Besoin d'aide ? [pv Logain]

Prends à droite au bout de la ligne droite. Enfin, pas tout à fait au bout. Après le trois-quarts de la distance en fait, c'est-à-dire 53 mètres, c'est-à-dire 112 pas. Les pas sont comptés dans ma tête, sans que j'aie réellement à y penser. C'est devenu automatique. Je connais la prison tout comme je connaissais mon ancienne maison, alors à moins qu'ils ne décident de me changer de cellule, tout devrait bien aller. D'un côté, je ne vois pas vraiment pourquoi ils feraient une telle chose. Deux hommes me suivent. L'un d'eux est grand, je dois me tordre le cou pour avoir l'air de le regarder. Et l'autre est un petit peu plus grand moi, probablement dans le mètre soixante. Bon d'accord, c'est déjà pas mal plus grand que moi et mon mètre 42. Les deux hommes portent une énorme boîte à eux deux. Une boîte que je n'aurais jamais pu transporter moi-même. Une boîte qui contient ce que la direction a enfin consenti à m'accorder : de la terre glaise. Facilement maniable, molle jusqu'à ce qu'on la cuise. Je souris tout en marchant, les mains dans les poches. Depuis le temps que j'ai la forme de la main d'Hina au bout des doigts, ceux-ci me démangent. Je vais enfin pouvoir la sculpter. J'indique la cellule aux deux hommes, qui s'empressent de déposer mon paquet sur le plancher de ma cellule. Je serai approvisionnée régulièrement, on me l'a promis. Une semaine après chaque demande, la commande devrait arriver. La direction semblait heureuse de faire entrer un peu d'art dans la prison. J'en suis tout aussi heureuse, sinon plus encore. Les hommes me laissent enfin seule.

Ma cellule est vide, comme la plupart du temps. Sinon la nuit, mes colocataires ne sont pratiquement jamais là, ce qui me laisse beaucoup de temps pour moi. Du temps pour penser – que j'utilise un peu trop d'ailleurs. Et maintenant du temps pour produire quelque chose, pour produire tout ce que j'ai dans la tête depuis si longtemps. Depuis mon arrivée. Je débarrasse la petite table qu'on m'a offerte avant l'arrivée du matériau des papiers qui trônaient dessus, et j'entreprends d'ouvrir la boîte. Un petit peu plus difficile que prévu. Elle est scotchée avec zèle. Et comme les couteaux sont interdits ici …

Je peste entre mes dents et m'agenouille par terre devant la boîte qui est maintenant presque plus grande que moi. Avec mes ongles, j'essaie de trouver l'endroit où je pourrai décoller le ruban, mais j'ai beau le trouver, je n'arrive à rien. Je laisse échapper un juron, agacée.

-T'as besoin d'aide, petite ? lance une voix.

Je sursaute, étonnée de ne pas avoir entendu venir qui que ce soit. Je devais être vraiment concentrée. Je tourne la tête vers la porte de la cellule. La voix touchait presque le plafond, à quelques pouces près, bien sûr. Je hoche la tête, ne notant pas trop le "petite" qui suivait la question.

-Je n'ai rien pour l'ouvrir, je fais en me levant et en époussetant ma jupe – probablement désassortie à mon gilet, comme toujours – pour en enlever la poussière. Et les gardes qui l'ont emmenée n'ont pas offert de l'ouvrir, alors je n'ai pas voulu les embêter.

-C'est bien pratique, dit l'homme en s'approchant.

Je recule, pour lui laisser la place que j'occupais. Je l'entends qui se penche, qui bouge un peu la boîte. Celle-ci est lourde et produit un bruit sourd et incertain, comme si elle faisait partie du plancher et refusait de bouger.

-Il y a quoi là-dedans ? Un cadavre ?

Mes yeux s'écarquillent. Ils les a les questions, lui ! je songe, vexée. Mais je m'efforce de garder mon calme, de redonner à mon visage un air simple et décontracté.

-Je doute qu'on autorise ce genre de marchandises à voyager entre ces murs, je dis d'un ton doux. C'est de la glaise.

Petit silence.

-De la terre molle et mouillée, je précise.

Il soupire, recommence à tripoter la boîte, m'affirmant qu'il sait ce qu'est de la glaise, qu'il se demandait seulement pourquoi il y en avait une boîte plus grosse que moi dans ma cellule.

-Pour sculpter, je fais.

Nouveau silence… Peut-être se doutait-il un peu de cette partie de réponse. Peut-être était-ce autre chose qu'il voulait savoir en posant cette question. C'est difficile de savoir ce que veut vraiment dire quelqu'un quand on ne voit pas son visage.

( ce rp est vraiment d'une nullité... Désolée, je n'avais aucune inspiration et j'ai mal à la tête xD )

Les gens occupent leur temps comme ils l’entendent. Certains crachent par terre, d’autres mesurent leur queue, quelques uns ou unes s’envoient en l’air et un ou deux emmagasinent la glaise dans leur cellule de prison. Elle est bien chanceuse la petite de recevoir un tel présent dans cette foutue prison corrompue jusqu’à la moelle. J’apprécierais que la direction m’accorde l’autorisation de poursuivre mon métier, mais peine perdue, les gens ne comprennent pas la valeur de la prostitution. Mes filles n’étaient pas contraintes de coucher avec des gros porcs crasseux et gras; je sélectionnais mes clients avec goût ou laissais le choix à mes employées. La plupart acceptait d’écarter les cuisses pour n’importe qui en autant que ça rapporte. De mon côté, je ne m’en plaignais pas, des liasses de billets m’inondaient de toute part.

-Ta boîte est rudement bien scellée, ma petite, à quoi pensaient les gardiens ? Que tu allais déchirer tout ça à coup de dents ?

L’enfant fixe le mur derrière moi, les pupilles aussi inertes et ternes d’un mort, en mordillant sa lèvre inférieure, les mains crispant ses jupes comme si ma présence la rendait nerveuse. C’est peut-être le «ma petite» qui l’offusque à ce point. C’est vrai qu’à son âge, elle doit avoir par plus de quatorze ans cette gamine, je n’aimais pas qu’on me rappelle mon statut. Alors que je déballe la boîte, j’examine minutieusement la jeune fille dont le regard, immobile et éteint, ne rencontre jamais le mien. Est-ce de la timidité ? Ses yeux s’abaissent, remontent vers le plafond, se posent au-dessus de ma tête, me contournent. Je fronce les sourcils.

-Quel âge as-tu, mon enfant ?

Les rubans adhésifs se font insistants, mais en les tirant avec brusquerie je parviens à ouvrir cette fameuse boîte d’où une forte odeur me soulève le cœur.

-21 ans.

Elle redresse un peu le menton, l’abaisse, incline la tête comme si elle prêtait attention à mes bruits. Je me redresse, m’éloigne un peu de la jeune fille et la dévisage. Vingt et un ans ? Impossible. Ces traits de poupée, sa voix flûtée et son air innocent me font penser à une jeune inexpérimentée, à mes nouvelles recrues qui ignoraient tout de ce monde.

-Je vous croyais plus jeune, j’avoue. 21 ans ? C’est tôt pour être enfermée ici. Qu’avez-vous commis ?

-Ce n’est pas de vos affaires…, dit-elle froidement mais avec une once de malaise.

-Humm, je fais en plongeant mes mains dans mes poches et opte pour changer de sujet. Votre boîte est ouverte, auriez-vous besoin d’autre chose pendant que je suis là ?

Elle tourne la tête de gauche à droite, les lèvres pincées, cherchant peut-être quelque chose.

Cet homme ne me plait pas beaucoup. Je n'aime pas ses manières, ni cette manie bien rapide qu'il s'est trouvée de m'appeler "ma petite", "gamine" ou encore "l'enfant". Je soupire, l'écoutant d'une oreille distraite. Je sais que je ne devrais pas. Dans les conversations, ce sont mes oreilles seules qui me guident, puisque je ne peux pas me fier à mes yeux. Je me recule, m'adosse au petit bureau que je partage avec trois autres personnes, et qui ne sert pas à grand-chose. Maintenant il me servira d'atelier.

-Si j'ai besoin de quelque chose d'autre, je répète, tapotant ma lèvre inférieure avec mon index droit.

Je fais mine de regarder autour de moi, à la recherche d'un objet manquant. Je pourrais lui demander de faire mon lit, juste histoire de voir s'il le ferait. Non, bien sûr que je ne ferai pas ça. Je n'oserais pas demander à quelqu'un quelque chose dont je n'ai pas besoin, même si cette personne ne m'est pas très sympathique.

-Merci pour la boîte, je fais, souriant et inclinant la tête. Je n'y serais jamais arrivée sans vous.

C'est un minimum de politesse, et c'est vrai, après tout. Je n'aurais jamais pu ouvrir cette boîte sans l'aide de cet homme.

-Je n'en doute pas vue votre taille, dit-il en riant.

Et au bruit caractéristique que je reconnais, je devine qu'il s'est adossé au mur en face de moi. Tout le monde qui est habillé fait ce même bruit en s'appuyant sur la pierre de la prison. Il y est allé doucement, mais il s'est laissé tombé sur les quelques derniers millimètres, c'est ce qui a produit le son. J'écarte une mèche de mon visage, un petit tic agacé agitant mes lèvres tirées. Cet homme réduit tous mes efforts de politesse à néant. Ce genre de personnes me tape sur les nerfs. Mais bon, je ne vais quand même pas lui en tenir rigueur. Il n'a seulement probablement pas été enfermé pour excès de courtoisie.

-Je m'appelle Nadine, je dis, prenant les devants pour les présentations. Et vous ?

J'avais cette impression étrange qu'il ne me donnerait pas son nom sans que je le lui demande d'abord.

-Logain.

Logain, c'est charmant comme nom. Très peu commun. Je suis prête à parier qu'à cause de son nom, il a été facile à retracer, quel qu'ait été le crime commis. Vue sa taille, je dirais … meurtre. Avec de grosses mains, on peut facilement étrangler quelqu'un, le forcer à faire n'importe quoi. Peut-être viol. J'amorce un mouvement pour reculer, et la table frappe le mur. Je bafouille, contourne la table et recule le plus que je peux, soudain mal à l'aise.

-Vous êtes ici pourquoi ? je demande, la voix faible.

-Vous ne vouliez pas me dire pour vous et je devrais vous répondre ? dit-il en ricanant.

Il avance d'un pas, s'écarte du mur. Je hoche la tête. Oui, je veux qu'il me le dise. S'il a violé quelqu'un, j'ai beaucoup de raisons de me tenir loin de lui.

-J'ai tué mon père. Voilà c'est dit. À vous maintenant.

Et après je m'étonne qu'on me confonde avec une gamine …

J’hausse les épaules et promène mon regard sur la petite cellule encombrée de lits, de tables de chevet et d’une énorme boîte emplie de glaise. Puis, avec minutie, j’examine la petite meurtrière d’un œil expert. Petite est le terme qui convient vue sa taille d’enfant et ses membres courts et frêles. Plutôt jolie si ce n’était de ces yeux hagards et ternes qui semblent percevoir un autre monde que celui-ci. Oui, elle aurait très bien pu remplir le rôle de fille de joie étant donné que beaucoup d’hommes, dans mes clients, aimaient les jeunes femmes d’apparence enfantine au visage d’ange et au tempérament craintif et timide. Sinon, elle a de belles courbes quoique trop réservées et camouflées sous ces vêtements amples et dépareillés. Quant à sa chevelure, il lui faudrait une coupe et un bon nettoyage pour les rafraîchir et les rendre tout à fait soyeux et sublimes.

La petite se dandine d’un pied à l’autre tout en s’immobilisant dès que j’amorce un mouvement ou un geste. Je remarque un frisson parcourir sa peau ainsi qu’un léger tremblement dont la cause demeure pour moi un mystère. De plus, elle semble mesurer la distance qui nous sépare avec une grande attention et recule de quelques pas si j’osais m’avancer ne serait-ce que de quelques centimètres. Fronçant les sourcils, j’analyse cet étrange comportement, me ravise de m’approcher d’elle et m’adosse une fois de plus contre le mur de pierre. Nadine, attentive et me fixant d’un air terrifié et perdu, reste figée dans une posture droite et crispée.

-Pour quel crime avez-vous été enfermé ? s’informe-t-elle avec empressement, d’une voix emplie de terreur grandissante.

-Oh la, la ptite, je fais en redressant mes mains devant moi. Je ne suis ni un meurtrier, ni un voleur, ni un violeur. J’ai seulement dirigé une industrie. Industrie qui ne plaisait pas aux autorités.

Nadine incline un peu la tête, pince les lèvres et ne me lâche pas du regard. Ses yeux vides et sans éclats me toisent avec…avec rien. Comme s’ils ne subissaient pas le poids des émotions. J’hausse les épaules, mal à l’aise et passe une main dans ma chevelure en bataille.

-Quelle sorte d’industrie ? ose demander la fille en se plaquant contre le mur.

Je soupire, roule mes pupilles, découragé. Puis je lui avoue que ce sujet ne la concerne en aucun cas, mais elle rétorque en avançant qu’elle m’avait avoué la cause de sa captivité et que je devais tenir ma parole. Second soupire.

-Je dirigeais l’un des plus grands réseaux de prostitution.

Nadine étouffe un cri d’épouvante et me hurle de me tenir loin d’elle, toute tremblante et frémissante de frayeur.

-Oh la, on se calme, je dis avec stupeur. Je ne vois pas pourquoi tu t’excites à ce point. Nous sommes dans une prison, et non dans un lieu propice à la prostitution.

Nadine murmure, hoche la tête, lisse sa jupe et s’excuse, prétextant qu’elle avait passé une mauvaise nuit et qu’elle me soupçonnait de lui vouloir un mal quelconque.

-Calme-toi, Nadine, je fais en rigolant. Je n’ai pas l’intention d’abuser de ton petit corps.

[post merdique, désolée...]

Quelle sotte tu fais, petite Nadine, je songe, soupirant contre le mur. Comme si un homme pouvait être assez idiot pour abuser de quelqu'un en prison, alors qu'ici, il est déjà dans les ennuis jusqu'au cou. Aucun homme ne serait prêt à risquer la chaise pour un simple corps … Oui si, au contraire. J'avais entendu une fois des femmes discuter d'agressions dans la prison. Cette conversation m'avait glacée jusqu'aux os. L'une des femmes avait dit qu'ils ne s'en prenaient qu'aux plus faibles, et j'ai pensé qu'elle devait me montrer encore plus crédible dans ma couverture de tueuse.

Contrairement à ce qu'il m'a affirmé, moi j'ai l'impression que la prison est bel et bien un lieu propice à la prostitution. Soit il ne l'a pas encore constaté parce qu'il n'est pas ici depuis longtemps, soit il le sait mais ne veut juste pas le dire, pour couvrir ses activités sales. Je soupire. Tu as beaucoup trop d'imagination, Nadine. Je vais finir par m'imaginer que le monde entier en a après ma peau. Je fronce les sourcils, "toise" l'homme avec un soupçon d'arrogance.

-Alors si vous n'en avez pas l'intention, vous ne verrez aucun inconvénient à ce que je vous demande de quitter ma chambre. Je vous remercie de votre aide, maintenant je voudrais créer.

L'homme soupire, ne dit rien et fait quelques pas. Soulagée, je m'avance vers ma glaise, pour constater qu'il n'est pas sorti. Il est simplement à côté de la boîte, probablement tourné vers moi, à cause de la façon dont sa respiration parvient à mes oreilles.

-La sortie est par là, je dis en pointant vaguement la large porte à barreaux de la cellule. Vous êtes aveugle ?

Je souris. Étrangement, j'ai toujours adoré utiliser cette expression, surtout depuis que je suis moi-même aveugle. Je ne suis pas d'un naturel baveux, mais cette phrase me permet de poser en dérision mon état handicapant.

-Non, je ne le suis pas, dit-il, restant toutefois là où il se trouve. Seulement, j'aimerais bien voir ce que vous créez.

-Des sculptures. N'est-ce pas évident ?

-Auriez-vous besoin d'un modèle ?

-Je l'ai déjà.

-Où ? Je ne vois rien qui puisse servir de modèle sinon des pierres et une chaise. Ah j'y suis. Vous allez vous construire un mobilier neuf, dit-il d'un ton cynique.

Je soupire, m'approche de ma boîte et y pose la main, caressant la surface molle et fraiche du matériau tant désiré. Je pourrais le couvrir de glaise et en faire une statue vivant, mais ce serait méchant, et ce serait aussi du gaspillage.

-Le modèle est dans ma tête.

-Et qu'est-ce que c'est ?

-Une main.

Il reste silencieux un instant.

-Eh bien … je peux peut-être rester et observer comment vous vous y prenez.

Et avant que j'aie le temps de protester, monsieur me contourne et s'assied sur mon lit.

listening to Hack Dusk OP - New World

Un jour, les femmes me feront payer mon comportement vis-à-vis elles, bien que la plupart raffolent de cette attitude désinvolte et arrogante. Cela les charme, cela leur plait. Je puis vous l’assurer. Du moins, mes anciennes conquêtes agissaient de la sorte et possédaient ces critères de sélection chez les hommes. Chacune prétendaient que je les exaspérais, que je n’étais qu’une brute ignoble parmi tant d’autres, un individu sans cœur et n’ayant aucun honneur. Toutefois, en secret, elles s’admettaient éprouver pour moi plus que de la haine et du mépris. Sur mon passage, elles papillonnaient des paupières, soupiraient avec langueur, arboraient de séduisantes parures et rêvaient d’une bonne et agréable nuit en ma sainte compagnie. Il va sans dire que j’agissais un peu comme elles, les paupières et les soupire en moins. Quant à moi, je bombais le torse en jeune écervelé, minaudais des mots doux à leurs oreilles, les complimentais abondamment et suivais les cordes de l’étiquettes convenable à employer envers une dame. Mais je tiens à préciser que, même un homme à femme, je n’ai jamais forniqué avec l’une de mes employées bien que la majorité espérait goûter à ce luxe.

Plusieurs me traiteront de tous les noms et me pointeront du doigt s’ils connaissaient ma profession, mais ceux-ci ignorent que mes filles possédaient un revenu annuel aussi élevé qu’un médecin très réputé, voire plus. Elles jouissaient d’une qualité de vie parfaite. Elles n’étaient nullement malmenées, je les protégeais de tout danger. C’était un bon temps, un très bon temps. Et maintenant, que me reste-t-il ? J’ai une immense fortune dissimulée quelque part, à l’insu de tous. Fortune qui demeurera cachée pour des années, voire peut-être des siècles. Mais sinon, je longe cette prison infecte où la compagnie est étrange, où les règles sont bafouées, où la corruption est à son comble, où se trouve une fillette qui sculpte de la glaise. On aura tout vu dans cet établissement.

-Allez, montrez-moi comment vous procédez. Cela m’intéresse. Je n’ai jamais eu la chance de voir une artiste à l’œuvre.

À dire vrai, je n’ai jamais fréquenté des artistes. Ceux-ci sont extrêmement bizarres, éternellement plongés dans leur monde, rêvassant toujours et idolâtrant la solitude afin de mieux créer. Autrefois, alors que j’allais encore au collège, j’ai fais la rencontre d’une charmante étudiante dont la passion était la peinture. Elle dessinait si bien. Quel talent. De ses mains jaillissaient des personnages aussi vivants que je le suis, aussi vrais que je le suis. C’était ahurissant. Malheureusement, nous n’étions pas faits l’un pour l’autre. Je me demande ce qu’elle advient.

Nadine plonge alors ses mains dans la boîte de glaise, en attrape un énorme fragment, s’avance vers un bureau avec hésitation et comment à pétrir et modeler sa matière citée plus haut. Au fur et à mesure que ses doigts palpent la glaise, une forme apparait. Plus le temps passe, plus je suis surpris par le talent de cette jeune fille, et quelle dextérité ! On dirait qu’elle est née avec un morceau de glaise dans les mains.

-Depuis combien de temps sculptez-vous ? je demande, étonné.
-Depuis longtemps, répond timidement mon interlocutrice.
-C’est fort joli, c’est la main d’une personne que vous connaissez ?
-Oui…

Je m’installe confortablement sur le lit tout en observant la prisonnière à l’œuvre.

Enfin, connaître est un bien grand mot. Je n'ai vu Hina qu'une seule fois, mais j'en garde un grand souvenir. C'était la première fois depuis mon arrivée dans cet endroit maudit que je touchais la peau de quelqu'un. C'est cette main, cette peau qui m'a convaincue qu'il fallait que j'arrête de geindre et d'être inactive, qui m'a convaincue de faire ce qu'il fallait pour retrouver la seule parcelle de mon ancienne vie que j'aie jamais aimée. Je soupire, étire doucement un petit morceau de glaise, glisse mes ongles dedans pour former les lignes de sa main. Je sais que probablement mes sculptures ne seront jamais cuites, et donc qu'elle se détruiront dès qu'on les touchera sans douceur.

Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là, avec cet homme qui me regarde – je sens son regard sur moi aussi bien que la chaleur d'un projecteur au théâtre – quand je caresse enfin dans un geste presque amoureux la main que je viens de terminer, parfaite, identique à celle d'Hina. Enfin, je sais qu'elle l'est, car la sensation au toucher est exactement la même. Les mêmes plis, les mêmes cassures de ses ongles qu'elle arrachait de ses doigts et de ses dents quand e l'ai rencontrée. J'entends du bruit à ma droite : l'homme s'est levé pour s'approcher et observer mon travail.

-À qui appartient-elle ?

-À une prisonnière.

-Ne me dites pas son nom, je suis persuadé que je pourrais la reconnaître rien qu'à sa main.

Il y avait une lueur d'admiration dans sa voix tandis qu'il me posait diverses questions sur la manière dont je m'y prenais. Comment je faisais pour sculpter ainsi, sans le modèle devant moi. C'était simple, je lui explique en douceur. J'ai une excellente mémoire tactile : il me suffit de tâter et d'enregistrer au bout de mes doigts les courbes d'un objet ou d'une personne pour ensuite la reproduire avec ce que je crois être de l'exactitude.

-Vous croyez ? demande-t-il, incrédule. Vous n'êtes pas certaine de bien reproduire ce que vous sculptez ?

Je me mords la lèvre, recule d'un pas.

-C'est-à-dire que … ma mémoire visuelle n'est pas très bonne, elle. Je pourrais vous croiser demain et ne pas vous reconnaître si vous me saluez, alors je ne saurais dire, avec mes yeux, si cette main artificielle ressemble réellement à son modèle vivant.

-Je comprends, chacun ses forces, n'est-ce pas ?

Je hoche la tête, laisse aller ma respiration à son rythme normal. Il continue de me complimenter sur ma sculpture, à un point où c'en devient gênant. Je soupire puis, résignée, je m'approche à nouveau de la table et écrase la sculpture entre mes petites mains. Avec délicatesse, je redonne une non-forme à la glaise avant d'aller la remettre dans la boîte. L'homme ne comprend pas, s'emporte presque en me demandant ce que je fais.

-Je ne peux pas la rendre dure, je dis en soupirant. Il me faudrait un four, et encore. Je n'ai pas la certitude qu'on voudra bien me redonner une boîte quand celle-ci sera vide. Alors autant récupérer.

-Mais vos œuvres …

-L'art est éphémère, je dis dans un murmure, refermant en douceur le couvert.

Il n'ajoute rien, et je reste un moment silencieuse, les mains posées sur le dessus de la boîte, la tête basse. Et puis, où est-ce que j'entreposerais mes sculptures si je pouvais les garder.

listening to Black Light Burns - The Mark

Pff…Les artistes. Ils ont toujours des idées particulièrement étranges qui leur passent par la tête. Voire que leur perception de la réalité est bien différente des gens dit normaux. Comme Nadine, elle anéantit une œuvre qui lui a pris quelques heures de son temps avec un haussement évasif des épaules tandis que moi, dans sa position, j’aurais éprouvé un indéfini malaise de devoir détruire ma propre création et, ne pouvant prendre une décision éclairée, je l’aurais sans doute mise de côté en l’oubliant. Je souris bêtement, sautant d’un pied à l’autre, ne sachant plus très bien quoi dire ou quoi faire. Avant, je ne m’étais jamais senti aussi…déplacé dans une situation. Seulement là, je ne sais pas réellement pour quelles raisons, l’ambiance sans doute ou encore l’étrangeté de cette fillette, j’ai des drôles d’impression. Je porte une main à mon front tiède.

-Que comptez-vous sculpter maintenant ? je fais en évitant le long silence qui s’est imposé entre nous.

La petite hausse une fois de plus les épaules, pivote tout doucement sur ses talons pour me faire face, toutefois ses yeux toisent vaguement ma gorge. Ça doit être une lunatique. Les lunatiques ont toujours ces airs perdus et distants. Je me souviens de l’une de mes filles qui était elle aussi lunatique, mais un cas plutôt flagrant, qui oubliait, durant ses heures de travail, qu’elle devait satisfaire les plaisirs sexuels de ses clients. Voire pire, elle les attachait dans le lit, les excitait, leur murmurait des caresses aux oreilles, puis filait dans la salle de bain se procurer un petit quelque chose en guise de surprise pour le dit client. Mais une fois dans la salle de bain, mon employée détournait son attention de son travail et commençait à faire autre chose que du sexe. Alors, les clients demeuraient étendus dans une position fâcheuse jusqu’à ce que Claudia, la fille lunatique, se réveille et revienne terminer sa besogne. Seulement, les types, frustrés et choqués, réclamaient leur liberté et détalaient rapidement. Quant à Nadine, son regard est plutôt désarçonnant et alerte, il n’y a que ses yeux pâles et déroutants qui me font l’effet d’être égarés.

-Je ne sais pas.

Nouveau haussement des épaules.

-Je n’ai pas encore choisi de modèle.

J’incline la tête, m’humecte les lèvres et risque un coup d’œil en direction de la boîte remplie de glaise. Près de moi, Nadine remue un peu, penche un peu la tête comme si elle tendait les oreilles puis se redresse un peu, recule d’un pas et frictionne ses mains.

-Bah…Si tu as besoin d’un modèle dans les prochains temps, tu peux toujours me le demander.

De toute façon, il manque d’activités dans cet établissement de malheur et les heures se succèdent avec misère. Je ne suis pas quoi faire pour passer le temps, on dirait qu’ici, les journées et les nuits ne sont plus aussi rapides qu’au dehors des barbelées. Je tape alors dans mes mains et m’excuse de devoir la quitter.

-Sur ce, je dois y aller. C’est bientôt l’heure du souper. Nous nous reverrons sans doute bientôt.