Tact, délicatesse, et fair play.

--> Réfectoire

La porte de l'infirmerie s'ouvre avec fracas. Il faut dire que je n'ai pas été très délicat… Mais bon, que voulez vous ? Entre une épaule démise, et un détenu amoché, je n'ai plus de place pour le tact. C'est mon talon qui s'est chargé de dégager la place. Et il n'est pas très gentleman. J'avoue.

Nous entrons, nous traînant plus qu'autre chose. Heureusement que nous sommes deux pour marcher… Mais quand j'y pense… Il faut bien être deux pour se battre, non ? Ouais… Mais les adversaires ne s'épaulent pas forcément comme deux vieux vétérans… Pas faux.

J'adore me parler à moi même.
…
Bref. Comme je le disais…nous entrons. L'infirmerie semble implacablement…vide. Hey ! Ca va être pratique, tiens… Quoi qu'il en soit, j'installe le détenu sur un des lits de l'endroit. Rien à foutre s'il proteste. De toute façon, il n'en a pas les moyens. je me rends compte que je ne connais toujours pas son nom… C'est drôle.

Heh… Y a quelqu'un ?

Je sais, ce n'est pas très original… Mais j'avoue que, lorsque je me traîne avec deux côtes pétées, la bouche en sang, et une épaule à l'envers, je manque un peu d'humour et d'imagination. Je ne perçois aucune présence, pourtant. Et merde… Ch'uis pas doc, moi, bordel ! Je ne sais pas réparer une jambe, ou replacer une épaule. Bon… Au moins, j'vais essayer de nous trouver des antidouleurs…

J'avise une étagère, et cherche en tâtonnant de ma main mutilée… Il a fallu que ce soit l'autre qui morfle… Tss. Sans pouce, j'ai du mal à manier convenablement les objets… Alors que dire d'un flacon… En verre ? Et à dévisser ? Je me sens… d'humeur peu conciliante… Ma main ripe; bruit de verre brisé.

Génial. Me voilà plié en deux, la respiration sifflante. Je n'aurais pas du tendre le bras… Mon souffle devient rauque, douloureux. Le sol oscille légèrement sous mes pas. J'essaye de déboutonner ma chemise. En vain. Toujours ce pouce. Je m'énerve et déchire la boutonnière sur toute la longueur. Je suis un peu moins oppressé. D'un œil vague, je note ma poitrine qui se soulève sans régularité. Les ailes d'hirondelle qui s'y étalent semblent battre en cadence.

J’évite de trop marcher sur ma jambe, alors l’aide du gardien m’est bien pratique. Je ne refuse pas son aide, même si habituellement je suis plutôt du genre orgueilleux. Je sais que de toute façon j’aurais eu beaucoup trop de difficulté à me rendre jusqu’ici, si j’avais au moins décidé de venir.
Je soupire lorsqu’il me laisse sur une table, Je me redresse difficilement pour rester assis. J’ai tout de même la tête qui tourne affreusement et mes côtes ne me font pas de bien.

Et voila une autre rencontre avec mon infirmière préférée, je ne sais pas pourquoi mais j’ai l’impression qu’elle ne sera pas particulièrement surprise de me revoir. Mais bon, pour l’instant elle n’est pas là et je n’en suis pas tellement malheureux.

Je fronce les sourcils en le regardant faire, il sort des antidouleurs, je laisse échapper un grognement et je dis :

-Tu ne me donne pas de cette merde.

J’avais parlé d’un ton sec.
Je préférais encore souffrir que de prendre ces cochonneries, je ne sais pas, j’étais certainement allergique, mais je ne le supportais pas. J’avais de drôles de réactions avec ça. Tout devait dépendre de la sorte de médicaments, mais je n’avais pas de bonnes expériences avec les médicaments de toutes les sortes.

Je me laissais tomber sur le dos, et je dis en le regardant chavirer presque.

-Hey … Tu devrais peut-être te coucher …

Pas que je m’inquiétais pour lui, mais je n’étais pas en état de le soigner, et si il décidait de tomber dans les pommes il risquait simplement d’empirer son état et je n’avais aucune envie de devoir m’occuper de lui. Je laissais échapper un autre grognement, je devrais encore passer un long moment ici, maintenant c’était évident que l’infirmière ne nous laisserais pas sortir avant un bon bout de temps.
Je fermais les yeux, respirant difficilement. Je détestais cette pièce, petite, étroite, désagréable pour un claustrophobe comme moi. Moins pire que la salle d’isolement, endroit que je connaissais un peu trop … Mais tout de même enmerdante.
Je tentais de respirer le mieux que je pouvais, je n’avais aucune envie qu’il sache que j’étais claustrophobe. De toute façon, il devait en avoir bien assez avec ses blessures pour s’intéresser à moi.

Citation :

-Hey … Tu devrais peut-être te coucher …

Ta gueule...

Ouais, et prendre un thé, tant qu'j'y suis ? A vrai dire, je ne supportais pas d'être allongé en présence d'autres personnes...vivantes. Cela me donnait comme une impression de faiblesse... Non, ça requérait bien trop de confiance. Alors il pouvait courir... Enfin non, il ne pouvait pas. Jambe pétée.

Quoi qu'il en soit, j'étais toujours plié en deux sur ma douleur. Je n'appréciais pas non plus montrer que je souffrais. C'était le genre de truc qui me mettait hors de moi... Et me faisait perdre tout humour. Je lâchai, furieux contre moi-même, un gémissement de douleur. J'avais qu'à la boucler. L'autre était aussi salement amoché... J'allai pas me plaindre.

Non, ce qui m'étonnait, c'était son brusque refus d'absorber un simple antidouleur. Que craignait-il donc ? Que je le drogue et que je le viole ? J'aurais ri si je n'avais pas aussi mal. C'était pas trop mon genre. Pas trop. Je trouvais cela, en général, fort inesthétique. Et puis il ne me plaisait pas, de toute façon.

Tu préfères que je t'assomme ?

J'étais pas un camé non plus, mais j'aurais pas dit non à une petite dose, là, de suite. Juste de quoi arrêter de souffrir pitoyablement. C'était certainement pas bien dur, ce machin-là... Enfin. Et notre grand ami, ça l'aurait bien aidé. Pasque sa jambe, ch'uis pas sûr qu'elle lui envoie des ondes de bonheur sucré.

Je reste là, devant l'étagère. C'est inutile. De toute façon, je ne pourrai jamais dévisser le moindre flacon avec ma main mutilée. J'avise ma chemis et la déchire tout à fait afin de m'en débarrasser. Il fait un peu frais, mais je me sens un peu mieux. J'évite de regarder mon épaule.

Bon... Quoi qu'il en soit, on arrivera à rien tout seuls, mec.

En entendant des bruits de vitre brisée, je sors de la petite pièce adjacente à l'infirmerie. Bon sang, pas encore des patients! Et il est passé où l'autre débile d'infirmier? Il a déjà démissionné?

-Pourquoi est-ce que tout le monde ne se gêne pas pour détruire les fioles de médicaments! Vous pensez quoi? Qu'elles vont ré-apparaître par magie?

Je grogne et m'approche du gardien. Il a l'air en mauvais état, autant que ce cher Carl.

-Encore vous! Je vais bientôt mettre un nom sur un des lits, vous dormirez ici toutes les nuits!

Je pousse le gardien vers un des lits sans grande délicatesse. Je n'en ai rien à foutre qu'il soit un de mes collègues. Il doit apprendre à être plus prudent! On ne s'amuse pas avec les prisonniers si on n'est pas certain de gagner!

-Qu'est-ce qui s'est passé?

Carl attendrait. Ce n'était qu'un prisonnier après tout!

Il faut que je me ressaisisse. Que je me contrôle. Ma respiration devient carrément chaotique, et la douleur qui m'étreint les côtes n'est plus même descriptible. Comme état général, je pense que c'est plutôt …moyen. Surtout, et cela ne me plait que très modérément, je sens mon esprit divaguer, osciller sur la frontière ténue de l'inconscience. Je hais cette sensation. Celle de voir l'état de son corps dominer la pensée. Je me sens…faible, diminué, impotent. Plus que tout, je ne contrôle plus la situation. Je suis prêt à…basculer. Je vous laisse imaginer ma bonne humeur du moment. Insidieusement, ma vue se brouille, je frissonne. Alors, on fait quoi ? On crève ici, où on attend le corbillard ? Je lève une main tremblante, et mord faiblement mon pouce droit. Habitude.

Citation :

- Pourquoi est-ce que tout le monde ne se gêne pas pour détruire les fioles de médicaments! Vous pensez quoi? Qu'elles vont ré-apparaître par magie?

Oh. Je crois que je l'ai trouvé, notre corbillard. J'avoue que mon humour…exceptionnel…joyeux…arrangeant… est un poil diminué, là. Honnêtement, je n'arrive même pas à faire semblant de rire. Tout ce que j'arrive à faire, c'est pousser un souffle rauque entre deux toussotements sanglants.

Choc. La douleur afflue une nouvelle fois, palpite dans mes côtes et mon épaule meurtrie, engourdit ma tête. Tout est blanc, tout est lumière. On jurerait du… feu ? Un sourire incongru se peint sur mes lèvres rougies. C'est tout ce dont j'avais besoin…

Dans un état second, hésitant entre extase flamboyante de camé et noire misère douloureuse, j'entends la nouvelle venue –est-ce bien une femme ? J'ai pas trop les yeux en face des trous, en ce moment- alpaguer "mon" détenu. Dont je ne connais toujours pas le nom. Marrant. Euh…l'"infirmière" –on va dire- se met en tête de me pousser vers un de ces lits pâles comme des macchabées, et puant comme une soute de désinfectant.

Eh… Ch'uis pas un mioche… C'est ce que j'aurais dit si j'e avais eu la force. Ou l'envie. Tant qu'elle ne brusque pas mon épaule démise… Mais est-ce seulement l'infirmière ? Dans l'état d'abrutissement douloureux dans le que je suis, elle pourrait tout aussi bien être bouchère. Ou encore fille de morgue.
…
Génial, je me tape un délire. Il faut que j'arrête de penser… Stop cerveau, stop ! Bref. Tant qu'à faire, je m'assois le plus doucement possible sur la couche. Mais pas question de m'allonger. 'Peut toujours courir.

Citation :

- Qu'est-ce qui s'est passé?

Les mots, j'avoue, mettent quelques secondes à atteindre mon encéphale brouillé. Puis encore quelques unes pour le faire réagir. Yop ! Y quelqu'un ? C'est quoi ce truc, des mots ? Remue ta graisse grise, cerveau ! Hop ! Neurone sensoriel… Check ! Inter neurone… Check ! Moto neurone… Euh… Raté ! J'ai compris le truc, mais la répartie se refuse à moi… Réessaye, cerveau, réessaye ! Oh… J'ai capté que j'aime pas trop le ton qui porte le message, là… Je retente le passage moteur… Ré-a-gis ! Neurone à la con ! Quesseeeeeuuuh quiiiiisééééé paaaa sséééé… ?! Gneuh…

Je sens qu'un petit silence gênant se coule doucement à l'extérieur, ignorant les tribulations de mes charmants influx nerveux. Quelques secondes passent, je fixe la femme dans les yeux, totalement neutre. Un ange passe. Oh… Un ange ? Oui ! Ange ! Ailes ! Blanc ! Pureté ! Rédemption-péché-pardon ! Purification… Purification par le…feu !!! Les engrenages de ma cervelle décident enfin de se remettre en marche. Je sens que ça crisse dur, là-haut. Y a quelque chose qui va sortir… Et je sais pas ce que c'est… Des mots se préparent, piochant dans ma mémoire et mon instinct… Tic tac, fait la pendule… J'en oublie presque mes blessures. Je me demande ce que ma petite personne va répondre… C'est un véritable suspense. J'attends de m'entendre avec impatience.

On a joué au scrabble.

Oulàààà… Erreur ? Ca n'a pas marché comme il fallait… Mais-euh ! Pourquoi ça marche jamais quand il le faut ? Remarque, ça sonnait bien… Pas vrai ? Hun… Je suis d'accord. Donnez-moi un levier, et je soulèverai le monde !
…
Je crois que je délire. Juste un peu.

Je laissais échapper un grognement. C’était peut-être parce que je soutenais maintenant beaucoup mieux la douleur à force de me faire blesser que je n’étais pas aussi mal que le gardien. Bon j’avais mal ... Mais pas plus que d’habitude. Il avait été coriace lui, j’aimerais vraiment me battre contre lui une nouvelle fois et avec tout mes moyens. Je laissais ma tête tomber sur le lit. J’étais fatigué. Ma jambe, je ne la sentais plus. Elle était encore cassée et je le savais très bien.

Je ne pu que m’amuser à la réponse du gardien. Hmmm Je doute que tout ce que nous ayons fait ressemble a du scrabble, alors je dis d’une voix basse à l’intention de l’infirmière :

-Disons que nous avons fait un combat ... amical.

Je fis un mince sourire, je doutais d’avoir des ennuis, c’était lui qui avait insisté pour ce combat après tout. Je poursuivis en disant, puisque Tobias ne semblait pas en état de le faire :

-Il doit avoir quelque chose à l’épaule et aux côtes ...

Je soupirais et je fermais les yeux, je dormirais bien un peu moi aussi. Combattre avec les mains dans le dos était quelque chose que je n’avais jamais expérimenté. Et je dois dire que je ne recommencerais pas ...

Ce gardien me semblait étrange. La façon dont il me regardait, ce qu'il me répondait. Il ne semblait pas dans son état normal. Je ne le quitta pas des yeux, me contentant de vérifier l'état des blessures dont Carl faisait mention.

-Si un jour vous me proposez de jouer au scrabble avec vous, pensez ;a me rappeler de ne PAS le faire, dis-je le plus sérieusement du monde en me dirigeant vers ce qui reste de mon armoire à médicament.

Je prend un antidouleur et je remplis une seringue, avant de retourner près du gardien.

-Je vais vous injecter ceci, c'est un antidouleur. Vous souffrirez moins pendant que je vous soignes.

Sceptique, je devine à peine les paroles qui s'échangent, absorbé par les défaillances de mon système nerveux. C'est drôle, ce vide. C'est bien, aussi. Reposant. Enfin…si ce n'est la douleur. A bien y réfléchir, elle prend un peu trop de place… Le fourmillement devient picotement. Le picotement devient gêne, la gêne se fait lancinante. Aïe.
J'aurais pas du y penser.

Citation :

-Il doit avoir quelque chose à l’épaule et aux côtes ...

Oh… A peine une caresse… Papillon… Ooon… Ion.

Visiblement, ça ne s'arrange pas. Tant pis. Je ferai avec. Ils comprendront bien l'idée générale de ce que je sortirai, malgré les petits cafouillages parasites… J'en rirais presque. Je vous promets, messiers z'et mesdames, ça sort tout seul… Pas besoin de moi…

Mon amiiii a aussi un léger…ger… désagrément quelque part entre les côtes et la jambe… Pis c't'un tricheur… M'a pas dit qu'il était tout cassé… Comme un vieux vase pas bien recollé… Colle.

J'ai un rire un peu niais…qui se perd dans une quinte de toux aux relents amers, métalliques. Sang. Je commence à comprendre le fonctionnement de ma nouvelle technique de langage. Association d'idées. Il suffit que je pense à un truc pour le dire…

Magnétophone.

Qu'est-ce que je disais ?

Citation :

Si un jour vous me proposez de jouer au scrabble avec vous, pensez à me rappeler de ne PAS le faire.

Je joue pas au scrabble avec les damoiselles. C'est pas bien. Mal. Bon. Mauvais… Noir-blanc… Bûcher ?

Huh… Je sens que, quelque part, je commence à me compromettre… Juste un peu… Si peu. Je fais un mouvement pour me remettre debout… Un choc électrique m'interrompt aussi sec. J'oubliai. J'oubliais que m'on épaule formait un angle…incongru.

Heh ?! Mais qu'est-ce qu'elle fout ?

Citation :

-Je vais vous injecter ceci, c'est un antidouleur. Vous souffrirez moins pendant que je vous soigne.

J'avoue que les piqûres, je préfère les faire moi-même… Si vous voyez ce que je veux dire. Mon œil embrumé se fixe, hagard, sur l'aiguille de métal. Une onde d'hostilité me prend aux tripes… Pas touche…

Ouais… Mais non.

J'ai presque honte de mon éloquence ravageuse. De toutes les façons, je suis pas sûr de pouvoir y faire grand chose… Courir le marathon, là, de suite, c'est un tout petit peu au dessus de ma portée. Je décide de me laisser faire.

Mais ouais… Et oubliez pas mon pote… Patte folle… Se traînerait… Pas génial. Guh.

Pas brillant. Il ne me reste plus qu'à attendre. Et attendre, c'est pas mon truc. Je me demande seulement comment elle va s'y prendre pour redresser mon épaule... Je sen que je vais pas aimer. Pis qu'elle oublie pas "mon" détenu. Sinon, je ne pourrai plus jamais jouer au scrabble avec lui...