Un fou

-Gleb Sergueïevitch.

-Pardon? je demande.

-Ser-gueï-e-vitch! répète l'homme.

Oh… Eh bien je me contenterais de son prénom. Tant pis. Moi et les noms venant de nulle part, ça fait deux, ou plutôt 1101. Je tourne les talons après de gentilles salutations. Enfin, gentille de mon côté. Ces gardes sont des rustres. Ils repartent aussi à leur poste, sauf un dont le poste est devant ma porte. J'entre. Gleb m'attend, assit, passablement nerveux. Quelque chose dans ses yeux me rappelle ma propre personne. Il est effrayé, paniqué. Il suffit de voir la manière dont il joue avec ses doigts pour le comprendre, son dos courbé et sans doute courbaturé, les tremblements qui agitent parfois ses épaules frêles. Cette vision de moi-même en homme m'empêche de le saluer convenablement. Je me contente d'abaisser et relever la tête avec politesse, puis de gagner mon bureau. Pendant quelques instants, je farfouille dans ma paperasse, jusqu'à déniche son dossier, que je parcours rapidement. – je ne l'avais pas encore fait – Le pauvre Gleb m'apparaît quelqu'un de très perturbé, paranoïaque sur les bords. Hm… Comment on peut demander à une paranoïaque de traiter une paranoïa? D'abord, il ne doit pas le remarquer tout de suite. Je remarque avec fascination que lui et moi avons sensiblement les mêmes craintes, mais je m'abstiens de le lui faire remarquer. Il faut que je reste professionnelle quand même.

-Tu as peur de moi? je demande après avoir lu "anthrophobie".

C'est surtout pour m'assurer que les bases seront bonnes. S'il a la trouille de cette consultation, qu'est-ce que ce sera?

J'observe la psychologue. Elle a une allure excentrique pour une psy. Elle semble ne pas trop retenir mon nom à ce que j'ai entendu de sa conversation avec les gardes.

-Tu as peur de moi?

Je réflechis quelques secondes. Les psy me donnent la trouille effectivement mais elle semblait si gentille.

Vous avez l'aire gentille, dis-je nerveusement ne sachant trop la réponse à sa question.

Je reste silencieux quelques secondes. Je regarde autour de moi, aubservant les rebord du murs et le sol, toujours tremblant. Je fus soudain agité d'un spasme...

Y'a-t-il des rats ici? Demandais-je avec dégoût et ma continuelle nervosité.

Je me tais à nouveau.

J'ai l'impression de passer un examen complet, ce qui doit se vivre dans les deux sens. Je l'observe autant que lui me regarde en cherchant une réponse à la question que je lui ai posée.

-Vous avez l'aire gentille, dit-il d'une voix pas trop assurée.

J'espère bien que j'en ai l'air, parce que je ne suis pas méchante pour deux kopecks. N'importe qui pourrait le confirmer. Le regard de Gleb se perd au ras du sol, au bas des murs. Je suis le mouvement de ses yeux, perçois un léger tremblement dans ses épaules.

-Y'a-t-il des rats ici?

Je ne l'avais pas vue venir celle-là. Dans la prison, oui, parfois il y a des rats. Mais dans mon bureau je n'en ai jamais vu. Alors pour ne pas l'inquiéter avec une demi-réponse, je lui réponds simplement qu'il n'a rien à craindre.

-Tu n'aimes pas les rats à ce que je vois.

Je reste silencieuse, il hoche la tête sans même s'en rendre compte peut-être.

-Il y a quelque chose que tu aimes bien? je demande de mon habituelle voix douce, paisible en apparence.

(kopecks...mais c'est quoi ça? XD)

Tu n'aimes pas les rats à ce que je vois.

Je vois qu'elle évite de répondre bien qu'elle essait de me rassurer du mieux qu'elle le peut...Mais je préfère ne pas insiter...J'ai trop peur de la réponse. Je jette encore plusieurs regard au sol...Mais je finis par lever la tête.

Il y a quelque chose que tu aimes bien?

Je réfléchis à la question, comme si ma vie en dépendait. Je ne sais pas quoi répondre à ça. Elle me parle d'une voix douce et calme. Le calme. J'aime le calme...Ça c'est une chose...On ne trouve pas ça, du calme, en prison hélas.

Le calme...Répondis-je après plusieurs secondes.

Ma voix toujours nerveuse...Je finis par baisser les yeux sous son regard...Je me sens mal à l'aise quand on ou que je regarde quelqu'un trop longtemps. Je continue de jouer avec mes mains pendant quelques secondes jusqu'à ce que je m'efforce d'arrêter.

[des kopecks c’est de la monnaie russe, qui ne vaut même pas un quart de sou noir XD]

- Le calme... dit-il après un assez long moment de réflexion.

Un léger sourire vient éclairer mes lèvres. Lui et moi avons cela en commun à ce que je constate. S’il aime le calme, il n’aime pas le bruit. S’il n’aime pas le bruit, il ne viendra sûrement pas en faire ici. Le résultat de cette formule est que je vais passer un entretien paisible, vide de toute trace de violence ou de colère dirigée vers ma personne. Un entretien comme je les aime.

Je porte une attention à tous les tics dont il est agité. Il se mordille la lèvre, baisse les yeux quand je le regarde, tortille ses doigts dans tous les sens sur ses pantalons. Eh bien. J’avais raison de le voir comme un deuxième Moi masculin. C’est infiniment intéressant, perturbant. Mais je me demande comment je pourrai me montrer efficace comme psychologue, puisque lui et moi semblons souffrir du même trouble de paranoïa aigue.

-Comment tu te sens dans la prison? Tous ces gens doivent te rendre nerveux, n’est-ce pas? En tout cas moi, je le serais aussi.

Je me suis retenue pour ne pas dire « je le suis aussi ». J’aurais perdu ma crédibilité.

Je la vois observer mes mouvements, scruter mon regard. Ça me met mal à l'aise. Je garde les yeux au sol.

-Comment tu te sens dans la prison? Tous ces gens doivent te rendre nerveux, n’est-ce pas? En tout cas moi, je le serais aussi.

Oui, dis-je directement après qu'elle finit de parler...Étant une des rares choses dont je suis sûre...C'est que la prison me rend nerveux, me terrorrise...Qui sait...Si ça continue je pourrait bien y laisser mes cheveux. Je regarde d'un bout à l'autre de la pièce, mais cette fois, je ne suis pas à la recherche de rats.

Comment pouvez-vous travailler ici? Je veux dire...À Sadismus.

Je repose mes yeux sur la psychologue...J'espère ne pas la mettre mal à l'aise avec ce genre de question. Je suis déjà mal à l'aise moi-même...

Sa réponse me rassure. Je ne saurais pas dire pour quoi, mais je me sens un peu moins seule. Dans ma carrière ici, je n'ai pas vu beaucoup de monde qui avouaient craindre la prison, encore moins dans le personnel. Bien sûr, Gleb n'est pas un de mes collègues. N'empêche que je me sens moins seule dans ma situation.

-Comment pouvez-vous travailler ici? Je veux dire...À Sadismus.

J'ai un petit sursaut à cette question. Je ne m'y étais pas du tout attendue. Et je n'ai pas de réponse toute faite à lui donner. Je lui réponds quoi? Que j'ai peur de la plus petite ombre quand je me promène dans l'aile des prisonniers? Que j'ai peur de l'homme qui partage ma chambre? Que je vies dans la peur constante que mon frère redevienne celui qu'il était avant? Non. Bien sûr que non.

-Eh bien… Ne crois pas que ce soit facile. On a tenté plusieurs fois de me tuer, de m'agresser ou ce que tu veux. Même les gardiens ne sont pas en sécurité ici si c'est ce que tu veux savoir. On vit dans le stress constant. Enfin, certains.

Moi en particulier, je me retiens d'ajouter. Je garde le silence. Cette question m'a un peu retournée je dois l'avouer.

Il a l'air de me croire à moitié quand je lui dis que les gardiens sont stressés. Pourtant, c'est logique. Ils sont entourés de meurtriers tous plus fous les uns que les autres. Je retire ma pensée. Non. Pas fous. Je déteste dire que les gens sont fous. Disons plutôt qu'ils n'ont pas tous la meilleure santé mentale qui soit, et que j'ai vu des gens beaucoup plus sains que la plupart d'entre eux. Toujours est-il que les gardes ici sont soumit à de fortes tensions. Il faut beaucoup de sang froid pour faire ce job. – donc on peut en déduire que j'en serais moi-même incapable –

Mon regard se pose dans le sien, pas longtemps, parce que je sens qu'il doit être aussi intimidé que moi je le suis face à d'autres personnes. Ses yeux me montrent qu'il est effrayé. Pas de moi. Ça je le sais à la manière qu'il a de regarder la porte, comme s'il avait peur de ce qui se trouvait derrière, ce que moi-même j'appelle le chaos. Il n'y a qu'ici et dans ma chambre – plus vraiment dans ma chambre depuis que j'ai changé de colocataire – que je me sente bien. Peut-être est-il comme moi et affectionne-t-il ce lieu paisible.

-Si tu avais à comparer la prison avec n'importe quoi, qu'est-ce que ça serait? je demande, intéressée.

-Si tu avais à comparer la prison avec n'importe quoi, qu'est-ce que ça serait?

Je detourne mon regard de la porte et le pose sur elle quelques instants. Mais qu'est-ce que cette question? Et qu'en est-elle la réponse? En dehors de ce bureau c'était la loi du plus fort, le chaos, la cohue, la zizanie...L'anarchie. Bien qu'incertain d'avoir bien compris la question, je finis par répondre.

Je ne sais pas...L'anarchie.

Je jette un dernier regard à la porte puis me donne comme ordre à moi-même de ne plus la regarder ainsi, de ne plus attendre l'heure fatidique où un garde ouvrirait la porte pour me reconduire à ma cellule. Je prends une grande respiration pour me détendre puis soupire.

Je ne suis pas du tout dans mon élément ici...Dans mon élément? D'ailleurs qu'est-ce que ça pourrait bien être? Je n'ai jamais été en paix...Encore moins quand le moment à été que je me retrouve tout seul avec ma mère et mon frère. L'anarchie ne se trouve pas seulement derrière cette satané porte, elle se trouve aussi dans mon esprit, mon coeur et ma tête...Était-ce pour ça qu'on me considère fou?

Son regard, enfin, quitte la porte et se pose sur moi. Je ne sais pas si c'est mieux, mais en tout cas, je ne me sens pas aussi mal que lorsqu'un autre meurtrier me regarde. C'est peut-être parce que Gleb a la même manière de regarder les gens que moi, un peu à la dérobée, rarement directement. J'attends sa réponse, qui pourrait être n'importe quoi. Plusieurs personnes à qui je l'ai posée par le passé ne savaient pas quoi me répondre, ou encore, avaient peur de donner une mauvaise réponse. Mais il n'y a pas de bonne ou de mauvaise réponse. C'est totalement personnel comme question.

-Je ne sais pas...L'anarchie, dit-il après un moment de réflexion.

Je hoche la tête, approuvant sa réponse. Effectivement, ça ressemble pas mal à ça pour moi. Mais j'ajouterais les mots "véritable enfer" et "poubelle de l'humanité". Mais bien sûr je ne passerai pas ce commentaire devant quelqu'un qui est condamné à passer sa vie ici, vu comme un déchet par la plupart des gens, ce que je trouve impardonnable.

J'ai lu dans le dossier de Gleb qu'il avait tué quatre personnes. Je ne peux m'empêcher d'être surprise maintenant que je l'ai devant moi. Il m'apparaît du même naturel nerveux que moi, à la différence que moi, je n'ai jamais été capable de faire du mal, même à une mouche, ni même à ceux qui m'en faisait, à moi.

-Et dans ta tête à toi, comment c'est depuis que tu es ici?

Elle hoche la tête...Ça veut dire quoi...J'ai donné une bonne réponse? Arf Gleb, n'essaie pas de comprendre, tu ne comprends jamais rien de toute façon. Non seulement je suis nerveux et la plus part du temps terrorrisé, mais je ne comprends jamais rien n'a rien...Peut-on faire plus misérable? J'en doute. Je laisse mon regard circuler dans la pièce encore et encore et encore...Restant pour le moment silencieux.

-Et dans ta tête à toi, comment c'est depuis que tu es ici?

Je pousse un petit rire, plus un rire de nervosité que de joie. Ma tête, comment pouvait-elle être pire qu'avant? Je suis déjà au top du chaos total dans mon esprit à mon avis...

Ça ne peut pas être pire que ça ne l'était je crois...

Mais, malgré tout, c'est vrai que la prison ne me rend pas "très bien". Je suis constament sur mes gardes, terrorrisé, en alerte...Mais bon sang, il y a une différence à l'être que j'étais avant d'être ici? Probablement que non...Non, aucune différence ne s'y trouve. Je mis perds...