Sadismus Jail
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Sadismus Jail

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 Au commencement.

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Tobias Viatscheslav
0274 Serenae Aquae Natae
Tobias Viatscheslav


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MessageSujet: Au commencement.   Au commencement. Icon_minitimeJeu 28 Aoû - 13:36

Dans la forêt.
Un gamin.

C'est pas vraiment un enfant. Et encore moins un adulte. Il est à cet âge flou, perdu entre deux rives. Avec rien d'autre que ses jambes et sa tête, pour savoir qu'il est, ce qu'il fait, où il va. Lorsqu'il ferme les yeux, il se demande dans quelle mesure il est lui. Quand il se respecte, et quand il ne se respecte pas. Il se dit que ce n'est pas si grave, de ne pas savoir qui il est. Il a le temps, non ? Et puis à vrai dire, c'est maintenant qu'il se construit. Enfin, qu'il essaie. A vrai dire, il a du mal.
C'est dur, tu sais, d'avoir quinze ans.
Surtout quand on vit dans un internat depuis si longtemps. Il y a des murs, tu sais. Partout. Et pas seulement de pierre. Il y a ceux que tu ne vois pas. Et il y a ceux qui vivent dans le cœur des gens.
C'est comme ça.
Alors pour une fois, juste pour une fois, le gamin a fait le mur. Il s'est enfui de la prison, ne serait-ce que pour une journée, ne serait-ce que pour une vie. Il a marché longtemps. Il a rencontré des gens, apprécié certains, ignoré d'autres. Il s'en est passé, des choses. C'était pas forcément facile, mais il a réussi à se le forger, son personnage. Son vrai lui. Tu vois ? C'était bien, de quitter l'internat.
C'était bien.

Alors maintenant, il l'a pas gagnée, sa sortie en forêt ?
Tous ces efforts. A vrai dire, dans le chemin entre l'internat et la forêt, il n'a jamais vraiment bien su où il allait. L'idée d'aller voir les arbres ne lui est venue qu'à la fin.
A la toute fin.
C'était long. Il s'accorde donc un peu de repos, assis sur une souche renversée. Il ne se demande pas même ce qu'il fera après. De toute façon après, c'est maintenant. Bref… Autant éviter de se torturer l'esprit. Un peu de silence, un peu de calme. Il se prend simplement à lever le nez, observer ce qu'il voit. Sans pensées. Sans commentaires.
Juste comme ça.


Libre.
Libres.


La chaleur de sa main dans la mienne.
La tendre fraîcheur d'un automne naissant.
Je la regarde. Un sourire naît. Je me penche pour le goûter. Elle se laisse effleurer, s'échappe. Et lorsqu'elle me tire par la main, m'entraînant jusqu'à courir avec elle, comme deux gamins à la fin de l'école, je sais que ce sourire est passé sur mes lèvres. Les feuilles crissent sous nos pas. Mon cœur tambourine, jetant dans mon cerveau une lucidité nouvelle.
Nous nous arrêtons, à bout de souffle.
Le son de nos deux respirations.
Un rayon de Soleil se glisse entre les branches alourdies de rouge, de jaune, de roux.
Nous nous enlaçons.

Le gamin commence à se geler moyen. Il resserre contre lui les pans d'une veste trop grande pour lui. Elle lui vient d'un de ses frères. Un de ces inconnus, perdu si loin dans un passé qui ne le concerne pas vraiment. Une maison qui n'a jamais été la sienne.
Le vent se lève. Il peste contre ses cheveux trop longs. Il ne sait pas pourquoi, mais il n'a jamais pu les couper, ces plumes-là, noires de charbon. Peut-être parce qu'il n'a pas envie de se raser la tête, comme le soldat qu'il se destine à être. Peut-être parce que tous les autres internes ont les cheveux courts, tristement courts.
Ou peut-être parce qu'il aime sentir le vent dans ses cheveux.
Il prend sa tête entre ses mains.


Libre.
Libres.


Nous avançons plus avant dans la forêt. Il paraît qu'elle s'étend sur trois bons kilomètres. Un vrai bois d'Allemagne, pas une simple pinède sèche comme une tige de pin chauffé au Soleil. S'il y a des arbres impérissable, verts jusqu'au sein de l'hiver, il y a des zones plus marquées par la fin de l'été. Comme celle dans laquelle nous venons d'entrer.
Brun et or.
Le Soleil entame sa dernière descente. L'étendue relativement plate, peuplée d'arbres minces et nus, également espacés, se teinte progressivement de cuivre. Le sol est couvert d'aiguilles craquant sous nos chaussures. Les branches, libérées de leur charge, découpant chaque parcelle du ciel encore bleu, intercepte les rayons rasants de cette fin d'après-midi.
J'étends ma veste au sol, et nous nous asseyons.

Une tape sur son épaule.
Le gamin ouvre les yeux, se retourne à demi. Il regarde en silence la sorte de petite fille qui le dévisage, d'un petit air sérieux. De son bonnet de grosse laine bleue foncé s'échappent de délicates boucles rousses .Ses petits doigts blancs triturent la couverture noire d'un livre sans titre. "Pourquoi tu es là, toi ?", elle demande. "T'as quel âge ?", il répond.
"- Cinq ans.".
"- C'est pas beaucoup."
"- Si."
"- Si tu veux."
"- Tu as froid ?"
"- …"
"- Moi, j'ai froid. Aussi."
Le silence retombe, sans bruit dans la neige. Le regard vert de la petite fille accroche le regard gris de l'adolescent. Il avise l'écharpe trop longue, les bottines rouges, les joues rosies.
Et ouvre son manteau, tendant un bras vers la fillette.
Qui vient s'y abriter.
Mine de rien, ils la partagent tous les deux, cette chaleur.


Libre.
Libres.


Je ferme les yeux. Respire avec bonheur cette liberté tant précieuse parce qu'elle est partagée. Même les ailes d'un oiseau l'encombrent, lorsqu'il n'a nul repère, lorsqu'il n'a personne qui l'attend, quelque part. Je la regarde, et je me dis que peut-être, c'est à ça que devrait ressembler le bonheur. Ou quelque chose comme ça. Et je pense à la petite maison que j'ai achetée à crédit, avec mes vieilles économies, et ma part d'héritage –pas grand chose à vrai dire, vu les difficultés passées de mes "parents"… ne m'ont-ils pas envoyé, ainsi que tous mes frères, à droite, à gauche, chez une tante, cousin, ou à l'internat d'une quelconque école militaire… En fin de compte, je ne les connais pas, mais je ne peux pas vraiment leur en vouloir.
Car maintenant, j'ai ma propre famille.
Et nous avons quelque part une maison, qui nous attend. Jusqu'à ce que je trouve un nouveau travail, ce ne sera pas forcément facile. Mais entre-temps, les indemnités militaires nous aideront un peu. Je suis officiellement en reconversion. Système assez pratique dans l'armée. A la fin d'un contrat d'un certain nombre d'années, on peut choisir. Soit on rembarque pour dix ans ou plus, soit on change. Et l'institution nous aide à trouver des formations et un job solide. Mais je me suis déjà renseigné.
Dans le petit village d'Irlande où nous habiterons, ils cherchent un instit'.
J'ai postulé. J'ai eu des réponses favorables.
Je suis pas un illettré. J'ai fait des études plutôt solides. Je veux dire que j'étais pas un engagé lambda. Je suis allé au bout du parcours, du genre l'équivalent de l'Ecole de Guerre. D'où mon ancien grade.
On verra.
Mais l'avenir est plus clair comme ça. Je voudrais que nos deux enfants grandissent sereinement, au bord de la mer. Qu'ils puissent rentrer et embrasser leur mère sans se poser de question.
Leur mère.
Glissé dans son dos, j'ai placé mes bras autour d'elle. Ma main vient effleurer son ventre.
J'ai bien dit leur mère.

La petite fille, assise sur un genou de l'ado, joue avec la laine de son écharpe. Elle fronce soudainement les sourcils. Elle pense à quelque chose.
"- Il faut que tu me lises une histoire"
"- Une histoire ?"
"- J'ai dit qu'il faut que tu me lises une histoire."
"- Si tu veux… si tu veux. Tu veux que je te lise ce livre là ?" Il montre l'ouvrage noir qu'elle étreint désormais contre elle, comme une sorte de poupée.
"- Non. Lui, je sais ce qu'il y a dedans."
"- Ah… tu sais lire ?"
Amusement d'un côté. Moue vexée de l'autre.
"- Bien sûr."
Le garçon rajuste le bonnet bleu sur les boucles rousses. La petite fille s'installe mieux, et ouvre le livre sur ses propres genoux.
L'ouvre à l'envers.
Et avec une assurance qui ne souffre aucune interruption, commence son histoire, suivant de son petit doigt des lignes, au hasard.
"- Qu'est-ce que tu lis, petite ?"
"- Je lis que Liam est né quand il neigeait dehors."
"- Liam ?" Silence étonné. Le garçon ne savait pas vraiment pourquoi, mais ce prénom l'intriguait. Comme un écho, quelque part, un de ces sentiments de déjà vu. "Qui c'est ?"
"- Je lis aussi qu'il ne faut pas m'interrompre quand je lis."
"- Ah."
"- Je lis que l'homme aux cheveux noirs a finalement été dit pas coupable. Parce que son chef il voulait pas être embêté. Et plein de choses compliquées. Il était toujours gardien de la prison, mais il pouvait sortir dehors."
"- On dit sortir tout court."
"- Il était toujours gardien de la prison… mais il pouvait sortir tout court."
"- …continue."
"- Je lis que Sebastian avait perdu la bague qu'il portait à la lèvre. Et que la bague qu'il portait à la lèvre, c'était l'alliance du premier mari de la dame aux cheveux roux."
"- C'est compliqué, tout ça…"
"- Et que ça a rendu triste la dame aux cheveux roux parce que ça lui rappelait son mari qui était parti au ciel, et son bébé qui était parti au ciel, et que elle savait pas pourquoi sa bague de mariage était là. Et puis ça lui a fait peur parce que ça la faisait penser à quelque chose."
"- Quelque chose ?"
"- Quelque chose… quelque chose. C'est compliqué .Il était au ciel, tu vois, le papa. Donc c'était pas normal que Sebastian… que Sebastian il a la bague. Tu vois ?"
"- Sebastian… C'était lui qui avait tué le "papa" ?"
"-… Oui ! Sebastian, c'était lui qui avait tué le papa. Et le bébé. Mais la dame aux cheveux roux, elle était pas sûre. Elle pouvait pas dire au juge que c'était ça parce que il la croirait pas."
"- Continue."
"- Attends… je tourne la page."
La fillette, de ses doigts engourdis, tourna une bonne dizaine de pages à la fois. Et reprit, concentrée :
"- Je lis que le monsieur aux cheveux blonds qui s'appelle Thor… Thorkel… il a fait peur à Sebastian. Il a fait très peur à Sebastian. Alors lui il faisait plus rien. Il mangeait plus. Il sortait plus dehors. Il voulait dormir."
"-… Sebastian a fait une…dépression ?"
"- Alors il était… il était comme quand on casse facilement une assiette, tu vois ?"
"- Fragile."
"- Oui. Et la dame aux cheveux roux et le monsieur aux cheveux noirs, ils ont… ils ont…"
"- Ils ont pu le faire avouer."
"- Oui."
"- …Et ?"
"Et la madame elle a pu sortir de la prison. Avec le monsieur aux cheveux noirs, parce que c'était son amoureux. Et avec Liam. Et avec un autre bébé qui était dans son ventre."
"- Le bébé de l'homme aux cheveux noirs ?"
"- Non."
"- …"
"- Le bébé à Sebastian. Parce qu'il avait obligé la dame à avoir un bébé dans son ventre. Et de tout façons le monsieur aux cheveux noirs il pouvait pas avoir de bébé !"
"- Pourquoi ?"
"- Parce qu'il avait trop fumé !"
"-…"
"- Pourquoi tu ris ?"
"- Comment tu sais ce genre de truc, petite ?"
"- Parce que je suis pas petite !"
"- Si tu veux. C'était une drôle d'histoire."
"- A ton tour !"
Mine renfrognée.
"- A mon tour quoi ?"
"-… à ton tour de me raconter une histoire…!"
"- Ouais…Attends…"
"- Allez !"
"- L'histoire du prince changé en hérisson, ça te va ?"
"- Oui."



Libre.
Libres.


"Rebecca…"

A peine un souffle. Un demi-murmure vite emporté dans le vent qui se lève, perdu dans les chuchotis du ruisseau que nous venons d'atteindre. Un fossé encore vert, animé d'une eau vive, transparente. Plis liquides et pierres rondes. Quelques feuilles s'enfuient, portées par le courant. Le seul chant de cette eau-là suffit presque à nous désaltérer. Je m'agenouille, plonge le bout de mes doigts dans l'onde. Glacée comme du vent. Ma main s'élève légèrement. Sort de l'eau. Accroche un rayon de lumière blanche.
Une goutte perle.
Deux.
Nous avons deux enfants.
Peu importe le passé.
Maintenant.
Notre choix.

Je me relève lentement. Quelque chose craque. Un genou.
Je reviens à elle. Dans son dos. Repousse d'une main la toile de la veste couleur marine aux boutons de cuivre. Viens cueillir un peu d'amour au creux de son cou. Mes lèvres s'écartent, mais mes bras enlacent sa taille. Mes doigts froissent un peu l'étoffe blanche de la robe. Viennent chercher une main gantée de noir.
De vieux vêtements.
Anciennes dentelles.
Etoffes miraculeusement parvenues jusqu'à nous, dans les mystérieux rouages du partage de l'héritage entre mes frères et moi. Est-ce étrange pour moi, que de recueillir les robes de coton, les rubans, et ces petites choses délicatement vernies en souliers, en bottines, d'une arrière-grand-mère oubliée, jamais connue, perdue quelque part dans un passé qui ne m'appartient pas ? Je me demande ce que ces choses seraient devenues en d'autres circonstances…
Peu importe.

Peu importe
Disais-je en cet instant
Il n'y avait que nous
Que nous et le monde
Tant
Si peu
Une graine et de l'eau
A nous de faire le reste
Car
Ceci n'est pas une histoire
Ceci est notre histoire
Peut-être une simple
Lueur dans le ciel
Si tôt émerge
Si tôt disparaît
Peut-être mourrons-nous demain
Certainement personne ne se souviendra-t'il de nous
Peu importe.
Car cette lueur dans le ciel
Cette étoile que personne ne voit
Bornée par
Une seule naissance
Une seule mort
Mais cette étoile-là
Cet astre mortel
C'est le nôtre.
Vie.


Ma main sur sa joue. Nous sommes face-à-face. Deux silhouettes noires dans un dernier rayon jaune. Rideaux verts de feuilles murmurantes. Scène à trois couleurs. J'entends l'eau qui chante. J'entends le ruisseau qui coule. J'entends l'onde qui engendre l'onde. "Sybille Rowena Cassandre Hawkins." Le flot naît et meurt. Se brise sur une pierre pour donner naissance à de nouvelles vagues. Qui se brisent à leur tour. Encore. Encore. Encore.
Encore.
"Epouse-moi."

L'oiseau aux ailes noires
Le vent s'envole et l'emporte
Deux plumes blanches virevoltent.
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Sybille Hawkins
240293 Petite plume
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MessageSujet: Re: Au commencement.   Au commencement. Icon_minitimeDim 31 Aoû - 19:18

Innocente.
Même maintenant, deux semaines plus tard, je ne réalise toujours pas.
Libre. Je suis libre.
Nous sommes libres.

Terminé la prison, les barreaux. Envolée, la peur, la violence, la douleur. La nuit a fait place au jour, l’obscurité à la lumière. Je revis. Si j’étais morte, c’était pour mieux renaître.
Dans ses bras, à lui.
Sa main, glissée dans la mienne. Et ce sourire commun qui éclaire nos deux visages, ce regard doux, aimant qu’il pose sur moi…
Je n’ai pas bien compris au départ, quand il est entré dans ma cellule, un air étrange sur le visage. Devais-je rire ou pleurer ? Et il m’a tendu cette lettre, sans un mot, avant de s’assoir à côté de moi.
Et malgré ses bras qui m’enlaçaient doucement, malgré ses mains, sur ma taille et mon épaule… Malgré sa chaleur, et son sourire, et son souffle, et son visage… J’ai senti mes larmes couler, lentement. Puis de plus en plus vite. Rivière salée sur mes joues. Et j’ai éclaté en sanglots.
Emotion. Soulagement, incrédulité. Bonheur. Je n’osais y croire.
Je n’ose toujours pas y croire.
Libre.

Après deux ans de séquestration.
Après deux ans sans voir la lumière du soleil.
Sans pouvoir sentir le vent sur ma peau. Ni l’odeur des arbres, de l’herbe, de la mer. Sans pouvoir courir, librement, aller où bon me semble.
Sans pouvoir vivre…
Est-ce pour cela qu’à présent je l’entraîne dans une course effrénée, le prenant par la main ? Et je ris. Je ris, je ris !
J’avais tellement attendu ce jour. J’en avais tant rêvé.
Et j’avais fini par ne plus espérer. Je m’étais résignée à cette vie destinée à être passée derrière les barreaux. Ma seule crainte n’étant plus pour moi, mais pour mon fils. J’ai tant redouté qu’on me l’enlève, qu’on me l’arrache…
Et tu es arrivé, toi… Lueur d’espoir dans mon monde obscur. Et tu es arrivé, toi. Avec tes yeux, ta voix, et ton visage.
Et tu es arrivé, toi… Toi qui m’as fait revivre, par la seule force de ton sourire. Et c’est pour ça qu’à présent, je me sens exister à travers ton regard.
Qu’aurais-je fait sans toi… ?

Les bottines rouges de la fillette s’enfoncent un peu plus profondément dans la neige à chaque pas qu’elle fait. Ses doigts rougis par le froid serrés sur la couverture noire du livre qu’elle n’a pas lâché depuis le début, elle lance un regard au garçon un peu trop grand, un peu trop maigre, aux longs cheveux couleur corbeau qui marche à ses côtés. Il vient de se racler la gorge, et à présent, la regarde d’un air songeur.
« -Y’a quand même un truc que j’ai pas compris dans ton histoire.
- Ah bon ? C’est quoi ?
- Ta dame aux cheveux roux là. Si c’était Sebastian le papa de son bébé, pourquoi est-ce qu’elle l’a gardé ? »
Regard intrigué d’un côté, indigné de l’autre. Les sourcils de la petite fille de froncent, avant qu’elle ne lâche d’un ton méprisant :
« - T’es bête, c’est parce que elle pensait que c’était le bébé du monsieur aux cheveux noirs !
- Je croyais qu’il pouvait pas avoir d’enfants ?
- Oui mais… Elle le savait pas. Puis après, quand il lui a dit, et qu’ils ont compris… Ben le bébé, il avait déjà grandit dans son ventre, tu vois ? Et puis elle était gentille la dame aux cheveux roux, elle voulait pas tuer son bébé. Puis elle a dit aussi que c’était pas sa faute, et qu’on ne choisissait pas ses parents. Alors ils l’ont gardé.
- C’est bien ça. Et le bébé, ils l’ont appelé comment ?


- Rebecca…

Assise à ses côtés, sur sa veste noire qu’il vient d’étaler sur le sol jonché d’aiguilles de pins, je reprends ses mots d’une voix émue. Qu’importent les circonstances de sa conception. Le fait que je haïsse son géniteur. Cet enfant… est notre enfant. Notre fille. Et son seul et véritable père sera cet homme à côté de moi.
Cet homme que j’aime et que je chéris par-dessus tout.
Un souffle de vent vient agiter les branches des arbres, faisant tomber quelques feuilles aux tons chauds et mordorés sur le sol. Me faisant frissonner. J’esquisse un mouvement pour resserrer les pans de ma veste sur mes épaules, mes déjà il m’enlace.
Faisant naitre un tendre sourire ses mes lèvres.
Ma main se superpose à la sienne. Joignant mes doigts aux siens, posés sur mon ventre.
Et, sans un mot, je me blottis contre son lui, appuyant mon dos contre son torse.
Qu’y-a-t-il de plus parlant que le silence ?
Tant d’émotions, tant de sentiments. Pour la première fois de ma vie, je me sens bien. Apaisée, sereine. Comme si, peu à peu, son amour pansait les plaies de mon cœur. Soignait les cicatrices de mon âme.
Je sais qu’on ne peut effacer le passé. Mais à présent… Il est loin, tellement loin. Un souvenir, perdu là-bas, quelque part, dans l’une des cellules de cette prison que nous allons laisser derrière nous.
Une nouvelle vie s’offre à moi, et je l’accueille à bras ouverts.
Parce que je veux vivre tournée vers l’avenir, et non plus vers le passé.

Et mon avenir, c’est lui. Eux.
C’est peut-être une drôle de famille… Mais c’est la mienne.
La notre.
Je m’étais souvent demandé jadis ce que je ferais si, par un quelconque miracle, j’en venais à être libérée.
Plus de famille, un niveau d’études ne dépassant pas la quatrième. Pas de diplôme, la moitié de ma vie passée enfermée, que ce soit en centre de redressement ou en prison. Qu’aurais-je bien pu faire ? Je l’avais craint, redouté.
Plus maintenant, à présent.

Le bonnet de laine, trop grand, glisse sur le front de la petite, lui tombant presque devant les yeux, l’empêchant de lire. Emettant un grognement frustré, elle esquisse un geste pour le remettre en place, mais est devancée par le garçon qui se tient assis au-dessus d’elle, sur le muret de pierre contre lequel elle est adossée.
« -Qu’est-ce que tu lis là Gamine ?
- Je suis pas une gamine. » Dit-elle en tournant vigoureusement les pages de son roman de ses doigts gelés.
« -N’empêche que t’es quand même toute petite.
- C’est pas vrai !
- Si c’est vrai.
- Non c’est pas vrai !
- Bon, très bien. Va falloir que je te trouve un autre surnom dans ce cas… »
Et un air pensif se peint sur les traits de l’adolescent, tandis qu’il dévisage silencieusement la fillette qui se trouvait devant lui. Une bourrasque de vent glacée souffle, faisant voleter ses boucles rousses qui s’animent soudainement, plumes écarlates dansant au rythme de la bise. Mû par une inspiration soudaine, il déclare d’une voix solennelle :
« - Je vais t’appeler Petite Plume. Parce que tu es toute petite et fragile, on dirait une plume d’oiseau… »
Il s’arrête, inspirant doucement. Attendant des protestations qui ne vinrent pas. Un sourire éclaire le visage de la petite fille, qui, se levant doucement, referme son livre avant de balayer du revers de la main la neige qui macule son manteau rapiécé :
« - C’est joli. Ca me va. »
Puis elle s’éloigne, le laissant seul sur son mur de pierre. Avant de se retourner au bout de quelques pas, le dévisageant d’un air espiègle :
« - Dans mon livre, c’est comme ça que l’homme aux cheveux noirs appelait la dame aux cheveux roux, avant qu’il tombe amoureux d’elle. »


Si j’avais su.
Si j’avais su que ce soir où j’avais mis les pieds hors de ma cellule, et m’étais aventurée dans la bibliothèque, allait changer ma vie à tout jamais…
Je le regarde. Agenouillé au bord du ruisseau, il ne m’a jamais paru aussi beau, en cette fin d’après-midi où un rayon de soleil automnal caresse son visage.
Si j’avais su…
J’aurai couru jusqu’à cette bibliothèque.

A présent, je renverse la tête en arrière. L’appuyant contre son épaule. Laissant ses lèvres effleurer mon cou. Et mes mains se posent sur ses bras, ses bras qui m’enlacent tendrement.
A nouveau le vent souffle, agitant mes boucles rousses à peine retenues par un ruban de soie bleue marine, et ses mèches couleur corbeau qui se teintent de reflets bleutés sous la lueur du couchant.
Mêlant nos deux chevelures en un tourbillon de plumes rouges et noires.
Du bout de mes doigts gantés, je caresse doucement le dos de sa main. Avant de venir glisser la mienne sous son menton, attirant son visage vers le mien, tourné vers lui, pour l’embrasser tendrement.
J’avais oublié à quoi pouvait ressembler le bonheur.

Où allons-nous ?
J’ai la réponse à cette question, désormais.
Mon seul destin est de vivre à ses côtés. Comment pourrais-je le nier, alors que je sens sa main étreindre si fortement mes doigts ? Leur insufflant cette force et cette chaleur qui me font me souvenir qu’il fait si bon de vivre... Dans quelques années, tout ceci ne sera plus qu’un mauvais souvenir. Je veux voir grandir nos enfants, les voir rire, les voir courir, les voir sauter au cou de leur père… Je veux le voir les prendre dans ses bras, rire avec eux, les embrasser, le voir m’aimer, le voir me sourire. Je veux me voir sourire à mon tour, émue face à eux. Avant de me serrer contre lui et de leur tendre mes mains.
Me dire que dans dix ans, tout ceci sera exactement pareil. La même passion, la même tendresse, le même amour.

Une caresse, sur ma joue. Je ferme les yeux, inclinant légèrement la tête, répondant avec douceur à ce contact. Juste lui, et juste moi. Le murmure du ruisseau qui chante, le bruissement des feuilles agitées par le vent. Le soleil qui nous embrasse de sa dernière étreinte dorée.
Le son de sa voix, qui prononce mon nom. Je me sens frissonner, et ouvrir les yeux. Pour esquisser un sourire éperdu d’amour en le voyant face à moi. Avant de retenir mon souffle, lorsqu’il prend ma main.
Si grave tout à coup.
Je…
Je souris. Et hoche silencieusement la tête. Suis-je trop émue pour répondre ? Je ne sais pas.
Ai-je seulement réalisé, compris ce qu’il vient de me demander ?
L’épouser. Devenir sa femme.
Sybille Rowena Cassandre Viatscheslav.
Je sens mon cœur s’emballer dans ma poitrine. Et les larmes rouler sur mes joues. Mais cette fois, ce ne sont plus des larmes de tristesse, et encore moins de douleur, non. Des larmes d’émotions.
De joie.
Et c’est les joues baignées de ces larmes-là que je me jette dans ses bras, l’étreignant avec toute la force de mon amour.

- Oui. Oui je le veux. Bon Dieu oui que je le veux Tobias !

« -Hey Petite Plume, dis-moi voir ?
- Quoi ? »
La petite fille aux boucles rousses lève la tête de son livre, un air intrigué sur son visage criblé de tâches de rousseur. Lui s’approche, les mains dans les poches, un air curieux sur le visage.
« - Tu l’as eu où ce livre ?
- Ca ne te regarde pas.
- Si tu le dis. Mais j’aimerais bien savoir quand même.
-… C’est un cadeau.
- De qui ?
- De… De ma maman. »
Elle inspire profondément. Sa lèvre inférieure tremblote légèrement. Lui soupire et s’agenouille devant elle, lui ouvrant les bras pour qu’elle vienne s’y blottir. Ce qu’elle fait en tremblant, l’enlaçant dans ses maigres petites mains.
« -Elle est où ta maman ? »
Debout contre lui, sa tête nichée dans le creux de son épaule, elle ne répond pas. Pas tout de suite du moins. Patient, il glisse une main dans les boucles rousses, caressant doucement sa chevelure de feu.
« -Elle est au Ciel.
-… Je suis désolé. »
Il n’aurait peut-être pas du poser cette question. Car à voir soudainement ses joues rosies par le froid se mouiller de larmes scintillantes, il s’en veut. Alors il prend son visage entre ses mains, et essuie doucement les perles salées de ses pouces. Ne sachant que faire pour la réconforter, il se décide finalement à lui parler de la seule chose qui semble lui plaire.
« - Dis-moi… Elle termine comment ton histoire ? »
Un sourire mystérieux éclaire le visage de la gamine, à travers ses larmes. Serrant contre elle le volume de cuir comme si c’était un trésor, elle lui demande d’une voix amusée :
« -Tu veux vraiment savoir ?
- Attends, laisse-moi deviner… C’est comme dans les contes pour enfants ? C’est comment déjà… Ah oui ! «Et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » ?»
Le sourire de la petite ne s’agrandit que de plus belle, au lieu de faire place à la décontenance. Et c’est avec les yeux brillants qu’elle hoche la tête, faisant danser ses boucles rousses.
« - Oui, c’est ça. »


Deux silhouettes enlacées marchent côte à côte dans la lueur du couchant. Main dans la main, l’homme et la femme se lancent un tendre regard, avant d’échanger un doux sourire. Puis il l’attire à lui, la serrant dans ses bras comme s’il s’agissait d’un trésor.
Et elle… Elle ferme les yeux, et sourit, avant de déposer un baiser sur ses lèvres.
Parce que tout ceci est loin d’être la fin… Ce n’est que le début d’une nouvelle histoire. Bien plus belle encore.

[Fin]
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