Platonique (PV le vieux gâteux)

Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là. Ça fait plus de 30 minutes que j’ai fini de manger mais je continue à touiller avec ma cuillère ce qui reste de mon ragoût. Il me semble que ça fait bien longtemps que je me suis habituée au goût allant du répugnant au très quelconque de la nourriture de Sadismus. Et je suis là depuis plus d’une heure, Kô lui est parti depuis peut-être un ¾ d’heure déjà. J’observe mon bol avec un regard empli d’ennui face à une telle platitude. Il y 2 ou 3 ans je faisais la première page des journaux pour quelques meurtres immoraux qui apportaient un peu de lumière dans ma vie et maintenant je passes mes journées à discuter avec les autres prisonniers, avec moi-même et une créature qui n’existe pas. Parfois même, tu n’adresses la parole à personne pendant plus d’une semaine. Et puis là, je touille un restant de ragoût. Je mentirais si je m’ennuis du meurtre. Le meurtre ne m’apporte plus aucune lumière. La bougie s’est éteinte. Mais, je m’ennuis de la lumière en elle-même. J’ai l’impression d’être morte ou comateuse. En fait, en ce moment précis, je suis sans doute 6 pieds sous-terre et rongé par les verres. La prison est une illusion. Ça serait presque charmant si je le penserais sincèrement ce que je pense là. Mais, c’est faux.

Je me mets alors à observer les autres prisonniers…La majorité mange. D’autre discute. Il y a même un p’tit groupe avec un mec baraqué qui semble faire une partie de cartes…Je vois une fille au loin. Elle semble très grande de là où je vois. Pas très costaude par contre. À quelques mètres d’elle, il y a un type, chauve et incroyablement énorme. Je vois pas comment il fait pour avoir un tel poids à manger ça. Moi, j’ai dû maigrir. Aucun autre personnage n’attire mon regard. Des adolescents, c’est du déjà vu. Ça surprend peut-être la première fois, mais là, il y en a tellement. Des costauds, des petits, des grands, des baraqués, des maigrelets…Rien de nouveau. Rien de distrayant. Ah, si…À la limite le vieillard en chaise roulante à de quoi me laisser perplexe. Je l’observe vaguement, puis, je continue de touiller mon restant de ragoût.

Il fallait bien que je l’accepte un jour. Mais c’est tout de même inhumain ! Un homme de mon âge, à la digestion si fragile et aux multiples allergies (1), obligé de manger dans la cantine. Jusqu’à maintenant j’avais subsister en mangeant la nourriture que m’envoyait mon monastère, avec des Ostie et quelques restes de repas que Paul daignait de m’apporter. Ainsi je pus expérimenter les Ostie à la crème à tartiner aux noisettes. Un truc nommé Nuchtella ou un truc dans le genre. Un nom aux consonances germaniques pour un produit estampillé :


C’étais donc ça les effets de la mondialisation ? Finalement je n’aurai pas dû m’opposer à l’ouverture du commerce ! Parce que ce truc-là ! C’est sacrément bon ! Bon, évidemment sa ne vaut pas du bon nougat de Montélimar (2). Cependant même le souvenir de cette délicieuse matière gluante et sucrée d’une couleur chocolat fondue ne suffit pas à réveiller ma légendaire bonhomie. Alors je me contente de tourner autour des tables pour tenter de voir sous quel angle, ce bouillon infâme peut devenir appétissant. Je dirais que cette nourriture est tellement insipide que j’ai beau tourner autour des tables comme une abeille autour d’un pots de miel, je ne vois pas la moindre raison d’avoir de l’appétit. Au contraire même ! Plus je regarde cette horreur gastronomique moins j’ai faim. Alors je me contente de tourner en rond dans l’attente que Paul vienne me chercher une fois qu’il aura fini son délicieux repas avec des côtes de porc et du riz. Haaaaaaaaaa ! Ce doit être délicieux ! Allons Pounze ne te laisse pas aller ! Jeune tu as bien survécu malgré la faim qui te tenaillait le ventre. Oui, mais j’étais jeune ! Silence Pounze ! Jeune et part évangéliser ce tas de païens, d’incrédules et d’apostats ! Pense au autres avant de te concentrer sur ta bedaine ! (3)Alors contre mauvaise fortune bon cœur, j’observe non plus la table mais mes voisins et voisines. Une seul rencontre mon attention. Une grande femme. Certain homme de l’extérieur l’aurait qualifié de maigre ou d’anorexique, mais, dans une prison, elle étais de corpulence moyenne. (4) Mais surtout ce qui me marque c’est le courage avec lequel elle absorbe cette prétendue nourriture. C’en étais fascinant par l’anti-charisme que dégageait cette scène et surtout la nourriture. Et non pas que la fille soit moche. Alors je me mets en face d’elle et je la regarde la bouche grande ouverte avec un air béat d’admiration. Cependant une question persifleuse me fait fermer la bouche et reprendre contenance :

« Pourquoi elle est ici ? »

Effectivement si elle se trouve ici ce n’est pas parce qu’elle est une personne très fréquentable, pure et innocente. Non, c’est même exactement l’inverse ! Alors je tente d’avoir l’air un peu mois niais et de paraître le plus sage possible. Alors pour lancer la conversation avec elle je lui mets sous le nez, la bible ouverte sur l’épître de Saint-Paul et je lui demande avec une fausse conviction derrière laquelle je cache mes jambes qui tremble et la sueur qui coule le long de mon échine:

« Que pensez vous de l’épître de Saint-Paul ? Avez-vous déjà lut la bible ? Parce que si vous ne l’avez pas fait, je vous conseille très fortement de la lire ! »

Alea Jacta Est ! Le sort en est jeté et je risque de dire veni, vidi, morte.(5)Parce que quelqu’un qui peut manger cette nourriture sans dégoût ne peut pas être normal, ni sain d’esprit !

(1) Il est à noter que ces allergies n’ont pas été ratifiées officiellement par les médecins
(2) Parce que tout le monde sait que ce sont les meilleurs nougats au monde
(3) Comme beaucoup de vieillard, Vincent a un ventre de bébé
(4) Comme quoi les perceptions des gens changent beaucoup en prison. De la confiance aveugle, vous pouvez passer à la paranoïa.
(5) Je suis venue, j’ai vu, je suis mort.

Ma contemplation platonique du plat devant moi est interrompu par…Un livre. Quelqu’un a mis un livre grand ouvert juste sous mon nez.

-Hmm? Dis-je, étonnée, fatiguée et distraite.

Une voix qui se veut presque éloquente me répond. Une voix masculine et certainement pas celle d’un de ces adolescents fluets. Que pensez-vous de l’épître de Saint-Paul, me demande la voix. Que pensez-vous de…Je lis quelques mots du livre qu’il a mis devant moi. La…Bible? J’ai une pensée passagère pour Stanley. L’analphabète qui se trimbalait une bible. Il était sympa… Probablement mort aujourd’hui. Puis, mes pensées dérivent vers Ocean, mon coloc’ de cellule. Toujours vivant et en santé pour ce que j’en sais. Mais, ce n’est pas sa voix que j’ai entendu, ni même son ton. Je doutes même qu’il viendrait ainsi me parler de ce foutu bouquin. D’ailleurs, la bible de monsieur l’inconnu semble être en meilleur état que la sienne.

Je finis par lever mes yeux vers le type de façon lunatique. C’est le vieillard en chaise roulante de tout à l’heure.

-Ah…Vous…

Quand j’y pense, ces paroles sont ridicules puisque je ne le connais pas. Mais, je me comprends et c’est ça qui importe, même si ce n’est probablement pas le cas pour lui. Je regarde à nouveau la bible.

-J’ai lu quelques extraits…Quand j’étais gamine…

Certains diraient qu’après seulement une vingtaine d’année on est encore gamin. Mais, moi je crois avoir vieillis beaucoup trop vite. Ça reste un point de vue.

-La lumière de Dieu n’a pas sa place à Sadismus.

Elle n’a sa place nulle part. Je suis athée. Pour moi, il n’existe pas. La religion est une invention ridicule. Il n’y a rien après la mort. Juste…Du vide.

Je le regarde. Vieux et en chaise roulante. Soit il est à Sadismus depuis très longtemps et je ne l’avais toujours pas remarqué…Soit…En fait non, je ne comprends pas qu’est-ce qu’un type qui ne tient pas de bout fait dans une prison internationale.

-Vous êtes qui vous au juste?

Je lui est collé la bible sous le nez et je n’ai pas encore eut droit à une explosion de colère. Elle n’exprime agressivité. Pour l’instant la jeune femme en face de moi regarde d’un air intrigué ma bible, lis quelques phrases puis elle relève la tête et me regarde avec un air absent. Et elle me dit :

« Ah…. Vous…. »

Ah tiens ! Elle me connaît ? La rumeur de ma pitié se répandrait-elle dans cette prison ? Les âmes se préparent-elles pour la moisson ? Cherche-t’elle la rédemption ? Non, je ne crois pas ! C’est plutôt :

- Y a un drôle de mec qui m’a agressé avec un gros bouquin ! Il veut que je me repente !
- Et alors ?
- Je l’ai envoyé voir le trou du cul du diable pour voir si j’y étais !

Ouais sa me paraît tout de suite plus crédible que :

-Mon frère ! J’ai entrevu la lumière divine et je me suis repentie de mes péchés !
-C’est vrai ou ça ? Moi aussi je veux être touché par la grâce de Dieu !
- Cherche un vieillard décrépit et caractériel dans un fauteuil roulant et habillé avec une robe brune et ce sera lui ! Voilà t’a plus qu’à chercher cette vieille baderne et tu pourras avoir le pardon de Dieu !

Mon Dieu pourquoi est-ce que même dans mon imagination, il y est une grosse dose d’absurdité irréaliste. Peut-être qu’en étant octogénaire on ne peut plus sublimer ? Enfin qu’importe ! Pendant mes réflexions la jeune femme a replongé son nez dans le livre que je tiens à bout de bras et que j’ai du mal à maintenir à niveau. J’aurais du juste prendre le nouveau testament ! Elle me regarde encore et avoue avec un air d’enfant battu qu’elle en avait entendu quelques extraits quand elle étais encore gamine. C’est bien de dire sa, mais tu ne réponds pas à ma question ! Puis elle ajoute que la lumière de Dieu n’a pas sa place à Sadismus. Sous le choc, je laisse tombé la bible dans un grand bruit de claquement au milieu de la table(1) attirant ainsi tous les regards vers moi, je balbutie quelques :

« Mais..Mais…Désolé ! »

Et je m’aperçois maintenant que mon interlocutrice me toise avant de me demander qui je suis . Un instant j’hésite à lui répondre au tac au tac que je suis un homme ! Mais finalement je m’abstiens de le faire et je récupère ma bible et je plante mon regard dans le sien avant de répondre :

« Je suis le frère Pounze ! »

Je lui laisse le temps d’emmagasiner cette information avant de continuer :

« Je suis désolé d’avoir interrompue votre repas pour mes chimères de vieillards décatis ! Cependant je vois que j’ai bien fais de le faire ! Alors j’espère que vous me pardonnerez de vous avoir importunez. »

Je marque ainsi un nouveau temps d’arrêt pour reprendre un peu de mon souffle avant de continuer :

« Que vous êtes nihiliste ! Que comptez vous faire une fois sortir de prison ? »

Je l’appâte ainsi sur un sujet avant d’en partir sur un autre, je lui offre deux pistes de discussion aussi glissante l’une que l’autre et aussi passionante.

(1) Sa faisaient déjà quelques instants qu’il hésitai à la lâché.

Il laisse tomber son affreux bouquin. Un gros « clac » qui résonne dans toute la salle. Bravo. Merci d’attirer l’attention par ici. Au moins, alors que papy se confond en excuse, personne ne vient me déranger. Bien. On sait jamais. Un gros con de mauvaise humeur aurait pu s’amener pour cogner ou baratiner des conneries. C’est fou ce que l’ennui fait sur notre comportement. Le moindre « imprévu », aussi petit qu’il soit, pourrait déclencher une émeute juste pour le plaisir de casser l’ennui. Mais, non. Le dîner risque de rester calme. Calme, si on ne compte pas papy qui vient de me parler de la chose la plus condamnable au monde : La religion. La religion chrétienne en plus. Celle-là, c’est la pire.

Il se présente comme étant « Frère Pounze ». Un frère en plus. Un frère…Et qu’est-ce que « brother » fout à Sadismus? Il vient lire la bible aux condamnés à mort c’est ça? Bien sûr, la peine de mort a été aboli…Mais, avec les tarés qui travaillent dans cette prison…Un accident est si vite arrivé.

Il s’excuse d’avoir interrompu mon repas. Je reste silencieuse. Je l’avais fini mon repas de toute façon. Bien fait de le faire? Ah, non! Il est reparti dans ses délires. Il va continuer à me parler de la bible. D’un côté, s’il se montre trop insistant, je devrais lui mettre mon poing dans la gueule et m’en aller…De l’autre, je ne peux pas. Pas parce qu’il est frère…Mais, parce que c’est un vieillard en chaise roulante. J’aurais pu disséquer se verre de terre…Mais, un poing dans la gueule à ce pauvre idiot, non, ça n’a aucune classe. Et, ÇA. Ça, ça pourrait dégénérer en bataille générale ou bien encore pire, un séjour au trou.

Nihiliste. Ça, d’accord. Mais, sortir d’ici? Et c’est un type en chaise roulante qui me dit ça?

-De un, je préfère le nihilisme qu’au catholicisme…De deux…Légalement et théoriquement, le jour où je sortirais d’ici je serais morte et dans un sac de plastique jusqu’à ce que je sois conduite au salon funéraire. Et, si je sors d’ici de mon vivant, je devrais me cacher et vivre dans des conditions probablement misérables le restant de mes jours.

HJ: Beaucoup de blabla pour finalement pas grand choses et un anque d'imagination.

« De un, je préfère le nihilisme qu’au catholicisme ! »

Cette phrase résonne sous mon crâne. Elle ressemble à un corbeau du passé venu dévorer mon futur. À un écho du passé. Je revois une scène qui c’est déroulé, il y a si longtemps. C’étais dans la cuisine de ma sœur. J’avais en face de moi se prête si célèbre surnommé l’abbé des pauvres et je lui avais dit mot pour mot ce que m’a dit cette jeune femme. Pourquoi faut-il qu’il y ait des gens aussi con que je ne l’étais ? Pourquoi faut-il que d’autre répétent mes erreurs ? Je murmure :

« Non ! »

Je n’écoute que vaguement ce qu’elle dit et une fois qu’elle a fini, je crie :

« Non ! »

Et d’un large mouvement de bras en diagonal je balaye l’air devant elle en effleurant son nez. Je parle avec une acidité qui ferait fondre une plaque d’acier :

« N’importe quoi vaut mieux que le néant ! Je connais par cœur vos arguments ! Combien de fois n’ait-je répété ce genre de connerie ! »

Un coin de mon esprit rajoute :

« Est voilà que je deviens grossier ! »

Cependant pendant que je pense, je ne me suis pas arrêté de parler :

« Combien d’œuvre n’est-je lut la dessus et combien de fois je l’ai est cité béatement je ne saurais le dire ! Si vous cherchez bien vous tomberez peut-être par un tissu d’ineptie signé Vincent Pounze. Cependant la seule chose que je vous demande est….. »

Mon index est maintenant pointé entre ces deux yeux t’elle une lame inquisitrice jugeant la jeune femme :

« Êtes-vous déjà morte ? Mademoiselle ? Avez-vous sentit la faux de la mort, vous frôlez ? Avez-vous sentit l’odeur putride du néant qu’elle vous offre ? »

Je secoue la tête en signe de dénie :

« Quel âge avez-vous ? 20 ? 22 ? Tsssssssss ! »

J’ajoute dans ma barbe :

« Quel malheur de voir des gens dire ce genre d’ineptie à cet âge-là ! »

Je relève la tête et je la regarde en face. J’en suis écoeuré ! Moi qui avez toujours espéré que ces idéaux est disparu….Me voilà bien détrompé !

(Mais non, c’est bien)

Un bruit vient m’assourdir. C’est la voix de papy qui me crie un grand « non ». Je crois que je l’ai choqué. Bah oui, ne viens pas parler de la religion si tu n’es pas prêt à tout entendre mon gars. Encore moins en prison. Quoi que…Les nihilistes, ça court les rues…Probablement plus que les croyants dans la nouvelle génération.

Je suis, une seconde fois, surprise. Mais là, ce n’est plus une parole mais un geste. Dans un mouvement rapide, il effleure mon nez. Il s’énerve à ce point? Une sorte de passionné donc…Ou plutôt un fanatique religieux. Un croisement entre les deux en fait.

Je n’aurais pas été aussi nihiliste et je ne lui aurais fait part d’aucune remarque cinglante sur la religion s’il ne serait pas venu me mettre ses croyances sous le nez. Qu’il me laisse tranquille avec ses idéaux et je le laisserais tranquille avec les miens. Mais, je crois bien qu’il n’a toujours pas compris ce principe de base…Il apprendra, s’il s’obstine à me parler et s’il est assez intelligent. Je n’ai rien contre Dieu, tant et aussi longtemps qu’il me laisse tranquille.

Il me sort le baratin habituel du genre qu’il vaut mieux croire en quelque chose que de ne croire en rien. Mais, son discours durent et perdurent et je l’écoute presque attentivement même si je connais la plus part de ses arguments. Il me raconte même qu’il a été nihiliste à une époque…La classique histoire du type qui a trouver la voie de Dieu. « Êtes-vous déjà morte? » qu’il me demande…

Morte. Je crois que je le suis depuis ma puberté, peut-être même cela remonte-t-il plus loin que ça…La prison et l’ennui n’ont pas aidé.

-Quelle valeur croyez-vous qu’une vie vaut entre 4 murs Monsieur Pounze? Lui demandais-je de façon complètement anodine.

Je marque une pause et le toise du regard.

-Bientôt 23 ans, répondis-je par après. J’ai 22 ans.

Je mets mes coudes sur la table et tiens mon visage entre mes mains. Je me tais un moment. Encore. Juste pour apprécier le silence. Je ne me rends même plus compte de la présence des autres prisonniers.

-Dites-moi…Que diriez-vous si vous appreniez d’une quelconque façon que Dieu n’existe pas et qu’il n’y a rien après la mort? Vous auriez gâcher une bonne partie de votre existence à servir un mensonge?