Une mouche... [Sybou]

Une mouche… Je la suis du regard dans ses sublimes acrobaties aériennes. C’est très fort une mouche. Quand vous la regardez de près bien sûr c’est , comment dire ? Ben c’est une mouche quoi, c’est affreusement laid, particulièrement quand on sait que ces bestioles sont friandes de nos m****… Mais en prenant un peu de distance pour observer sa trajectoire en vol… Il y a largement de quoi être ébloui. Jamais vous ne verrez un oiseau quel qu’il soit voler de cette manière, comme ce doit être grisant de voler comme une mouche… jusqu'à l’écrasement par une main ou une tapette plus rapide, chanceuse ou maline que les autres évidemment. Mais avant… avant la vitesse de vol de la mouche est fabuleux pour un aussi petit corps, avant il n’existe pas d’angle trop aigu pour en faire un virage à pleine vitesse, avant on doit se sentir si libre dans l’immensité de l’air… Vous savez comment on sat qu’on est tombé au plus bas ? Quand on en est réduit à regarder les mouches voler et qu’en plus, on les envies.

Sérieusement est ce que par le plus grand des hasards je n’aurais pas autre chose à faire que regarder les mouches, pardon la mouche, voler ? Mon regard se détache un instant de l’insecte pour parcourir brièvement les murs de la salle commune, sans même prendre le temps d’observer le reste, juste les murs. Des murs presque nus et tout à fait déprimants… La mouche revient voleter près de mon nez, comme pour me reprocher de la délaisser. Au moins ça me change des détenus. Sûr que ça ne serait pas eux qui réclamerait mon attention, il n’y a qu’à voir la différence de densité de population de la salle entre le moment ou je suis entré et maintenant. J’imagine bien la grande question existentielle qui devait se poser à eux quand je suis entré : comment faire pour sortir sans attirer son attention ? J’ai observé leurs différents stratagèmes, plus ou moins ingénieux, du coin de l’œil pendant quelques temps mais c’est rapidement devenu lassant. Je n’en ai même pas choisit un pour aller le torturer tranquillement sous un prétexte quelconque, pas qu’il soit obligatoire d’avoir un prétexte mais c’est plus drôle d’en trouver un, quoique c’est assez amusant aussi de voir le désespoir de ceux que je tourmente comme ça sans préavis ni raison… Mais même cela c’est lassant, oui tellement lassant… Mes yeux se ferment doucement, il n’y a rien à voir ici de toute manière.

Il n’y avait pas de gardien dans la salle… Pour ce que je m’en soucis de toute façon, ils sont éventuellement une cause de contrariété, sans plus… On ne peut pas les toucher donc ils sont inintéressants. Quel dommage tout de même au moins il se défendraient mieux que les prisonniers, ils sont armés eux ! Ah je crois que c’est ça qui me manque en fait. Une vrai résistance. Avec une vrai possibilité de résistance. Qui peut prétendre m’échapper dans cette prison et plus particulièrement dans ses sous sols ? Aucun prisonnier ne le peut je pense, je connais trop bien la configuration maintenant, c’est mon domaine, mon territoire, ma tanière... Si seulement j’en rencontrais un qui m’échappait ! que ça me ferais plaisir ! Mais ce ne serait que partie remise parce que même s’il m’échappait ce ne serait pas difficile de le retrouver ensuite, il ne pourrait s’enfuir nulle part… Ce ne serait pas une traque, une vrai chasse…

Peut être que je devrais sortir, prendre un congé de quelques jours et partir chasser mes proies favorites, trouver des poupées qui ne porteraient pas le même uniforme… Oh ce serait merveilleux rien qu’une fois… mais ce serait risqué parce que j’aime trop ça pour me cacher maintenant, pour cacher mes poupées qui ne bougent plus… Et je n’ai pas très envie de revenir ici en tant que prisonnier… Quoique… Le risque augmenterait le plaisir… Mais quand même, je préfère jouer avec mes poupées qu’en devenir une. Je laisse ma tête partir en arrière et lèche distraitement mon visage sans but apparent. J’ai senti les derniers malheureux occupants de la pièce se tendre à ce mouvement. Je m’en soucis si peu. Les cicatrices que je sens sous ma langue sont à peine perceptibles, à l’exception d’une ou deux fines lignes mon visage doit sembler lisse. Il était pourtant complètement déchiré… ah comme je m’étais amusé, il faudra que je la retrouve. Comment s’appelait-elle ? J’oublie les noms, les visages aussi, j’oublie beaucoup de choses en fait… Pourquoi la masse au milieu de la pièce vient-elle de gémir ? C’est… un prisonnier ? C’est moi qui lui ait fait ça je suppose… Peuh du travail grossier sans subtilité aucune… il a du m’énerver ou être sur mon passage ou être, tout simplement. Lui n’a pas de nom pour moi et ne devrait en avoir pour personne tant il est insignifiant. La mouche décrit une délicate arabesque en vrombissant près de mon visage puis se pose sur mon épaule. Je la saisit machinalement par les ailes. Avant de découvrir des jouets bien plus passionnant j’arrachais les ailes des mouches. Je pousse un léger soupir et relâche la mouche qui volète un instant de travers avant de retrouver son équilibre. Je ne suis plus un enfant. La mouche finit par se pose sur la table voisine de mon siège. Puis redécolle pour recommencer son manège. La flamme de mon briquet jaillit et je contemple un instant son cadavre carbonisé, je suis un adulte maintenant. Et bon sang qu’est ce que je m’ennuie.