mes mains sur les barreaux – après lui avoir fait signe qu'elle pouvait partir - d'un côté et de l'autre de mon visage.

J’ai presque l’impression qu’il ne m’entend pas.
Il y a un moment de silence…Il ne fait que rester silencieusement contre la grille. Moi, j’attends, mais cette fois, j’attends quelque chose. Les paroles du fluet petit nouveau. Après un petit moment, il lève paresseusement l’une de ses mains. Je reste là, perplexe…Où il veut en venir?

Non, sur sa main…C’est écrit non…Non? Et ce n’est pas seulement écrit, c’est tatoué…Un mouvement vers sa gorge me fait comprendre qu’il est muet. Ça serait presque marrant s’il aurait imprimé tout le dictionnaire sur sa peau…Par contre, il n’a pas une gueule à tatouage…Enfin, bref…

-Euh…D’accord…Je vais t’appeler Jack…

Un meurtrier muet, manquerait plus qu’il soit dangereusement psychotique et ça serait presque perturbant…Quoi que, avec son allure chétive, il ne risque pas vraiment d’effrayé qui que ce soit. Il garde obstinément son regard baissé…Moi qui me trouvait presque déprimé. Quel genre de ressentiment on a en rentrant dans une prison haute-sécurité, ancien camp de concentration, avec des tas de criminels toujours plus imposant que soit? Qu’avais-je ressentis, moi, en entrant ici? Rien, je suppose. Une liberté s’envolée, rien de plus. Finalement, perdre sa liberté c’est beaucoup…M’en étais-je rendue compte? Je crois que ma liberté avait déjà très peu de valeur à mes yeux…Elle en a toujours très peu. Mais, ce n’est pas tout le monde qui accorde si peu d’importance à ça. Lui, ça se voit juste d’en le regardant. Sa liberté est perdue à jamais…Et c’est énorme. Ça se voit qu’il perd quelque chose en rentrant ici.

Il ne veut tout simplement pas entrer et il me le montre comme il le peut…Vu la tête du clown qui nous surveille…Me surveille…Et qui me fait d’un signe de la main de le faire rentrer au plus tôt. Je n’ai pas à laisser Jack en faire à sa tête…Il serait stupide de me mettre dans la merde ou qu’il se mette dans la merde juste pour quelques minutes de plus à contempler le sol de l’extérieur.

Allez Jack...Il faut bien que tu rentres un jour…Soupirais-je…Je lui prends l’épaule et le tire un peu pour le forcer à lâcher la grille. Il fait froid et à par une grippe et me faire perdre mon temps, tu ne gagneras rien à rester là bêtement.

Je vois qu'elle a compris ce que j'ai voulu lui dire. C'est bien tant mieux. Je me serais mal vu me mettre à mimer avec plus de précision.

-Euh…D’accord…Je vais t’appeler Jack…

Mon œil gauche tilt un peu. Jack ? Qu'est-ce que c'est que ce nom qu'on m'attribue ? Je m'appelle Mani… Pas Jack. Où est-elle allée chercher ça ? Je secoue un peu la tête. Mes cheveux sont tellement mouillés qu'ils ne bougent même pas un tout petit peu, restant plaqués obstinément contre mon front. L'eau froide me dégouline sur le nez et au bord des lèvres. J'essaie de ne pas m'occuper du fait que la fille attend après moi. J'essaie de l'ignorer. Peut-être finira-t-elle par partir, tout simplement. Souvent, c'est ce que font les gens. Je représente si peu d'intérêt pour eux qu'ils s'en finissent par faire comme si je n'existais pas. Après quelques minutes de silence, j'en viens à me dire que je suis à nouveau seul, quand une main s'accroche à mon épaule et me tire un peu vers l'arrière. Je laisse échapper un petit couinement surpris en ouvrant les yeux. Je n'étais donc pas seul…

-Allez Jack...Il faut bien que tu rentres un jour… dit-elle d'un ton volontaire.

Elle essaie visiblement de me faire lâcher la grille, mais mes petites mains s'agrippent comme elles le peuvent, offrant une bien maigre résistance à la poigne de la jeune femme.

-Il fait froid et à par une grippe et me faire perdre mon temps, tu ne gagneras rien à rester là bêtement.

Ce que j'aimerais être capable de dire que je marmonne entre mes dents. Ce que j'aimerais être capable de dire quelque chose tout simplement. Je me laisse entraîner. La femme a raison. Je ne gagne rien à rester ici, tout comme je ne gagnerai rien non plus à l'intérieur, si ce n'est un peu de chaleur. Je la laisse m'entrainer vers la porte du bâtiment, je garde les yeux au sol, la tête rentrée dans les épaules. C'est quand je traverse la frontière entre l'extérieur et l'intérieur que je m'aperçois que j'ai froid et que je commence à grelotter. Instinctivement, ma main cherche refuge dans la main de l'inconnue. Je ne lui porte aucun regard, pour oublier que ce n'est pas la main de Jesse qui me rassure.

Il finit finalement de lâcher la grille avec air assez…Abattu. Il me suit et dès que nous entrons dans l’immense bâtisse qu’est la prison, je peux constater que le regard du gardien derrière son mur transparent a cessé de nous fixer. Au revoir, m’sieur le clown…

Je regarde Jack. Lui, il regarde toujours le sol. Son regard est resté obstinément fixé sur le planché depuis tout à l’heure. Arrache-toi les yeux, ça durera plus longtemps, pensais-je…Dès que nous passons le seuil de la porte, il se met a trembler. Il prend ma main…Ou il s’arrange pour que je prenne sa sienne. A-t-il peur ou seulement froid? Je ne sais pas et ne lui demande pas de réponse…

-Dit…Tu parles le langage des signes?

Que la réponse soit oui ou soit non, je ne crois pas que ce soit important puisqu’il ne doit pas avoir grand monde qui parle ce langage en prison…Moi , je ne sais dire que « faim », « spagettis », « pomme », « va chier », « va te faire foutre », « petit chien »…Savoir ça n’a aucune utilité je sais…Mais, c’est comme ça.

On m’a seulement demandé de le faire rentré…Mais, pourtant je suis encore là…Pourquoi? Je sais pas…Autant être sympathique entre détenu de toute façon. Je n’ai jamais compris pourquoi la plus part des prisonniers s’obstinaient à être désagréable voir même cruel avec les autres alors que nous sommes tous dans le même bateau…J’ai toujours fais ce que j’avais à faire seule et ça ne m’a jamais posé aucun problème…Mais, ici, si on veut arriver à quelque chose…C’est différent.

On t'a dit ton matricule ou ton numéro de cellule?

Si la réponse est non, il risque d'être pas mal perdu. Quoi que pour son matricule...Je ne vois pas comment il pourrait le nommer à qui que ce soit...Avec des signes? Mais, ça lui prendrait du temps. Muet et fluet...Nest-ce pas une victime invitante pour qui que ce soit? Bien sûre, mais pas pour moi. Mes meutres se sont arrêté quand je suis entré ici et de toute façon ce pauvre gars ne fait pas parti de mon genre de victime.

-Dit…Tu parles le langage des signes?

Peut-elle me dire à quoi cela me servirait ? Ce n'est même pas une personne sur trois qui le parle. Et d'ailleurs, on ne le parle pas, on le montre… on le connaît… Enfin, c'est difficile à exprimer. Je secoue négativement la tête. Je déteste dire non de cette manière. Quand je me suis fait tatouer oui et non dans les mains, j'étais sur les nerfs et je n'avais même pas songé que je pouvais seulement hocher ou l'agiter la tête. Imaginez ma frustration par après… Enfin… Si je n'avais pas été aussi aveuglé par la panique occasionnée par la perte de mes mots, j'aurais peut-être pu me faire tatouer des mots plus utiles. Toujours est-il que de hocher la tête pour dire oui ou non me rappelle toujours ce geste insensé. C'est pourquoi j'évite de le faire. Nous nous arrêtons à l'intérieur. Je ne connais pas le nom de la femme qui m'accompagne. Enfin je ne crois pas. Si elle me l'a dit, peut-être que je n'ai simplement pas porté grande attention à ses dires. Et puis à quoi cela me servirait à moi de connaître son nom ? Je ne pourrais jamais le prononcer.

-On t'a dit ton matricule ou ton numéro de cellule?

Oui.

Je montre la main droite, obligé de lâcher la sienne pour un moment. Je ne veux pas l'y reposer, mais je ne saurai qu'en faire. Aussi, dès qu'elle a lu, j'enfonce mes mains dans mes poches pour ne pas éprouver à nouveau l'envie de l'envoyer se réfugier entre ses doigts. Je lui fais face, le visage tout de même un peu baissé. Je ne me sens jamais très à l'aise de regarder les gens dans les yeux. Je ne sais pas comment lui demander de me montrer le chemin, de me guider jusque là, et encore moins de lui indiquer que ma cellule est la …

C, je forme avec mes doigts.

Grave erreur d'avoir ressortie ma main de ma poche. Elle file aussitôt vers celle de mon guide.

Non, il ne le parle pas. Il me le fait comprendre d’un signe de la tête. Je suis étonné qu’il ne m’a pas montré sa main. Faut croire que c’est deux petits tatouages n’étaient pas très utile en y pensant bien. S’il ne parle pas le langage des signes, je doute qu’il soit muet de naissance. Mais, peut-être que oui, au fond…Ce n’est pas une obligation d’apprendre ce langage du mouvement quand on est muet.

Il lâche ma main pour me permettre de lire un « oui » quand je lui demande s’il sait son matricule et son numéro de cellule…Numéro…Lettre plutôt. Ce n’est qu’un détail…Il essaie de former un C avec ses mains. Sa cellule…

C?

Il reprend ma main. Le regard fuyant, chétif, craintif, je me demande seulement comment il pourra s’en sortir. Je laisse ma main dans la sienne…Si ça peut le rassurer…

Et bien nous serons voisins alors…Ma cellule est la D.

Autant l’amener à sa cellule. Il est facile de se perdre ici. Et, par la même occasion, je pourrais regagner la mienne après peut-être…

On t’as aussi dit les règlements?

Je me dirige vers l’aile des prisonniers avec le nouveau dont j’ignorais toujours le vrai prénom…Ou nom…Bref, j’amène Jack jusqu’à sa cellule. Je pourrais peut-être lui donner un coup de main à propos de ses malheureux « problèmes de communication ». J’irais lui trouver du papier et un crayon…Et oui, je peux me montrer charitable parfois…J’ai beau être une meurtrière…Je suis pas méchante…Ça n’a aucun sens qu’est-ce que je viens de dire mais bon…Disons que je peux me montrer sympa, on va dire…

Nous serons bientôt aux cellules...

-Et bien nous serons voisins alors…Ma cellule est la D.

Je ne sais pas exactement ce que cette affirmation m'apporte. Du réconfort ? Je ne la connais pas encore assez pour dire oui mais pourtant… Je ne peux m'empêcher d'être rassuré par sa présence. Elle s'est montrée douce avec moi, même si elle n'avait pas particulièrement l'air d'avoir très envie d'être avec moi. Toujours était-il qu'elle entretenait seule une conversation pour nous deux. Un sourire timide commençait à vouloir poindre sur mon visage, très timide.

-On t’a aussi dit les règlements?

Oui.

Je serre plus ma main droite dans la sienne et la remue un peu pour qu'elle comprenne – c'est assez hasardeux j'en conviens – que je veux lui indiquer le oui. Je suis grandement chanceux si elle pige sur ce coup-là. Nous marchons un long moment, enfin, sans doute pas si long mais tout me semble s'étendre à l'infini dans cet endroit, tout comme ma peine. Je soupire. Si seulement je ne m'étais pas trouvé là, si seulement Jesse ne s'était pas laissé tuer, si seulement il ne s'était jamais pointé à cette damnée rencontre.

Nous arrivons dans un couloir éclairé par des luminaires grésillant, une ambiance plutôt malsaine règne dans cet endroit, je le sens. Je jette de furtifs coups d'œil aux cellules que nous voyons et aux gens qui sont dedans. Elles ne sont pas fermées… Peut-être que je me serais senti mieux si ça avait été le cas. Je me serais senti bien dans la sécurité d'une cellule, avec la certitude que personne n'y entre sans un gardien. Mais là… J'aurai l'impression que tout le monde pourra venir s'en prendre à moi. Je pousse un petit gémissement effrayé en resserrant la prise de mes doigts, approchant mon corps chétif du sien, marchant presque sur ses pieds.

Il remue sa main droite. Au début, je ne comprends pas ce qu’il veut dire. Il veut peut-être lâcher ma main? Je n’ai rien contre l’idée…Ah, non…Il veut me dire oui. Droite, oui. Gauche, non. Noté.

Une fois dans l’aile des prisonniers, Jack se rapproche de moi, m’empêchant quelque peu de marcher à bonne vitesse…Faut dire aussi qu’un pas de plus et il marcherait sur mes pieds. Il pousse un gémissement de peur. Un gémissement ? C’est qu’il n’a pas totalement perdu l’usage de ses cordes vocales…Seulement de plusieurs…

Je soupire.

-Faut pas avoir peur…

Bon, d’accord…On est dans la pire prison qui soit, je l’admets, mais j’essaie de le rassurer…Je n’est jamais été doué pour ça…Mais, il risque de s’attirer encore plus les regards des sadiques s’il joue les trouillards…

-…Faudrait pas que tu attires l’attention…

Nous arrivons devant sa cellule.

-C’est ici…

Je ne connais personne dans cette cellule. Je ne sais pas non plus quel genre de criminel il y a…J’espère pour lui qu’il va pas trop en baver…

D’ailleurs, ce gars est censé être un meurtrier non ? Je me demande qu’est-ce qu’il a fait exactement…Si je peux dire par expérience que bien des gens n’ont pas l’air d’être des criminels ici, lui, c’est un cas…Un cas chétif. Malheureusement, je ne peux lui demander des réponses vu qu’il ne peut pas me répondre que par un oui ou un non…Sa possibilité de communication s’arrêtant à ces deux petits mots…Je n’aime pas les devinettes.

Vraiment, cet endroit ne me rassure pas le moins du monde. Je sais que c'est idiot, je sais qu'en prison les armes sont confisquées, toutefois les tronches que tirent certains types derrière leurs barreaux ne font que me donner l'impression qu'une balle perdue pourrait venir se loger n'importe où dans mon petit corps.

-Faut pas avoir peur…

Facile à dire. J'aimerais bien vous y voir. Bon, j'admets que vous êtes franchement plus relaxée que moi. Vous n'avez pas l'air nerveux. Sans doute avez-vous pris l'habitude de l'endroit. Je finirai peut-être aussi par y arriver. Peut-être… Mais personne ne devrait avoir à s'habituer à ce genre d'ambiance.

-…Faudrait pas que tu attires l’attention…

Je penche un peu la tête. Alors ici, ne pas avoir peur, ça sert seulement à ce que les autres ne nous portent pas de jugement. J'aimerais bien ne pas avoir peur pour de vrai. Je sers un peu sa main mais m'écarte d'elle de quelques centimètres. Le message est passé madame.

-C’est ici… dit-elle en nous faisant stopper devant une cellule actuellement vide.

Où en sont donc les autres locataires ? J'aimerais bien ne pas en avoir, mais cela m'étonnerait beaucoup. Ce ne serait pas logique il me semble. Enfin. Avec lenteur – je suis loin d'être pressé - je franchis la grille pour me faire une idée de l'étroitesse de la place. C'est petit, et ça sent le renfermé. Je plisse le nez et me tourne à nouveau vers ma future voisine de cellule. Je force un mince sourire et incline un peu la tête pour lui signifier que je la remercie de son aide. Sans elle j'aurais pu me retrouver n'importe où. Si j'ai quelque chose à demander à quelqu'un, je crois que je m'adresserai à elle. Elle ne me semble pas très méchante, même plutôt sympathique, encore que je n'ai pas envie de juger – même positivement – au premier regard. Après un petit moment de silence, avant qu'elle ne décide de partir, une idée me traverse l'esprit.

Écrire.

Je le lui signifie en mimant un crayon dans ma main. C'est tout ce que je demande; un crayon pour m'exprimer.

-Si tu veux survivre ici, tu te dois d’être discret et de ne pas avoir l’air effrayé…Ça les amuserait…

Et pas dans le bon sens pensais-je…J’espère franchement qu’il n’a pas de sadiques dans sa cellule… Dans ce cas là, son air faible et son « incapacité à parler » ne passera pas inaperçu 2 secondes…Moi, j’ai de la chance, ils sont tranquilles et c’est à peine si on se parle. Quoi que je doute qu’il aille réellement l’occasion de « parler » lui non plus. Je ne sais même pas pourquoi je m’inquiète pour lui…Son sort, qu’est-ce qu’il peut bien me faire? D’ailleurs, j’ignore même si je suis sincère dans mes pensées ou si je suis devenu hypocrite à un point tel que je me mens à moi-même. Ne serait-ce pas d’un ridicule?

Dire que je fais la conversation pour nous deux…Suis-je seulement habitué à temps de silence? Non…Mais, j’apprécie ce silence malgré tout…Pas de voix (mis à par la mienne) pour briser cette paix relative.

-Il ne faut pas oublier que nous sommes à Sadismus ici…Il n’y a que des meurtriers…Mais, si tu n’attires pas l’attention, ils ne t’en accorderont sûrement pas…

Je suis consciente que je ne suis pas très rassurante, mais ce serait mentir que de dire que tout le monde est vertueux et que personne ne penserait à faire du mal à qui que ce soit…Je n’allais pas lui dire des conneries, ça ne m’était même pas passé par la tête…Mais, il fallait qu’il apprenne à survivre ici…Sinon, je pourrais bien prédire une mort prématuré à mon cher nouveau voisin.

Il entre dans la cellule…À voir sa tête, être arrivé ici, ça ne lui a pas aidé à accepter sa situation…Je ne vois pas en quoi ça l’aurait aidé de toute façon de devoir partager cette espace réduit avec 3 criminels dangereux. Il se retourne…Est-ce un sourire qui se dessine sur son visage de gamin? Si oui, c’est un très léger sourire. Il baisse la tête un peu. Je prends ça pour un merci et la signification que je peux partir…De toute façon, je n’attendais pas cette « permission » pour m’en aller…J’étais sur le point de regagner le chemin du couloir…

Mais, une faible étincelle illumine son regard comme s’il venait de se rappeler quelque chose…Quelque chose d’important ou évidente…Je le regarde donc sans dire un mot. Il se met à faire des signes de la main…Il essayait de me faire comprendre quoi? Je regarde un moment son numéro de mime…

Écrire…
-Attends-moi ici…

Je le laisse seule un instant pour aller dans ma cellule…Je vais directement à mon lit et je fouille en dessous…C’est là où je mets toutes mes affaires…Ça fait longtemps que je n’avais pas dessiné ou écris…Il faut dire que ce n’est plus ma préoccupation première malgré l’ennui qui vit ici… Et ce n’est pas mon matériel préféré …J’en viens à me demander si je trouverais ce que je cherche…Puis, je finis par trouver une boîte de crayon de cire à moitié vide, peut-être même plus qu’à moitié…Je quitte ma cellule pour rejoindre celle de Jack…

-Les gardiens ne laissent pas entrer de crayons de plombs ou à l’encre ici…C’est considéré comme une arme…Expliquais-je, quoi que je doute bien qu’il soit au courant…Mais, ça, ce n’est pas vraiment dangereux…Ajoutais-je en lui tendant la boîte de crayon.

Je marque une pause.

Évite de les user trop rapidement, je ne sais pas quand je pourrais m’en procurer d’autres…

[arf .. excuse moi ¬¬ je clos partout … je veux vraiment me débarrasser du plus gros de mes rps… ]

-Attends-moi ici…

Oui.

Où voudrait-elle que j'aille de toute façon ? Je n'ai nulle part où aller. Personne à qui parler. Rien à faire ici. La cellule vide me renvoie l'écho de mon silence. J'entends des bruits de discussion dans les autres locaux. "Tôt ou tard… je redeviendrais… le jouet de quelqu'un… Autant que ce quelqu'un soit fort… qu'il puisse me protéger des autres… Ce que je veux… ce que j'attends de vous… c'est que vous soyez ce quelqu'un… je… je n'ai pas peur…" J'essaie de porter mon attention ailleurs. Les conversations des gens ne me regardent pas. Rien ne me regardera, puisque moi-même je ne pourrai pas tenir de conversation avec qui que ce soit. Plus jamais. Je me souviens de ces soirées passées à côté de Jesse, de sa voix suave et grave qui parlait pour nous deux. Il me demandait souvent si j'approuvais ses dires, je répondais par oui ou par non. Il ne m'imposait rien, il ne m'avait jamais demandé la raison de mon mutisme; il le respectait seulement, il vivait avec. Tout le monde autour passait son temps à se moquer, à poser des questions tout en sachant très bien que je ne répondrais jamais. J'émets un reniflement ennuyé. "Simplement parce que je veux profiter de toi en t'amadouant." Je pose mes mains sur mes oreilles. Je n'aime pas ce manque d'intimité. Je ne veux rien entendre de ce qui ne me regarde pas. Je ne veux rien entendre. Je ne veux rien… Mes mains sur mes oreilles sont loin de suffire, j'entends des pas sur le sol. Je retire mes mains et me tourne vers la porte.

-Les gardiens ne laissent pas entrer de crayons de plombs ou à l’encre ici…C’est considéré comme une arme…Mais, ça, ce n’est pas vraiment dangereux…

La boîte de crayons entre mes mains me fait l'effet de la huitième merveille du monde. Je vais pouvoir lui écrire merci. Je vais pouvoir lui faire savoir ce que je pense. Et elle pourra comprendre. Un stylo aurait été beaucoup mieux. Toutefois je me contenterai des crayons mous, les crayons inoffensifs.

-Évite de les user trop rapidement, je ne sais pas quand je pourrais m’en procurer d’autres…

Je ferai attention… Je sors un crayon de la boîte et, comme je n'ai pas de papier pour le moment, j'écris à même la boîte. Les lettres sont grosses et incertaines à cause de la cire, à cause du fait que j'écris petit pour ne pas dépasser de la surface qui m'est allouée.

Merci. Je m'appelle Mani, pas Jack.

Je souris, puis mordille un peu le crayon avant d'ajouter.

J'aimerais être un peu seul.

En le lui montrant, j'incline un peu la tête de côté. Je ne sais pas si on peut comprendre que ça veut dire que ce n'est pas dirigé contre elle.

(No problemo)

Quand j’arrive, il a les mains sur ses oreilles. Je le regarde perplexe puis écoute. Ah…Je vois…Il n’est pas encore habitué à ce que moi je suis habituée. Ce manque d’intimité. Ces paroles qu’on entend constamment et que bien sûre, on ne préfère pas entendre. Mais, c’est comme ça que ça marche ici. Les cellules sont tous l’une à côté de l’autre…Et rien pour réellement bloquer le son. Il faudra qu’il apprenne à vivre avec ça aussi. J’en viens même à penser que ce n’est pas tout le monde qui y arrive. Moi, je fais avec…J’ai fais avec tout les inconvénients de la prison. Et parfois, je me demande bien comment. Comment j’ai pu bloqué mes oreilles à tout ses sons alors que j’en suis incapable quand c’est Kô que j’entends? Ça n’a aucun sens. Je n’ai aucun sens de toute façon.

En tout cas, le gamin a l’air heureux de mon petit cadeau. Ses yeux semblent pratiquement brillé. Au moins, ça, ,ça peut le rendre « heureux ». Si j’ai pu lui rendre service…Tant mieux. J’ai été au moins utile à ça. Il commence aussitôt à écrire sur la boîte. Qu’écrit-il? Peut-être me donnera-t-il son vrai nom…Je n’aurais plus à l’appeler Jack. Et, c’est bien sûre ce qu’il fait. Il s’appelle Mani, « pas Jack ». Mani…Je vais m’en souvenir. Il me remercie…Mais de rien petit…

Il veut être un peu seul. Je peux comprendre…De toute façon, rester planter là n’était pas dans mes intentions. J’ai autre chose à faire que de le tenir par la main. Il va mieux s’en sortir si je ne suis pas là de toute façon. Je lui adresse un fin sourire.

-Au revoir,Mani…À notre prochaine rencontre…

Car je crois bien que nous allons nous revoir…Je quitte sa cellule et lance…

-Si tu as besoin de quoi que ce soit…Je ne suis pas loin…

Je le laisse finalement seul…Et me dirige vers les couloirs…

(Topic terminé)