Sadismus Jail
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Sadismus Jail

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 Une nouvelle vie

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Sybille Hawkins
240293 Petite plume
Sybille Hawkins


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MessageSujet: Une nouvelle vie   Une nouvelle vie Icon_minitimeSam 1 Mar - 13:22

[ => Chambre 13 ]

Mon dieu que j'ai mal. J'ai mal, mal, mal ! C'est horrible, j'ai l'impression que mon bas-ventre va se déchirer d'un instant à l'autre. Perspective peu réjouissante.
D'un autre côté, si tu te calmais Sybille... ça irait beaucoup mieux. Mais comment le pourrais-je ?! Je suis tellement angoissée, tellement anxieuse à l'idée de ce qui va se passer... Je ne veux pas souffrir, j'ai déjà tellement mal. J'ai trop souffert jadis, hier, aujourd'hui, je suis extenuée. Je refuse d'avoir encore à affronter une épreuve supplémentaire. Je... faites que tout se passe bien. Pour moi, mais surtout pour cet enfant.
S'il vous plait.

Je sens soudainement quelque chose - ou plutôt quelqu'un - glisser ses bras sous mon corps qui se tends et se tords, rongé par la douleur, pour ensuite me soulever délicatement mais rapidement. Tobias... Ne me laisse pas tomber, pas maintenant, je t'en supplie. Ne me laisse pas... Comme obéissant à la supplique muette de mes yeux brillants de larmes levés vers lui, il se dirige droit vers la porte, avant de l'ouvrir maladroitement. Pas un mot. D'un côté... j'avoue que à sa place, je n'en mènerais pas large. Et il a d'ailleurs l'air réellement inquiet. Il faut avouer que se retrouver debout dans les couloirs d'une prison à trois heure du matin, avec une détenue à deux doigts d'accoucher dans les bras... c'est assez peu commun. Même pour un homme comme lui.
Comment ça comme lui ? Tu divagues à nouveau Sybille... Tais-toi et...
Je retiens à nouveau un cri, et me cambre dans ses bras, rejettant la tête en arrière, le visage crispé. Et d'un autre côté... il faut dire qu'après... ce qui lui est arrivé, je doute que parler lui soit tâche aisée.
Un élan de culpabilité m'enserre le coeur.
Tout ceci... est de ma faute. Si il ne m'avait pas connue, si je n'avais pas mis les pieds dans cette bibliothèque ce soir là... rien ne serait arrivé, rien.
Il m'arrive parfois de me demander si il n'aurait pas été mieux qu'il me brûle en même temps que tout ces livres...

La dure douleur de la réalité me tire brutalement de mes pensées. A nouveau, je me contracte, et tente vainement de me retenir à lui, cherchant à m'agripper à une chemise qu'il ne porte pas, à m'accrocher à son cou, son torse... n'importe quoi. N'importe quoi qui pourrait m'aider à lutter, à me raccrocher à cette vie que j'essaye de fuir, perpétuellement, et qui pourtant me rattrape toujours. Mais cette nuit... Je n'ai pas le droit à l'erreur. Et pour une fois, une seule fois, uniquement... je veux vivre. Etre vivante, pour pouvoir à mon tour donner la vie. Seulement, pour l'instant... j'ai l'impression que je ne passerais pas la nuit. Et que nous n'atteignerons jamais l'infirmerie. Bon sang, je ne me souvenais pas que ce couloir était aussi long !
La douleur se calme enfin. Même si les contractions ne durent que tout au plus 40 secondes, j'ai plus l'impression que c'est le double, voir même le triple qui s'écoule durant ces dernières. Je ne pensais vraiment pas que cela serait aussi douloureux. Je suis totalement, mais alors totalement paniquée. Relevant difficilement la tête, je jette un regard à Tobias.
Apparament, je ne suis pas la seule.

Lorsqu'il ouvre enfin la porte de l'infirmerie - dans un grand fracas, une fois de plus -, je ne peux retenir un soupir de soulagement. Mais l'angoisse reste là. Est-ce que tout va bien se passer ? Savent-ils au moins ce qu'ils doivent faire ? Cela m'étonnerait. Nous sommes dans une prison, et non pas dans une maternité. La situation doit être plutôt exceptionnelle, je ne reviens d'ailleurs toujours pas du fait que la directrice n'ait émi aucun ordre, aucune parole concernant mon état. Est-elle seulement au courant ? Bref, ne parlons pas de ça pour l'instant, ce n'est pas, mais alors vraiment pas le moment. Je sens alors Tobias qui me dépose doucement sur le lit, rajustant précautioneusement le drap qu'il avait accidentellement emmené en même temps qu'il m'a prise dans ses bras, dans la précipitation et l'urgence des évènements. Lentement, j'ouvre la bouche, tentant de lui dire quelque chose, n'importe quoi, malgré mon coeur battant et mon souffle haletant, mais déjà il se tourne. Que fait-il ? Ne me laisse pas, ne me laisse pas, tu m'entends ?! Je t'en conjure Tobias, reste avec moi. Je n'y arriverais pas toute seule...

- Tu cherches quelque chose, Tobias ?

... Cette voix... Je la connais. Je l'ai déjà entendue quelque part, j'en suis certaine.
Pour sûr idiote, c'est le docteur. Haletante, je lui jette un regard anxieux, les pupilles dilatées. Comme si il comprenait mon émoi, il s'agenouille doucement à mon chevet, avant de me sourire d'un air rassurant.

- Calmez-vous, essayez de vous détendre, vous aurez beaucoup moins mal ainsi. Tout va bien se passer, faites-nous confiance.

Nous ? Qui nous ? Je ne vois que lui, Tobias, moi et... ah. Deux infirmières viennent d'arriver, et commencent à s'affairer autour de moi, me prendre la tension et je ne sais quoi d'autre encore. J'esquisse une grimace. Je n'aime vraiment pas ça. Mais d'un autre côté... ai-je vraiment le choix ? Perdue, je lance à nouveau un regard à notre cher docteur, qui me sourie une fois de plus :

- Sachez que les contractions ne dureront pour l'instant qu'une trentaine de secondes environ. Vous serez ensuite tranquille pour une dizaine de minutes, avant qu'une nouvelle ne se déclenche.

Vu comme ça... c'est vrai que c'est moins paniquant que de se demander quand et comment cela va se passer, et atteindre la prochaine, complètement crispée. Mais cela fait tellement mal... Et comment cela " pour l'instant " ? Est-ce que après... ça va être pire ? Oh mon dieu...
" Mon " docteur marque une pause, me détaillant brièvement tout en tenant son menton entre deux doigts. Je n'arrive pas à croire que cet homme puisse rester aussi... calme, aussi stoïque dans un pareil moment. Vu d'un autre angle, si il était du genre plutôt nerveux... il ne serait pas médecin.

- Est-ce que vous avez perdu les eaux ?

Cette fois-ci, c'est une des infirmières qui prend la parole. Une grande, brune, aux yeux noisette. Elle me sourit, elle aussi, mais je la devine plus stressée que notre homme. Je hoche silencieusement la tête, la questionnant du regard. Moi ce que je veux, ce ne sont pas des questions, mais des réponses ! Quand, comment ? J'ai besoin d'aide, je veux qu'on me rassure, qu'on me soutienne...
Et en parlant de cela... où est Tobias ?
D'un bond, je me redresse, le cherchant désespérément de mon regard émeraude. Et le trouve, prêt à sortir, ou plutôt prêt à se faire mettre dehors par un infirmier. La gorge brusquement nouée, je sens mon coeur faire un bond dans ma poitrine tandis que je laisse échapper son nom dans un cri désespéré :

- Tobias !

Air interloqué de la part des infirmières, air plutôt surpris et amusé de celle de notre docteur. Qui se penche légèrement vers moi pour me demander d'une voix douce :

- Veux-tu qu'il reste ?

Bien sûr que je le veux ! Les yeux brillants de larmes, je hoche la tête, tendant la main vers lui. Ne m'abandonne pas...
C'est avec joie et soulagement que je le vois revenir, un air indescriptible sur le visage. Gêne, peur, soulagement également ? Ou les trois à la fois ? Je ne sais pas... En tout cas, cela a l'air d'intriguer sérieusement nos deux jeunes femmes, qui nous dévisagent d'un air plutôt choqué. J'avoue que une détenue étant en de si bons termes avec un gardien... il y a de quoi se poser des questions.
Oh et puis, ça ne les regarde pas aussi ! Qu'elles fassent leur travail un point c'est tout !
D'ailleurs, en parlant de travail... Une fois de plus, je me tords dans mon lit, et me saisis presque instinctivement de la main de Tobias, que je serre convulsivement entre mes doigts livides. Se calme, se détendre. Respire Sybille, respire...

- Le travail a à peine commencé. Il va falloir attendre que le col de votre utérus se dilate, ce qui peut prendre une comme plusieurs heures. Vos contractions vont peu à peu se rapprocher et devenir de plus en plus longues. C'est seulement lorsque votre col sera entièrement dilaté que l'accouchement à proprement dit commencera.

Tiens, cette fois c'est la deuxième infirmière, la blonde, qui prend la parole. J'affiche une grimace. Plusieurs heures ? Oh joie...
Je sens que la nuit va être longue.

Finalement, elle s'éloigne, suivie de sa collègue, sur un ordre du docteur. Qui va s'assoir à une table proche pour y faire je ne sais quoi exactement, ses trucs de médecins sûrement. Nullement soulagée par toutes ces belles paroles, je tourne doucement mon visage vers Tobias.
Pour me rendre compte que je tiens toujours sa main serrée dans la mienne. Main que je n'ai en fait pas envie de lâcher. Je ne fais simplement que désserer mon emprise dessus, pour éviter de lui briser les doigts et lui permettre de se libérer si il le veut. Lentement, mes yeux émeraude remontent vers ses prunelles anthracite pour venir s'y plonger, tandis que je murmure d'une voix faible :

- Je suis tellement désolée...

Désolée de quoi ? Il va falloir être un peu plus claire dans tes paroles Sybille, si tu veux qu'il comprenne ce que tu essayes de lui dire ! Nerveusement, je déglutis, avant de faire glisser mon regard le long de son visage. Pour s'arrêter sur l'horrible entaille qui s'étale sur toute la longueur de sa joue droite. Tout ceci est entièrement de ma faute...
Délicatement, je lève mon autre main, et effleure doucement sa peau dans une timide caresse. Je le touche à peine, de peur de lui faire mal.

- C'est de ma faute... Ce qui t'est arrivé je veux dire. Si tu ne m'avais pas rencontrée...

Rien de tout ceci ne serait arrivé. Mais je ne peux terminer ma phrase. Sous le coup de l'émotion et de la culpabilité, ma voix se brise, et je détourne la tête, laissant retomber ma main, fixant le mur blanc qui s'étend sur ma gauche. Je crois que ça va devenir une habitude. Toutes nos rencontres se terminent ici.
Prophétique, ou pas ?


Dernière édition par Sybille Hawkins le Dim 18 Mai - 6:33, édité 1 fois
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Tobias Viatscheslav
0274 Serenae Aquae Natae
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MessageSujet: Re: Une nouvelle vie   Une nouvelle vie Icon_minitimeSam 15 Mar - 11:44

Peut-être.
Techniquement, c'est parce qu'un jour je t'ai vue, t'ai entendue, t'ai parlé, que tous ces trucs sont arrivés. Quand j'ai posé les yeux sur toi, il était écrit qu'un jour Sebastian me trancherait la joue. Il était tout aussi sûr que lorsque j'apposerais ma signature sous la tienne, Alec m'enfoncerait une fourchette dans la gorge. Que je me souvienne d'Oprea. Que je torture Gleb. Que je coupe mes cheveux, "rencontre" Pyth. Que je casse la nuque d'un mec que je connaissais même pas.
Que je découvre qu'il pouvait pleuvoir dans ma tête.
Ces choses.

Est-ce que tu penses qu'elles étaient vraiment écrites, ces choses ? Avant, quelque part, par quelqu'un ? Non. Elles n'ont pas été faites à l'avance. Elles n'étaient pas écrites. Elles ont été écrites. Au fur et à mesure, je veux dire. Par les acteurs de cette histoire. Par nous, moi.
Et justement.

Si je ne t'avais pas rencontré. Si.
… Je n'aurais jamais eu peur de ce si.
Je n'aurais jamais écrit cette histoire, mon histoire. Moi-même.
Comment dire ?

Il ne faut pas avoir peur. Je vais vous faire une perfusion… C'est tout à fait normal.

Je cille lentement, garde un instant les yeux fermés, histoire de me remettre les idées en place. C'est vraiment pas le moment de péter un câble à la Proust. On partira en vrille après l'accouchement, okay ?
… "Accouchement". C'est vrai.
Je retiens mon souffle. Je crois que… que je viens de comprendre. De vraiment comprendre, je veux dire. Des mois ont passés, sans que je ne m'en rende vraiment compte, sans que j'y pense comme j'aurais certainement dû le faire.
Un gosse.

…pour vous éviter une hypoglycémie, notamment, et faciliter un peu la phase de travail. Tout ira bien.

Putain. Putain de bordel de merde. Un gosse.
...C'est quoi ? Une sorte de petite chose, qui gueule, qui chiale, qui grandit de temps en temps. Oui. C'est ça, ma définition d'un mioche. Et tout ce que j'en sais.
Je lance un regard inquiet à Petite Plume.
Je suis vraiment trop con. C'est elle qui accouche, et c'est moi qui flippe.

Je n'ai même pas répondu à ce qu'elle vient de me dire. L'infirmière nous a coupés, comme un diablotin sortant de sa boîte, se lançant dans une série d'explications ma foi assez lointaines. Péridurale ? Délivrance ? Monitoring ? C'est quoi ce bordel…
Pour le moment, je me contente de resserrer un peu mon étreinte sur sa main. Elle me l'a déjà légèrement broyée, mais je crois que… je commence à avoir l'habitude.

Mélodie. On va avoir besoin du monitoring.

Une main de fer dans un gant de velours. J'aime pas cette expression, mais je trouve qu'elle cadre pile avec le personnage. L'infirmière aux cheveux bruns nous laisse, seuls à seuls, pour le moment du moins. Les fameuses dix minutes de répit, certainement. Mon regard glisse sur l'aiguille enfoncée dans le bras de Petite Plume.

Dis pas ça.

Je murmure. Ma voix n'est qu'un filet rauque, glissant péniblement hors de mes lèvres à peine entre-ouvertes. Bordel. Je savais déjà ce qu'était ce truc qu'on appelait le "sourire de l'ange". Mais je ne voyais que l'immédiat, que l'horreur de l'instant. Et je l'ai ressenti. Comme si une partie de mon visage se déchirait –ce qui était à peu près le cas, d'ailleurs. Mais je n'avais pas compris… la suite. Les nerfs ont été sectionnés. Même lorsque ma blessure sera refermée, cette partie de mon visage demeurera immobile, paralysée. Je pourrai parler, mais pas sourire. Enfin… pas "entièrement". Et, pour le moment, c'est toute ma gorge qui est engourdie. Alors comprenez mon manque de loquacité. C'est la première fois en vingt-quatre heures que je lâche un mot.

Des conneries.

Je hausse légèrement les épaules, plante mon regard dans le sien. J'ai vaguement conscience de l'agitation des toubibs, autour de nous. Mais j'évite de les regarder… Ils me foutent la trouille, en fait. Ils me semblent qu'ils ont sorti un appareil dont j'ignore totalement la fonction, dégagé un peu la peau de Petite Plume pour y poser deux… électrodes ?

…deux capteurs. L'un pour mesurer vos contractions, l'autre, le rythme cardiaque de votre enfant…

… Electrodes. Un peu trop conditionné, le Tobby ?
Bref.
J'avoue que j'ai tout de même un peu de mal à accorder trop d'attention aux toubibs. Je suis debout, dos à eux. En fait, je crois que je refuse carrément de les regarder. Je n'ai pas envie de voir ce qu'ils sont en train de lui faire. Et quoi qu'ils fassent, je ne veux pas vexer la pudeur de Petite Plume, d'une façon ou d'une autre. Je force mes yeux à rester plantés dans les siens. Ce doit être le première fois que je soutiens aussi longtemps son regard.
Vert. Est-ce que je l'avais vraiment remarqué ? Bon Dieu que oui. Bordel. Tu la connais par cœur, cette couleur. Un peu comme de l'émeraude, mais en plus doux, plus vivant. Des feuilles foncées, avec juste ce qu'il faut de jaune tendre… Vivant.

Mais à quoi tu penses… Bordel ?

Je fronce légèrement les sourcils, pour moi-même, regarde à nouveau ma main, dans la sienne. Sans aucun commentaire, je pose mon autre main sur ses doigts, et m'accroupis. Mon visage n'est plus si loin du sien… Je peux respirer un peu mieux. Je crois.

Tu veux une réponse ?

Je crois que mon regard est un peu vide. Fixe. Le genre de neutralité dont je savais si bien faire preuve… avant. Le genre de faciès qu'on endosse lorsqu'on tue un mec. C'est à dire… Néant. Pas d'expression.
Mais j'y peux rien.
Je suis…troublé.
Et c'est bon.

Je soulève délicatement sa main, et y porte mes lèvres, le regard toujours vissé dans ses yeux couleur de feuille. Quelques secondes s'échappent. Je commence à avoir mal aux genoux. Pas une bonne position. Je me relève, sans pour autant quitter sa main. Doucement, je me penche sur elle, histoire de pouvoir n'être entendu que par elle. Quelques mèches noires retombent sur son épaule, malgré moi.
Je murmure.

La vie sert à quelque chose.

Une pression sur mon bras. L'infirmière blonde. Elle a un petit geste du menton, derrière moi. Je regarde. Une chaise. Le temps que je comprenne, elle a appliqué sa main sur mon épaule, me pousse. Je m'assieds.

"-Je crois que vous en avez pour quelques heures…?
-Que nous en avons pour quelques heures.
-Je suis là."

Les derniers mots, je les ai prononcés… un grand sourire aux lèvres, en regardant Petite Plume.
C'est ici, et maintenant.
Et c'est terriblement bien.
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Sybille Hawkins
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MessageSujet: Re: Une nouvelle vie   Une nouvelle vie Icon_minitimeDim 16 Mar - 9:20

- Dis pas ça.

C’est pourtant vrai. Si l’on ne s’était pas rencontrés. Si tu n’avais pas posé les yeux sur moi. Si je ne m’étais pas levée cette nuit-là. Si… Si il y avait eu tout ces si… Tu ne serais pas là, en ce moment même, à tenter de me parler, de me souffler des choses qui ne sont qu’un murmure rauque ayant de la peine à franchir tes lèvres presque closes. Tu pourrais parler, normalement, rire, sourire, sans avoir à te soucier de cette sinistre balafre qui défigure ton visage, ta gorge ne serait pas barrée par cette horrible cicatrice argentée qui me nargue sournoisement. Toutes ces marques… Est-ce uniquement à cause de moi qu’elles t’ont été faites ?
Si tu savais comme je regrette d’avoir été la cause de tous ces maux…

- Si… Si je n’avais pas été là, si je n’avais pas existé… Tout ça, tout ceci… ne serait pas arrivé. Halète-je, serrant une nouvelle fois le drap blanc entre mes doigts tremblants, retenant mon souffle pour tenter de calmer la douleur qui me vrille à nouveau le corps.

- Des conneries.

Mes yeux s’emplissent de larmes. Pourquoi ne veux-tu pas me croire ? Si… Si je ne t’avais pas rencontré…
Si je ne t’avais pas rencontré…
Je ne serais pas là, allongée sur ce lit et toi à mes côtés, à attendre cet enfant qui ne tardera pas à naître. Sans doute m’aurait on forcée à avorter si tu n’avais pas pris ce risque de le déclarer comme tien. Sans toi… Sebastian m’aurait sûrement battue jusqu’au sang et violée si tu n’étais pas venu me sortir de cette salle obscure. Sans toi… Je serais morte à l’heure qu’il est. On m’aurait trouvée, violentée et battue à mort dans un coin de la laverie, et toi, et toi…
Tu ne serais pas en danger de mort, défiguré par toutes ces marques. Et sans toi… j’aurais perdu espoir, depuis longtemps.

Doucement, je tente un geste de la main, essayant de poser un doigt sur ses lèvres. Ne parle pas… J’ai peur que tu te blesses, que tout ceci empire. Tais-toi, s’il te plait…
L’aiguille plantée dans mon bras m’en empêche. Esquissant une grimace de douleur, je laisse retomber mon poignet, devant me contenter de subir tout ce qui se passe autour de moi. Je ne bronche pas lorsque l’infirmière soulève légèrement le tissu qui recouvre mon ventre pour y déposer deux de ce qu’elle appelle « capteurs ». D’ailleurs, je l’écoute à peine. Mon attention est fixée bien ailleurs que sur elle. Il me regarde. Il me regarde, moi. Jamais encore il ne m’avait dévisagée de la sorte. C’est à la fois terriblement gênant, et à la fois… troublant. Troublant dans le sens où il y a cette drôle de sensation dans mon cœur. Et ses yeux… ses yeux d’anthracite, ses prunelles d’argent que je sonde désespérément, y cherchant de plus belle une réponse que, pourtant, je sais que je ne trouverais jamais.

Je sursaute. Sa main vient de se poser sur la mienne, qui emprisonnait déjà ses doigts dans les miens. Inconsciemment, je resserre doucement ma prise, ne serait-ce que pour mieux ressentir la douceur de cette peau pourtant rugueuse, comme brûlée. Cette main qui a déjà tué pour moi.
Pour moi… Mais qui suis-je donc pour intervenir sur le sort de tant de gens ?

- Tu veux une réponse ?

Oui j’en veux une, bien sûr que oui ! Je t’en prie, explique-moi… Implorante, je relève mes yeux que j’avais entre-temps baissés vers lui… pour me heurter à son visage, qui n’est désormais qu’à une dizaine de centimètres du mien. J’ai du mal à respirer, tout à coup. Mon cœur qui s’emballe dans ma poitrine, mon souffle qui s’accélère, se fait plus saccadé, plus brûlant… Est-ce toi la cause de tout ça Tobias, est-ce toi ? Réponds-moi. Pourquoi est-ce que tu me fais subir tout ceci ? Je…
Tais-toi Sybille. Doucement, j’hoche la tête, ancrant mes prunelles dans les siennes. Je t’écoute. Qu’as-tu à me dire ?

… Oh mon Dieu.
Ses lèvres, sur mes doigts, sur ma main. Sur ma peau. Je n’avais pas le souvenir qu’elles étaient aussi douces, aussi brûlantes. Je sens que je vais défaillir si tu continues à me torturer ainsi. Mais je t’en supplie…
Ne t’en vas pas…
Du bout de ma main libre, j’effleure les mèches couleur corbeau qui viennent de glisser sur mon épaule, évitant à tout prix de croiser son regard. Je n’y arriverais pas, j’ai peur de faire une horrible erreur. Mais lui, là, penché vers moi, murmurant dans le creux de mon oreille....
Je frissonne.

- La vie sert à quelque chose.

Dois-je maudire ou bénir cette infirmière qui vient de le repousser ? Reposant ma tête – que, en passant, je ne me rappelais pas d’avoir soulevé – sur mon oreiller, je ferme un instant les yeux et tente de calmer les battements frénétiques de mon cœur. J’humidifie légèrement mes lèvres. Sèches. Brûlantes.
Pourtant… Ses derniers mots me sont restés en travers de la gorge. Je ne sais comment réagir. Cette curieuse sensation au fond de moi… Incompréhension ? Amertume, regrets ?
Colère… ?
Je lui lance un regard hésitant. Il me sourie.

Contrecoup de l’émotion que je viens de subir ou pas, j’explose. Et violemment.

- Va leur dire alors, va leur dire ! A eux, à tous, tous !

Oui, va leur dire… Expliques-leur que l’on a tous le droit de vivre, de rire et de sourire ! Que l’on a tous le droit d’exister, le droit à sa propre identité.
Que l’on a tous le droit au bonheur…
Je me redresse péniblement sur mon lit, tentant de me tenir droite. Je tremble de rage, mais tiens bon, et plante mes yeux dans les siens.

- Va leur dire… Mais crois-tu qu’ils vont t’écouter ? Moi, ils ne l’ont pas fait…

Une larme roule sur ma joue. Immédiatement, je tourne le regard vers le mur, incapable d’assumer cette goutte d’eau salée qui, je le sais bien, ne sera sans doute pas la dernière.

- Nous sommes tous le jouet de la fortune, du destin. Moi j’ai passé ma vie à être celui des autres.

Ma voix se brise, et je reste silencieuse un bon moment. Alertée par mes cris, la dénommée Mélodie arrive en courant, jetant au passage un regard assassin à Tobias. Comme si c’était de sa faute… C’est de leur faute à eux, à eux tous…
Inquiète, elle me demande ce qui s’est passé, m’enjoins de me calmer. Je hoche silencieusement la tête, prenant un air contrit. Mais refuse obstinément de parler. Ce que j’ai dit, et ce que je m’apprête à dire… ne la regarde pas. Ce dont elle se rend bien vite compte et accepte en nous laissant à nouveau seuls, non sans maints remontrances, conseils et recommandations. Je dois rester calme qu’elle me dit. On va essayer…
Doucement, je relève la tête. Fixant Tobias, qui n’a pas bougé et me regarde, un air étrange sur le visage. Curiosité, douleur, peur ? Je ne sais pas… L’ai-je blessé sans le vouloir ? Pardon, pardon… Mes yeux brillent de larmes. Je sais que tout ceci va être difficile. Mais je l’ai déjà fait, en partie du moins. Souviens-toi Sybille, souviens-toi comme tu t’es sentie mieux après en avoir parlé à Carl. Tu peux le faire. Tu dois le faire.

- L’homme, cet homme qui t’a blessé, qui m’a agressée, Sebastian… Ce n’était pas la première fois que nous nous rencontrions, loin de là.

Je soupire. Si je veux lui expliquer, je vais devoir tout lui dire, absolument tout. D’un autre côté, il a le droit de savoir. Après tout ce qu’il a fait pour moi, ce ne serait que justice de savoir à quoi il s’expose, ce qui l’attend… A qui il parle…
J’inspire profondément. D’un geste nerveux, je remets derrière mon oreille une mèche flamboyante, avant de me lancer, l’air plus mal à l’aise et plus craintif que jamais :

- Tout ceci remonte à loin, très loin. Et tout ce que je m’apprête à dire, personne ne l’a entendu. Jamais.

Je sonde son regard. Si il veut parler, qu’il le fasse maintenant. Si il m’interrompt… Je risque de ne plus avoir le courage de continuer.
J’hésite. Je ne sais que dire. Ni par où commencer.
Par le début, peut-être, non… ?

- Lorsque nos chemins se sont croisés pour la première fois, je venais d’avoir quatorze ans. Nous avions tous les deux été envoyés dans le même endroit, un centre de redressement pour mineurs. Une prison pour enfants, en sorte. Lâche-je d’un ton amer. Ce qu’il y faisait, je ne l’ai jamais su. Quand à moi…

Je bloque déjà. Bon sang Sybille, fait un effort, prends sur toi ! Si tu n’y arrives pas, personne ne le fera à ta place. Tu dois lui dire, tu dois.
Mes yeux se ferment. Je revois chaque détail, chaque instant… Chaque cri, chaque hurlement. Comme si il était là, à côté de moi, en train de… Ne me touche pas, laisse-moi !
Je sursaute brutalement, rouvre brusquement les yeux. Reste éveillée Sybille, reste éveillée. Je sens des larmes qui coulent silencieusement sur mes joues. Pleure si tu veux, si cela te fait du bien. Mais ne ferme pas les yeux. Reste à la lumière, et parle. Parle-lui, regarde-le. Tobias… Il est là, rien ne t’arrivera plus, plus jamais, tu m’entends ? Reste…

- Il faut que tu saches que je n’ai jamais connu mon père. Lorsqu’il l’a abandonnée en apprenant sa grossesse, ma mère s’est remariée avec un autre homme. C’est cet homme même qui l’a tuée pratiquement sous mes yeux, avant de me violer, quatorze ans plus tard.

Douleur. La haine, le désespoir, la rage, la souffrance de perdre un être cher, la trahison de celui que l’on considérait comme son père. Vol, destruction. J’ai tout perdu ce soir-là. Je pleure à chaudes larmes. Devant Tobias, ce n’est plus qu’une gamine, la petite fille de quatorze ans battue et violée par son beau-père, détruite par la mort de sa mère. Ravagée, brisée.

- Il buvait, et un soir, il est rentré, encore plus soûl que d’habitude. Il s’est enfermé dans sa chambre avec ma mère, et il l’a violée avant de la battre à mort, pendant ce qui m’a semblé être des heures. Je n’ai rien pu faire. Sanglotais-je.

Epleurée, j’enfouis mon visage dans mes mains, sanglotant violement. Mais je n’en peux plus. C’est trop dur, je n’y arrive pas. J’ai à peine commencé, et je suis déjà à bout. Pourtant… tout ceci n’est que le début d’un long et horrible cauchemar. Un cauchemar pourtant bien réel, et dont j’ai prié des nuits durant pour m’en éveiller.
Ce n’est qu’au bout d’un long moment que je parviens à me calmer, et à reprendre mon récit d’une voix à peu près normale. Après toutes ces années… la culpabilité me ronge encore.

- Lorsqu’il est sorti, j’ai hurlé. J’ai cru voir un démon. Les yeux exorbités, injectés de sang, il était livide, un air extasié sur le visage. Et quand il m’a saisi le bras, avant de me prendre à mon tour… Je te jure que j’ai résisté, j’ai essayé, je te le jure Tobias ! Balbutie-je à travers mes larmes.

Pourquoi est-ce que j’essaye de me justifier ? J’ai honte, tellement honte. Peut-être que si j’avais essayé de me défendre avec encore plus de force, peut-être que j’y serais arrivée, peut-être ! Si j’avais hurlé encore plus fort ce soir-là, peut-être que quelqu’un serait venu, peut-être… Rien de tout cela ne serait arrivé…
Sans un mot, je lui tourne le dos. Et, lentement, je relève le fin tissu blanc qui couvre le haut de mon corps. Mon cœur bat la chamade, et je dois faire preuve de trésors de volonté pour ne pas hurler ou éclater à nouveau en sanglots. Le simple fait de garder une respiration normale me paraît déjà un exploit. Mais ce qu’il m’a fait… je ne peux pas le lui dire, je ne peux pas ! Secouant légèrement la tête, je passe ma main derrière la cascade de boucles rousses qui coule dans mon dos pour la rabattre sur le devant de mon épaule. Et je retiens ma respiration. Ce qui s’offre à sa vue, en ce moment même… lui racontera tout sûrement mieux que je puisse le faire. Et même si je ne peux les voir, chaque marque gravée dans ma peau, chaque cicatrice est ancrée en moi avec une intensité douloureuse. Et lorsque je ferme les yeux… j’entends encore le sifflement de la lanière en cuir et ma peau se déchirer, le tout sous ses rires et mes hurlements.
Puis tout à coup, je relâche tout. Le rideau flamboyant retombe à nouveau, effaçant en surface la scène du passé. Mais les souvenirs restent. Tremblante, je me retourne, et c’est d’une voix grave, brisée que je murmure la suite de mon histoire, mes yeux d’émeraude fixés au sol :

- Je l’ai tué. Un coup de revolver en pleine tête. Il est tombé, raide mort, à côté de son corps à elle…

Je déglutis. Je revois encore la scène. J’aurais tellement voulu le faire souffrir, lui faire payer tout ceci, tout, tout ! Le moindre de ses gestes, le moindre de ses rires ! Ce qu’il m’avait fait à moi, mais aussi à elle…

- Lorsque la police est arrivée, ils n’ont pas cru à ce que je leur ai raconté. Certes, ils m’ont interrogée, mais vu que je refusais obstinément de parler… ils ont tenté de me faire… avouer ce qui s’était passé. Hésitais-je, un air douloureux sur le visage. Douce façon de dire que j’ai à nouveau été battue et violée. Mais je pense que je n’aurais jamais le courage de prononcer ces mots. C’est trop dur. Alors… J’ai tiré, et j’ai blessé un agent. Ils m’ont aussitôt envoyée dans le centre dont je te parlais tout à l’heure, en m’accusant du meurtre de mes parents.

Nous y voilà… J’ai mis du temps, mais j’y suis arrivée. Encore qu’il me reste à entrer dans le vif du sujet. Mais parler de tout ceci, même si je suis, pour l’instant, en larmes, les yeux rougis, tremblante, m’a fait du bien. J’ai trop longtemps ignoré, refoulé le passé. Je crois que tout ceci a fini par me ronger de l’intérieur. Cependant… Le plus dur reste à faire.
Courage.

- C’est donc ici que j’ai fait la connaissance de Sebastian… Dis-je d’une petite voix. J’ignore quand, j’ignore comment, mais lui m’avait déjà vue, il me connaissait. Et le soir de mon arrivée, il est venu. Il m’a parlé, il m’a parlé, pendant de longues heures, presque toute la nuit.

Brusquement, je saisis les mains de Tobias dans les miennes. Et tandis que je plante mon regard dans le sien, je martèle d’une voix blanche, terrifiée :

- Il est fou, fou à lier Tobias. Ne t’approches plus jamais de lui, ou c’est ta vie que tu joues. Il m’a dit qu’il m’aimait, qu’il m’avait toujours aimé, que je lui appartenais ! Que j’étais à lui, et que tous les deux nous ne formions qu’un. Et ensuite… il m’a réellement fait sienne.

Mes joues me brûlent. A force d’évoquer tout ceci, je me sens si… sale, si souillée. Tous ces souvenirs ne font que de me rappeler tous les outrages que j’ai subis, les choses les plus honteuses et les plus cruelles qui m’ont été faites. J’en viens même à avoir honte d’être une femme, avoir honte d’être moi…

- Cela a duré pendant des années. Tous les jours il venait, que ce soit juste pour me voir et me terrifier, ou simplement parce qu’il désirait assouvir ses envies, qu’il me désirait. Souffle-je d’une voix presque inaudible. Je n’étais réellement qu’à lui, une simple poupée entre ses mains, un simple jouet dont il se réservait l’unique usage. Rares sont ceux qui ont osé m’approcher, me regarder, ou encore moins me toucher lorsqu’ils ont vu ce qu’il a fait à un jeune homme qui m’avait regardé d’une manière un peu trop insistante à son goût. Tout ceci, je l’ai enduré pendant quatre longues années, des années de torture physique et mentale, où je n’avais le droit de parler à personne, ni même de sortir de ma cellule. Et lorsque j’ai été remise en liberté, à mes dix-huit ans, il a juré de me retrouver… et le voilà aujourd’hui. Terminais-je dans un sanglot.


Dernière édition par Sybille Hawkins le Mer 26 Mar - 13:00, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: Une nouvelle vie   Une nouvelle vie Icon_minitimeDim 16 Mar - 9:20

Je tremble de tous mes membres. Mes joues sont définitivement baignées de larmes, et je viens de rendre compte du sang qui coule sur mes mains, à force d’y enfoncer mes ongles. J’ai mal… et je n’ose même plus le regarder.Mais à présent, il sait. Il sait toute la vérité, ce qui s’est passé. Qu’à-t-il à répondre à ça ? Je t’écoute Tobias, réponds-moi. La vie vaut-elle vraiment la peine d’être vécue après tant d’horreurs ? Inquisitrice, je pose mes yeux sur les siens, le dévisageant longuement.

- Saches également je n’ai aucun souvenir de ce qui s’est passé ensuite. Deux ans de ma vie rayés, partis en fumée. Mets-toi à ma place, simplement l’espace d’un instant. Penses-tu que l’on ait le droit de condamner quelqu’un à l’enfer sans même lui expliquer de quoi il est coupable ?! Personne ne le devrait, tu m’entends, personne ! C’est Ludwig qui me l’a finalement tout raconté.

Je marque une pause. L’infamie, l’horreur de cette accusation me glace encore le sang. Je n’aurais jamais pu commettre un tel crime, jamais. Mais évidemment… que sont les paroles d’une jeune détenue amnésique, déjà condamnée pour le meurtre de sa mère et de son beau-père ? Alors, le fils et le mari… Pourquoi pas… Mais si seulement ils savaient, si ils savaient toute la vérité ! Je resserre la prise de mes mains sur celle de Tobias, sans cependant oser le regarder. Va-t-il me croire, me juger ? J’ai peur de sa réaction. Après tout… rien ne l’oblige à me croire, à penser que je suis effectivement innocente. Pas de preuves, simplement la parole d’une pauvre petite rousse à moitié folle, à deux doigts d’accoucher.
Pas forcément très convaincant…

- Je me suis mariée, un peu plus d’un an après ma sortie de prison, et j’ai eu un fils. Et je te supplie de ne pas croire ce que je vais te dire Tobias, je t’en conjure ! Je sais que ce n’est pas vrai, jamais je n’aurais fait une telle chose, jamais !

Je crois que je vais finir par ne plus compter le nombre de larmes que j’ai versées depuis le début de cette conversation, ou plutôt de ce monologue. M’en restera-t-il seulement pour le restant de ma vie ? J’ai déjà trop pleuré…
Lentement, j’inspire, puis ferme les yeux. Je ne veux pas, je ne peux pas affronter sa réaction lorsque je lui avouerai la vérité. J’ai tellement peur… D’une voix douloureuse, je lâche ces quelques mots, qui ne sont qu’un murmure ténu, presque une plainte :

- Je les ais tués… Du moins, c’est ce qu’ils disent. Regarde-moi Tobias, regarde-moi ! Me crois-tu seulement capable de faire une chose pareille ? Penses-tu qu’un jour je pourrais tuer cet enfant, cet enfant que j’ai porté, protégé durant neuf mois ?! Dis-le moi ! M’écriais-je en me redressant subitement, une main plaquée sur mon ventre.

J’ai du mal à respirer. Je halète, mais tiens bon. Fermant à nouveau les yeux, je me recouche, non sans garder mes yeux ancrés dans les siens, d’une manière presque suppliante. J’ai lâché ses mains.

- Ludwig est mort, c'est la seule chose qu’il me reste désormais. Alors dis-moi maintenant Tobias, après tout ce que tu viens d’entendre, la vie sert-elle vraiment à quelque chose selon toi, hormis à faire souffrir… ?
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MessageSujet: Re: Une nouvelle vie   Une nouvelle vie Icon_minitimeSam 29 Mar - 18:15

C'est un silence bien glacé, qui vient de tomber. De s'imposer.
J'ai écouté. Tout. Et sans rien dire, pas un souffle, pas un geste. Rien. Je n'ai fait que recueillir silencieusement tout ce qu'elle avait à me déverser sur la gueule. Et maintenant encore, je ne parle pas. Je ne fais que la fixer, avec sur les traits comme une expression pas très appropriée à la situation. Fini, le grand sourire, le regard franc, l'espoir au cœur.
Je fais la gueule. Et ça se voit.

Et lorsque je me décide à rompre ce putain de silence en lâchant un juron en roumain, j'ai déjà eu le temps de mourir trois fois. Je me relève assez violemment. La chaise valse, tombe avec fracas. Et alors ? Je me retourne, passe la main devant les yeux.
Comme si ça pouvait changer quelque chose.
Comme si.
"Si".

J'ai mal. Horriblement mal. Trop de choses à refouler. Il fallait que je le pète, ce câble. C'est comme une frustration, qui vous nargue, qui vous broie de l'intérieur. Bordel. Je ferme les yeux, fronce les sourcils, secoue la tête, et lâche une nouvelle flopée de jolies choses dans ma langue natale.

Vous êtes grave perdus, là, non ?
C'est vrai. Pas très clair, tout ça. Mais les choses ne sont pas souvent ce qu'elles semblent être. A votre avis, quelle est la connerie qui a pu me mettre dans cet état ?

Je le tuerai. Comme l'autre. Si tu le veux, je les tuerai tous.

Je relève le visage, et fixe un regard torve sur le mur d'en face. Ma voix a retrouvé les… intonations d'autrefois. Voilà, ça, c'est moi. Alors, Tobias, tu te souviens pourquoi tu fais tout ça ? Hmm ? Par pure philanthropie ? Tu crois vraiment qu't'as fini par devenir un mec bien, un mec qui peut servir à quelque chose ?
Ou bien c'est juste ce délicieux prétexte de pouvoir te défouler à nouveau sur n'importe qui, n'importe quoi, n'importe où ?

Ah. Tu l'avais oubliée, celle-là. Hein ? Celle-là, cette raison qui fait que t'es ici. T'es qu'un tueur, t'es qu'un putain de tueur.

On change. On change pas.
T'as pas l'air sûr de toi. Ah oui ? Non. Mais j'suis peut-être en train de me planter. Une fois de plus. Mais… est-ce que c'était si faux que ça ? L'espace d'un instant… rien qu'une poignée de jours, sur toute ma vie… je me suis senti bien.
Je mentais ?
A qui.

Si c'est ce que tu veux.

… C'est quoi, c'te voix ? Les premiers mots étaient potables. Mais putain, cette fin… Tu veux pas chialer, non plus ? Et pourquoi ?
Si seulement elle pouvait me le prouver… Me dire que ce "si" était terriblement bon, terriblement droit, terriblement vrai.
Lui reste à comprendre. Et ça, crois-moi, ça va pas être simple.

Tu n'auras qu'à me montrer qui. Quand. Comment.

J'ai froid. Il faut dire que je ne suis pas vraiment couvert. Un caleçon, une espèce de débardeur, et c'est tout. Même si je pense pas que cette sensation glacée vienne du monde extérieur. Ce que je dis. C'est monstrueux. Mais ça vient tout seul. C'est ce quelle m'a dit… ce qu'elle m'a dit, sa haine, c'est la mienne.
Et ça fait mal. Trop, trop, TROP !

Je me retourne, plonge mon regard dans le sien. Légère contraction du visage. Tu le sais, que je te crois. Tu le savais, même en me posant la question. Comment pourrais-je faire autrement ? Puisque… Je t'aime.
Stop. Retour en arrière. Oublie, cravache, éperonne.
De toute façon, quelle différence. Pourquoi je te jugerais ? Je l'ai tué, ce mec. Et c'est pas le genre de chose qui fera de moi quelqu'un de bien. Je crois.
Je veux fermer les yeux. Je veux poser ma tête sur l'épaule de quelqu'un. Je veux avoir des gosses, même si je peux pas, vieillir tranquillement, et mourir de la même façon. Et ça, ça ferait de moi quelqu'un de bien.
Est-ce qu'elle comprend ?
Je te crois. Tu le dis. Alors c'est vrai. Alors…

Ta gueule. Si tu prononces ne serait-ce qu'un mot… un mot en plus… ça va mal se passer. Tu te connais. Tu t'es jamais maîtrisé, mais tu te connais bien.
Pourtant… les mots qu'elle a eu, à l'instant… "Va leur dire"…"jouet de la fortune". Et ces marques, sur sa peau… Toute ces choses, ces paroles, ces intentions… tout cela se mélange. J'ai l'impression que ma poitrine va exploser, si je ne fais rien.
Je hurle.

Bordel ! Tu veux quoi… Tu veux QUOI ? Que je te dise que, oui, ce monde est pourri, qu'on va tous crever, que ça sert à rien ? TU VEUX QUOI. Pleurer sur ton compte, et leur donner raison ? Ok. Comme tu veux, voilà : t'as raison, ça sert à rien. T'as qu'à crever, maintenant. Mais tue-moi avant, ça fera moins MAL.

Un choc dans mon dos. Alertée par mes cris, une des infirmières a rappliqué. Elle s'accroche à moi, veut me tirer en arrière, loin de Petite Plume. Peine perdue. Je me dégage brutalement, fais un pas, me penche sur Sybille. Je pose mes mains de part et d'autre de son visage.
Et plaque mes lèvres contre les siennes.
Je chiale.

Une main m'agrippe. Une poigne ferme me retourne, et j'ai à peine le temps de me rendre compte que cette fois, c'est un mec qui m'a choppé. Une des infirmières demander des renforts… C'est tout ce que j'ai le temps de me dire. L'autre m'assène un magnifique crochet du droit, splendidement bien placé sur ma blessure à peine recousue. Je gémis, sens un goût métallique trop familier envahir ma bouche.
Je lui réponds. Je n'ai qu'une envie : me défouler. Mais je n'ai pas vraiment le temps de faire grand chose de plus. Un autre mec rapplique, me ceinture. Je bascule la tête en arrière, heurte son nez. Le premier vient l'aider à m'immobiliser. En un dernier effort, je tourne la tête vers Petite Plume, et lâche, en hurlant, des larmes inondant désormais mon visage, se mêlant au sang de ma blessure :

Les laisse pas te faire penser ça… Seigneur…pourquoi…c'est toujours les victimes qui se prennent…pour les coupables… Déconne-pas. Et bordel, me fais pas chier avec ton défaitisme à la con… Si la vie sert à quelque chose ? Y'a que toi pour en décider... Tu veux qu'ils aient raison, c'est ça qu'tu veux ? VRAIMENT ?

Mon regard se fige. Un coup, sur ma nuque. Le monde flotte. Je sens à peine ma blessure, désormais rouverte par mes cris. Mes pupilles se perdent vers le haut.
Etre quelqu'un…de bien ?
Je m'écroule.
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MessageSujet: Re: Une nouvelle vie   Une nouvelle vie Icon_minitimeDim 30 Mar - 8:14

Non, je ne veux pas. Je ne veux pas que tu deviennes un assassin, comme lui. Pas pour lui, pas pour moi. Pas juste pour moi… Qui suis-je, qui suis-je pour t’obliger à faire toutes ces choses ?! Pourquoi, pourquoi est-ce que tu me demandes ça ?! Qu’est-ce que tu as à faire de moi ? Suis-je si importante à tes yeux ? Oublie, oublie tout ce que je viens de te dire. Mais je t’en supplie, redeviens comme avant…

Je pousse un hurlement. Et me lève précipitamment. Il vient de s’effondrer, ils l’ont frappé, il saigne, il…

- LACHEZ-MOI !

Je hurle à nouveau, me débattant comme une furie, en pleurs, prisonnière des bras d’un infirmier qui me tient fermement, tentant de me recoucher, de m’éloigner de lui. Tout ça c’est de ma faute, ma faute ! Si je ne lui avais pas dit, si je ne lui avais pas expliqué…
Mais ses mots, ses paroles…
Comme un coup de poignard en plein cœur.
Défaitisme ? Mourir ?
Lui faire… mal ?
Non, je ne veux pas, je ne veux pas ! Ouvre les yeux, je t’en prie ! Relève-toi, réveille toi ! Parle, hurle, crie, frappe-moi, embrasse-moi, mais fait quelque chose ! Vis…
Embrasse-moi… ?
Ses lèvres, tout à l’heure, sur les miennes… Il pleurait. Mais il m’a embrassée. Un baiser violent, fougueux. Désespéré. Auquel je n’ai pas eu d’autre choix que de répondre, avec rage et désespoir.
Le dernier… ?

Avec toute la maigre force dont je suis capable, je donne un violent coup d’épaule, et parviens à me dégager de l’emprise de l’homme. Je me rue aussitôt à ses côtés.
Et j’ai un haut le cœur.
Son visage, en sang… Sa joue, déchirée, plaie béante… Presque pire que le jour où Sebastian l’a attaqué. Je détourne les yeux, le cœur au bord des lèvres, incapable d’en supporter plus. Le visage baigné de larmes, j’inspire profondément, tremblante de tous mes membres.
Pourquoi ?!
Je les hais, tous. Ils n’avaient pas le droit de me faire ça. Et eux n’avaient pas le droit de lui faire ça. Mais tout ça… c’est de ma faute, ma faute !
Non !
Tais-toi Sybille. Je t’interdis de penser ça… désormais. Tu dois être forte, à présent. Te battre, vivre. C’est ce qu’il voulait, non ? Et c’est ce qu’il veut toujours… Lentement, je tourne mes yeux d’émeraude vers le corps de Tobias, qui gît toujours à terre.

Les laisses pas te faire penser ça… Pourquoi c’est toujours les victimes qui se prennent pour les coupables ?

Je ne sais pas, je ne sais plus… Je pensais que tu saurais, que tu aurais une réponse, mais… Mais non. Et vois où cela nous a menés. Oh Tobias, je suis désolée, tellement désolée !
Pardon…

Si la vie sert à quelque chose ? Y'a que toi pour en décider... Tu veux qu'ils aient raison, c'est ça qu'tu veux ? VRAIMENT ?

- Non !

Je crie. Une infirmière vient de me saisir le bras, doucement, mais fermement, tout en m’enjoignant de me lever. Je refuse. Je ne veux pas, je ne veux pas ! Je ne veux pas le laisser… Ne le laissez pas… Mourir…
Apparemment mal à l’aise, elle jette un coup d’œil à son collègue qui, levant les yeux au ciel, me relève brutalement et me serre fermement contre lui, tout en me ramenant vers mon lit. Je recommence à hurler, me débattant de plus belle, haletante :

- Laissez-moi, LAISSEZ-MOI ! Vous n’avez pas le droit, pas le droit ! Vous, je… Tobias ! ARRETEZ !

- Cela suffit !

Gros silence, tout à coup. Lourd, pesant. Seul mon souffle saccadé se fait entendre, unique témoin de la vie qui nous anime, tous. Car à les voir, figés comme des statues de marbre, à lancer un regard craintif au docteur qui vient d’arriver. D’ailleurs… je croyais ce type incapable de s’énerver. Apparemment je me suis trompée. Il a l’air réellement furieux, et ses yeux couleur de ciel sont à présent semblables à un océan déchaîné. Même sa voix gronde, et pourtant, c’est sur un ton très calme qu’il lâche ces quelques mots :

- Mélodie, Rachel, vous vous occupez de notre patiente. Cédric, tu me mets Tobias sur un lit et tu prépares ce qu’il faut, j’arrive tout de suite. Quand à toi Franz… - il se tourne vers l’homme qui a frappé Tobias, et le toise pendant quelques secondes – dans mon bureau, tout de suite. J’ai à te parler.

Muet, il hoche la tête, le visage crispé, et tourne les talons. Les autres l’imitent et s’exécutent silencieusement. Moi, je me laisse faire par les deux jeunes femmes qui me recouchent délicatement, avant de remettre en place la perfusion. Merde… Je viens de me rendre compte que le haut de mon bras saigne. J’ai du m’arracher la peau avec l’aiguille, quand je me suis levée avant… Malin. Je me rends compte d’un tas de choses en fait. De mon cœur qui bat la chamade, de mon visage trempé de sueur, de ma respiration saccadée, de…
Cri de souffrance.
… de cette putain de douleur qui me ronge le ventre. Alarmée, la dénommée Rachel file chercher notre docteur qui arrive déjà, alerté par le bruit. Et qui réagit au quart de tour, comprenant immédiatement la situation.

- Calmez-vous, tout va bien se passer. Allongez-vous et détendez-vous, faites simplement exactement ce que nous allons vous dire de faire.

Sourire. Moi, je panique. Attendez. Ne me dites pas que… là, maintenant ? Non, non ! Allez vous occuper de lui plutôt ! Je… je ne veux pas, je ne peux pas…
Je ne pourrais pas le faire sans lui…
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MessageSujet: Re: Une nouvelle vie   Une nouvelle vie Icon_minitimeSam 17 Mai - 16:09

Oui mais non.
Là, ça devient grave. Grave lourd. Grave chiant. Grave merdique, aussi. Je commence à croire que le monde tourne un peu trop vite pour moi. C'est vrai. Qu'est ce que je fous là ? Je veux dire… Sur un putain de lit ? C'est pas mon tour, je crois.
…Non ? Le tour de quoi, au fait ?
Lève-toi.

Quelque part du côté du monde réel, mes yeux s'ouvrent. Oh. Un plafond crade. Qui l'a mis là ? Hmm… Attends. J'écarte les doigts, prends appui sur mes avant bras, et me redresse un peu brusquement. Un peu trop, même. La tête me tourne. Et ma joue me gratte un peu, dirons-nous…
Combien de temps ?

"-Bouge pas."
Nan. C'est pas le genre de réponse que je veux entendre. L'autre, le gadjo qui vient certainement de me ramasser, me lance un regard du genre torve, tout plein d'un message assez clair : "- Décolle pas ton cul de là, j'ai autre chose à foutre que de jouer les gardes-mioches." Pour ainsi dire moyennement réceptif à ses injonctions muettes, je laisse mes pieds toucher le sol. Mes paupières tombent, un peu trop longtemps. Elle ne fait pas du bien, mon égratignure. Je n'ose pas y mettre les doigts pour vérifier si on voit mes molaires.

" -C'est moche comment…?" Ouh ! Mignon, comme façon de parler… Je tente de faire glisser mes paroles entre mes dents serrées… Pas super concluant, mais l'essentiel est là.
- Moyen. Mais c'est juste moche. Moins grave que la dernière f…
- Cool."

Et hop, je me casse.
Bon. J'avoue que l'effet aurait été un peu meilleur si j'avais passé une porte, disparu de la circulation, dégagé proprement d'un pas ferme. Mais on va dire que quelques mètres, dans la même pièce glauque, en vacillant un peu, ça suffira. Même si je suis en caleçon. Même si je commence à me peler grave. Même si une des deux infirmières –la brune- vient de ma plaquer de force une compresse contre la mâchoire (histoire que je refile pas de saloperies à Petite Plume en lui saignant dessus, peut-être ?) Même si, même si.
Bref.

La situation est assez simple à décrire.
C'est un bon gros bordel.
Imaginez-vous accoucher (bon, le pré requis, c'est quand même d'être une femme…je crois), de un dans une taule, de deux dans une infirmerie pas très pointue niveau matos, de trois avec pour tout soutien une gueule cassée en caleçon (bleu). Vous pouvez peut-être trouver ça funk. Mais 'lors vous n'êtes pas vraiment le type de personne à qui je tendrais volontiers la gorge (vous m'excuserez).
Comment dire… Déjà que j'ai positivement les nerfs (pourquoi, au fait…stressé ?), alors j'imagine pas l'état de Petite Plume.
Mais merde, quoi.
Assez brutalement, je suis pris aux tripes d'une envie de passer mes bras autour de ses épaules, et de la protéger de tout ça. De ces choses. Celles qui rampent. Ces visions qui ne vous lâchent pas.
Comme de donner la vie dans une prison grise.
Ma main vient trouver la sienne.
Voilà.

Je fixe mes pieds nus. Il s'en passe, des choses. Mais je veux pas voir. Cela, ce n'est qu'à Sybille. Alors je fixe le sol, gris. J'entends des choses. Des mots chelous, qui me flanquent un peu la trouille. Sans compter le bruit du monitoring. Je comprends pas trop à quoi ça sert, et ça me stresse.
Rectification : tout me stresse, en cet instant précis.

"- Le travail commence.
- Trop tard pour la péridurale.
- Rachel, il y a un forceps, dans la réserve. Caisse jaune, étagère de gauche. Désinfecte-le et apporte-le moi.
- Oui.
- La perfusion est bonne.
- Bien.
– Le forceps.
- … Bien."

Je cille. Où suis-je, vraiment ? Pas à côté. Pas là. J'entends, mais je n'écoute pas. Je ne fixe toujours le sol. Ma main tient toujours celle de Sybille. Je me sens mal… J'ai mal au ventre. Mais c'est complètement con. Ou pas. Qu'est-ce que je fais ici ? Pourquoi cette question… C'est là que je dois être. C'est peut-être le truc le plus sûr que j'ai jamais ressenti depuis un bout de temps.
Je resserre ma prise sur ses doigts.
Latence.

" – La nuit n'est pas prête de finir."

C'est ce que le doc a craché entre ses dents, presque pile au moment où Sybille a commencé à enfoncer ses ongles dans le dos de ma main. Je me contente de caresser l'intérieur de son poignet, de l'index.
Je ferme les yeux. Il n'y a qu'une chose. Sa respiration. Souffreteuse. Pénible. Je pose enfin mon regard sur son visage, profondément inquiet. Qu'est-ce qui se passe ? Merde… Qu'est-ce qui se passe ? C'est pas normal, cette respiration, cette douleur… Non ? Si ? Je blêmis, entrouvre les lèvres, pour dire quelque chose…

"- Tout va bien.
– Surveille le cœur.
- Mélodie. Prends-ça.
– Attention…
– Il est dans le bon sens. Sa tête.
– Là…"

Ma mâchoire se crispe. Je frissonne, mais je crève de chaud. Je n'y tiens plus. A nouveau, je m'agenouille, pour trouver son visage au niveau du mien. Je ne fais que la regarder, et lui tenir la main.
La regarder.
Ce que Dieu fait de plus doux.
La regarder.
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MessageSujet: Re: Une nouvelle vie   Une nouvelle vie Icon_minitimeDim 18 Mai - 8:47

- Tobias !

Je hurle. Des larmes s’écoulent de mes yeux, roulent sur mes joues, sans même que je ne puisse les retenir. Mon corps tremble, se secoue au rythme d’une douleur intense que je suis tout simplement incapable de contrôler, que je ne peux supporter. Tous s’affolent autour de moi, ça court dans tous les sens, ça se lance des ordres, se crie dessus. Inquiétude. Peur. J’ai peur. Peur, parce que tout ceci n’est pas normal. Peur, parce que je n’ai jamais vécu cela. Peur, parce que je ne sais absolument pas comment réagir. Peur, parce que je suis seule. Seule, avec mon angoisse et ma douleur. Je suis fatiguée, j’ai mal. J’ai peur de ne pas y arriver seule. Peur que tout ceci ne se passe pas bien.
Parce que ça va bien se passer, hein… ? Il le faut, il le faut ! Je ne pense pas être en mesure d’affronter le regard désolé des médecins, tandis que le silence accueille mon ultime cri de douleur, ma délivrance, au lieu des pleurs habituels d’un nouveau-né. De voir partir l’infirmière avec un petit corps enveloppé d’un linge sanguinolent, tandis que le médecin se penche vers moi, le regard grave, triste, me lâchant un simple « C’est finit. Je suis désolé. ». Avant de me laisser seule, seule avec ma douleur, seule avec mon désespoir. Je ne le supporterais pas, non, non ! Je me suis battue, j’ai vécu, j’ai tout enduré pour cet enfant, tout. Depuis ces huit derniers mois, mon seul et unique but a été de survivre, pour moi, pour lui, pour être en mesure de lui donner la vie.

Et si c’était moi, qui mourrais ?
Je suis fatiguée. Epuisée même. Ces dernières semaines ont été un véritable calvaire pour moi. Calvaire encore plus accentué par le retour de Sebastian. Si je meurs… Tout sera terminé. Tout. Terminée la souffrance, terminée la peur, terminée la terreur. Terminées les nuits à trembler, à pleurer, tout simplement parce que je le voyais, parce que je les voyais. En rêve. En cauchemar. Je serais enfin en paix. Je pourrais enfin vivre. Le calme, le repos éternel. Y a-t-il une vie après la mort ? Qu’est-ce qui m’attends, là-bas, si jamais je venais à ne plus jamais me réveiller ? Y a-t-il seulement un au-delà ?
Je ne sais pas… Si je meurs, je le saurais.
Si je meurs… Qu’adviendra-t-il de cet enfant ? Aura-t-il une vie, une famille ? Prendra-t-on soin de lui ? Mourra-t-il avec moi ?
Et Tobias… ?
Tobias ?

Ses yeux, ses cheveux. Sa plaie. Sa joue, sa peau, son visage. Son regard, et son air inquiet, alors qu’il me prend la main. La main ? Ma main ?
Il est là. Face à moi. Ses yeux plantés dans les miens, ma main dans la sienne. Il me regarde, simplement. Et même si je perçois son inquiétude, son angoisse, j’ai l’impression que maintenant, tout est possible. Je peux le faire. Je dois le faire.

- Rachel, il y a un forceps, dans la réserve. Caisse jaune, étagère de gauche. Désinfecte-le et apporte-le moi.

Je cligne des yeux, me redresse légèrement, haletante. Forceps ? Qu’est-ce que… Qu’est-ce que c’est que ça ? Rien que le nom me fait frémir. J’ai peur, à nouveau. Et ça, c’est normal ça ? Qu’est-ce qu’ils veulent me faire ? Lui faire ? Pourquoi ?
Sans doute dois-je être tendue comme un fil. Toujours est-il que la dénommée Mélodie doit percevoir mon inquiétude, puisqu’elle s’adresse doucement à moi, après avoir vérifié la perfusion toujours plantée dans mon bras.
« Rien à craindre », qu’elle me dit. Selon eux, je suis trop faible, et beaucoup trop stressée pour que l’accouchement se fasse d’une manière totalement naturel. « Le bébé aura besoin d’aide pour sortir. » Non mais, attendez. Et mon avis à moi, dans tout ça ? Je refuse, je ne veux pas ! Je suis parfaitement capable de…
Oh mon Dieu.
Ils n’ont pas l’intention d’utiliser ça ? Il est hors de question qu’on me mette cette chose entre les jambes, hors de question ! Et mon fils, dans tout ça ? Si ils lui font le moindre mal, je, je…
Je crie. Nouvelle contraction. Bon sang, ça ne finira donc jamais ? Je m’en souviendrais de mon accouchement ! D’autant plus que, apparemment, ils n’ont pas l’intention de me faire une péridurale. Trop tard ?
Je sens que ça va faire mal cette histoire.

- Vous êtes trop stressée mademoiselle, essayez de vous calmer je vous en prie !

Cette fois-ci, c’est la petite blonde qui s’adresse à moi. Elle semble complètement paniquée. Nouvelle, dans le service ? A moins que ça ne soit son premier accouchement. Oui, ça doit être ça… ‘Faut dire que les naissances, dans les prisons, c’est pas vraiment ce qu’on appelle un phénomène courant…
Peut-être que je vais passer dans le journal ?
Notre Rachel se penche vers sa collègue. Heureusement qu’elle et le médecin ont l’air plus calmes et compétents. Parce que, infirmière ou pas, laissez-moi dire que si j’étais seule avec elle… Je préfèrerais encore le faire moi-même. Elle lui murmure quelque chose à l’oreille, me jetant un regard anxieux. Je déglutis, et resserre légèrement la prise de mes doigts sur la main de Tobias. Qui fait de même. Un regard. Perdu, terrifié. Des bribes de conversation me parviennent, à travers le bruit du monitoring et ma respiration haletante :

« - On ne peut pas… perfusion… la détendre ?
- Tu es folle ! ... trop dangereux… le bébé…
- La nuit n'est pas prête de finir. »

Le doc coupe court à la conversation, tandis que je me tends brusquement, serrant les mâchoires juste à temps pour retenir un cri. Mes ongles s’enfoncent dans la main que je tiens toujours. Inconsciemment. Je crois que de toutes manières, je ne suis plus en état de contrôler quoi que ce soit. Ma respiration se fait plus pressante, pénible, tandis que je lutte pour me débarrasser de cette insupportable douleur qui me vrille le bas-ventre. J’ai l’impression qu’on me déchire de l’intérieur, que tout se fend, éclate, à l’intérieur de moi. Une voix m’enjoint de me calmer, de ne pas lutter, et de simplement pousser. Dans le semi-brouillard qui m’entoure, et la chape de plomb qui semble recouvrir mes membres, simplement percée par la souffrance, je hoche faiblement la tête. Et m’exécute. J’halète, je gémis, je crie, je hurle. Arrêtez, arrêtez tout ! Tuez-moi, qu’on en finisse. C’est tellement horrible, je n’y arriverais jamais. Et le contact froid du métal sur mes cuisses, entre mes jambes, en moi. Ca s’immisce, ça progresse, ça cherche, dans mon ventre. Je redoute le moment où ils saisiront la tête du bébé. Et si ils lui faisaient mal… ? Non. Se calmer, respirer, pousser. Se concentrer sur autre chose. Ce moment, tu l’as attendu depuis si longtemps Sybille. La naissance de ton fils. Regarde-toi, tu donnes la vie ! Et ça, personne ne peut t’enlever ce droit, personne. Pense à cet enfant, que tu auras bientôt dans tes bras. Ce bébé, que tu as porté, aimé, protégé neuf mois durant. Tu ne vas pas abandonner maintenant, tu n’as pas le droit ! Et ce contact, là, sur ta main, sur ton poignet, qui caresse ta peau. Tobias. Lui non plus, tu n’as pas le droit de le décevoir.
Après tout…
C’est aussi son fils.

Je tourne la tête vers lui. Le regarde, et tente un sourire, un faible sourire à travers mes larmes. J’ai mal, je souffre, mais qu’importe, puisqu’il est là ? Oh Tobias, si tu savais… Ne me lâche pas, ne me laisse pas. Reste avec moi, je t’en supplie. Si tu savais… Si tu savais, que c’est ta présence qui me donne la force de continuer, que c’est ton regard, sur moi, qui m’aide à surmonter tout ça. Et que, tout ceci, je vais le faire. Pour lui, pour moi, pour toi. Parce que je t’…

« - Tout va bien, je vois la tête !
- Continuez à pousser mademoiselle, tout va très bien. C’est bientôt terminé. »

Je suis tirée de mes pensées par des exclamations. L’esprit à moitié embué, je détourne un instant le regard, interrogative. Si le docteur n’a rien perdu de son air concentré, c’est une expression soulagée qui vient remplacer l’angoisse qui se lisait sur le visage de mes deux infirmières. Tout va bien ? Tout va bien. Mélodie continue à me guider, à me dire de pousser, ou non. Je ne l’écoute qu’à peine. Je sais ce qu’il faut faire. Comment ? Je le sens. Je ressens tout. Je vous rappelle que, premièrement, je suis en train d’accoucher, et que, deuxièmement, n’ayant pas été anesthésiée, je suis tout à fait consciente de ce qui se passe à l’intérieur de moi. Tout. Alors, les contractions, je les sens. Mon bébé aussi, d’ailleurs. Instinctif ou pas, je n’en sais rien. En tout cas, pour ça, je peux me débrouiller seule. A nouveau, je lance un regard à Tobias. Il s’est agenouillé, face à moi. Son visage à ma hauteur, ses yeux au niveau des miens. Je m’y perds aussitôt, noyée dans cet océan anthracite, secouée par les vagues d’angoisse et de doute qui secouent cette mer métallique. Je serre de plus belle sa main dans la mienne. D’accord, c’est surtout parce que j’ai mal, mais aussi pour tenter de lui faire passer un message. Parce que laissez-moi dire que, dans l’état où je suis, je suis tout simplement incapable de parler. N’aie pas peur. Ne t’inquiètes pas. Tout va bien…

Après, j’ignore ce qui s’est exactement passé. Si tout ceci a duré une heure, cinq minutes ou même trente secondes. Je crois que le temps s’est tout simplement suspendu, envolé, alors que j’étais rivée à ses yeux, perdue dans les traits de son visage, submergée par l’émotion de ce moment. Toujours est-il que, lorsque une des deux infirmières a poussé un cri, je me suis légèrement redressée, haletante. Parce que ce qu’elle a annoncé, je l’ai évidemment ressenti. Cette sensation de perte, de manque, aussitôt suivie par un débordement d’amour et de joie, de soulagement aussi, en entendant les cris et les pleurs de ce petit être qui vient de naître. Une nouvelle vie…

- C’est un garçon !

Mon fils… Enfin… Epuisée, je me laisse retomber en arrière, laissant ma tête choir sur l’oreiller. J’ai le front et les temps humides, les cheveux trempés de sueur. J’ai chaud, j’ai froid, j’ai mal, je me sens bien, tout ça en même temps. Je suis heureuse. Et des larmes roulent à nouveau sur mes joues tandis que je ferme les yeux, un doux sourire serein aux lèvres. Des larmes de joie, de soulagement. Des larmes d’amour. Le médecin s’active encore quelques instants entre mes jambes –afin de couper le cordon, je suppose-, avant de se relever. Lui aussi semble épuisé, mais aussi soulagé. Heureux, également ? Peut-être, car, lorsqu’il passe sa main sur son visage, afin d’essuyer son front, c’est un grand sourire qui étire ses lèvres lorsqu’il me regarde :

- Félicitations.

Un simple mot. Franc, sincère. Auquel je ne sais quoi répondre. Je me contente de hocher la tête, submergée par l’émotion. Mes larmes coulent de plus belle. Je ne sais plus où donner de la tête. Le docteur, les infirmières, mon bébé, Tobias…
Tobias.
Je tourne la tête, le regarde, l’air grave. Silencieuse. Et un grand sourire illumine mon visage, tandis que j’éclate de rire, me jetant dans ses bras. Qu’importe le fait que je sois à moitié dévêtue. Qu’importe le fait qu’il ne porte pour tout vêtement qu’un simple caleçon. Qu’importe le fait que j’ai encore une perfusion dans le bras, que je sois épuisée. Car, en ce moment même, plus rien ne compte. Je suis tellement heureuse, débordante de joie et d’amour. Et je ris, je ris ! Un rire perdu dans mes larmes et mon sourire, étouffé par sa peau et ses cheveux, tandis que je me serre de plus belle contre lui.

- Je l’ai fait, balbutie-je, je l’ai fait. C’est fini, c’est terminé…

Je crois que je ne sais plus trop ce que je dis. Mais cela m’est complètement égal. Car les étoiles qui brillent dans mon regard éperdu d’amour lorsque Mélodie me dépose dans les bras un petit corps gigotant faiblement, mais qui crie déjà avec une belle assurance, n’ont jamais eut autant d’éclat que ce jour-là. Mon fils, mon bébé. Mon enfant… Avec milles précautions, je reprends place sur le lit, m’adossant contre le coussin sur lequel ma tête reposait encore il y a deux minutes. Tout s’est passé si vite… Mais peu m’importe, peu m’importe ! Je n’ai jamais ressenti autant d’amour, autant de bonheur. Je suis, en ce moment même, heureuse comme je ne l’ai encore jamais été auparavant. Et l’infirmière nous coule un regard attendri, tandis que je passe doucement, tendrement, amoureusement le bout de mon index sur le visage de mon fils. Deux marques rouges, sur ses tempes. « A cause du forceps » m’explique la jeune femme brune. Et elle m’assure que cela sera totalement parti dans quelques jours. Je l’espère. Il est si petit. Et si beau. Si fragile… J’ai tellement peur de le briser…
Sans doute est-ce pour cela que je le serre ainsi contre moi, avec tendresse et douceur. Ferais-je une bonne mère ? Je l’ignore… Pourrais-je seulement garder cet enfant avec moi ? La directrice n’a pas réellement répondu à ma question. Elle m’a promis qu’il pourra rester ici les premiers mois de sa vie, mais n’a pas voulu en ajouter plus. Mais qu’importe, pour le moment, il est là, avec moi. Dans mes bras, contre moi. Mon enfant… Je n’arrive toujours pas à le croire. Ma main glisse doucement sur sa tête, effleurant le haut de son crâne, parsemé de quelques cheveux clairs. Sera-t-il blond, comme son père ? Il aura ses cheveux, et mes yeux. Il lui ressemblera. Notre fils…


Dernière édition par Sybille Hawkins le Dim 18 Mai - 8:50, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Une nouvelle vie   Une nouvelle vie Icon_minitimeDim 18 Mai - 8:48

- Comment allez-vous l’appeler ?

Une question, timide, mais dont je devine les intonations curieuses et excitées. Rachel. Redevenue calme, apaisée, mais je vois bien à son regard qu’elle est émue. Etait-ce sa première naissance ? Est-elle elle-même mère ? J’en doute. Elle me paraît bien jeune. Mais je dois dire que moi aussi, je le suis…
Un nom. C’est vrai… C’est curieux, je n’y avais pas vraiment réfléchit. C’est pourtant l’une des premières questions que l’on se pose, non ? Surtout lorsqu’on connaît le sexe de son bébé. Je savais que ce serait un garçon. Mais je n’avais pas songé à cette histoire de prénom. Il faut dire que avec tout ce qui m’est arrivé…
Non, aucune excuse. A présent, réfléchis, et vite. Et bien. Ce prénom, il le portera toute sa vie.
Je marque une pause. Un instant de réflexion. Pas bien long. Le choix s’impose, comme une évidence. Peut-être est-ce pour ça que je n’y ai pas pensé, en fait. Parce que je le savais déjà, au fond de moi. J’ai toujours adoré ce prénom.

- Liam. Liam Ludwig Hawkins.

Ca sonne bien, non ? De toutes manières, je veux qu’il porte le prénom de son père. Pour qu’il vive à travers son fils, et que ce dernier ne l’oublie pas. Parce que je veux lui rendre hommage. Parce que c’est la seule chose que je peux faire pour lui, ici-bas, entre ces murs de pierre grise.
Je tourne doucement la tête vers Tobias. Et lui ? Comment réagit-il ? Que pense-t-il, que fait-il ? Il me regarde. Est-il perdu, désorienté ? Est-il heureux ? J’ai l’impression qu’il est tout simplement dépassé par les évènements. Mais qui ne le serait pas ? Je le regarde, lui souris. Avant de reposer mes yeux sur Liam. Un père… Un souvenir me revient en mémoire. S’impose, me frappe. Mais comment ai-je pu l’oublier ? Ludwig est mort. Et si mon fils est là, aujourd’hui, c’est tout simplement grâce à lui. Lui qui a accepté de le déclarer comme sien, alors qu’il ne me connaissait pas. Lui qui a pris tout ces risques pour moi, qui a mis tant de fois sa vie en danger, afin de sauver la mienne. Lui qui a tué pour moi…
Cet enfant n’a pas qu’un père. Il en a deux.
Lentement, je relève la tête, plante mon regard dans celui de Tobias. Doucement, mais aussi fermement. Je veux qu’il sache que, ce que je fais, je le fais de mon plein gré. Parce que je le veux. Parce que ce n’est que justice, parce que ce ne serait injuste envers lui que de ne pas le faire. Et même pire encore. Je le fais parce que j’en ai envie, et que c’est ce que mon cœur me hurle, là, au fond de moi.

- Hawkins-Viatscheslav.

Notre enfant…
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MessageSujet: Re: Une nouvelle vie   Une nouvelle vie Icon_minitimeMar 1 Juil - 12:46

"C'est un garçon."
Quelques mot, rien : un souffle. Le doc les a dit, mes lèvres les ont formés, en silence, d'instinct. Comme quelqu'un qui connaît la musique, mais n'ose pas chanter. Pas la foi. Pas sa place. En moi, le souffle est mort : il s'est étouffé, de lui-même, renvoyé quelque part dans mes tripes pour fuir ma gorge trop serrée, trop douloureuse, trop dure.
Je ferme lentement les paupières. Du bruit, partout, autour de moi. Je suis perdu. Je me sens comme un noyé, capté par un torrent aux eaux lourdes, n'ayant pas même la possibilité de sentir le frais passage du fluide sur son visage. Des ombres s'agitent, dehors, et dedans, il fait froid. Pas de lien entre les deux mondes. Pas de dieu à la paume ouverte.
Ou presque.

Quelqu'un. Quelque part. Petite Plume vient positivement de se jeter sur moi. En forme, la jeune mère.
"Doucement…"
Je me plains, mais c'est parce qu'à la base, je suis un pur râleur, et que j'aime bien cet état de fait. Mais à la vérité, je suis bien heureux qu'elle s'agrippe à moi de la sorte. Elle me retient. Et j'oublie le vide de l'instant d'avant. Vaguement songeur, je passe une main sur ses cheveux humides. Pourquoi cette sensation, d'ailleurs ? Il est né, le petit de la jolie damoiselle. Ce pourquoi nous luttions depuis plusieurs mois. Un peu comme une lumière, au loin. Un espoir de je ne sais trop quoi. Un but, en fait. De ceux qui vous donnent envie de casser des pierres comme un débile sur une montagne de granit.
"Ouais."
Traduction : oui, tu as réussi, oui, c'est merveilleux, oui, j'ai le cœur tout prêt à exploser. Et oui, je me sens con. Mais vraiment. Pas dans la demi-mesure. Un truc que tu ne pourrais pas comprendre, je pense. Ce sentiment de voir une vie sortir d'une femme, et d'être là, à regarder, sans comprendre comment la chair sort de la chair, un peu jaloux d'être à jamais déconnecté de ce contact-là, par la simple nature des choses.

Elle s'écarte, je la repousse. Je ne sais pas exactement. La seule donnée importante, c'est qu'elle tient le petit sur elle. Je me redresse, silencieux, et osbserve –non, contemple-, la scène. Il y a là quelque chose que je ne peux pas d'écrire. J'en ai pas le vocabulaire, j'suppose. Mais voilà, c'est là, et ça donne envie de clamser de suite pour partir sur une telle image.
Une image. Lointaine ? Pas question d'y chercher ma place. J'ai fait ce que je devais faire. On n'a plus besoin de moi. Adieu, adieu, adieu…
Pourquoi j'arrive pas à le prendre à la légère ?
N'en demandes pas plus. Tu as déjà eu trop.
Adieu, adieu, adieu…
Liam, Sybille, il y a deux Hawkins dans cette prison. Tenez-vous chaud, et ne me repoussez pas trop brutalement. Le temps que je fasse mes bagages, que je perce mon espoir, que je retourne à ma propre histoire.
Adieu, adieu, adieu…
"C'est un beau nom."

Elle me regarde, me sourit, puis revient à son enfant. Innocentes petites choses. Quelque part, je suis satisfait qu'elle ne s'aperçoive pas du trouble qui me broie depuis une petit moment déjà. Oublie-moi ? Tant mieux, tant mieux, adieu, adieu…
Je pose mes yeux sur le petit. C'est minuscule, et ça a l'air plus tranquille que tout à l'heure. Je me souviens les cris, je me souviens la douleur… Mais au final…!
J'hésite sur la conduite à suivre. Rester encore un peu, disparaître ? Déjà, je me sens de trop. Il est peut-être temps de partir.
Partir…


Quoi ?
Non. Attends. T'as dit quoi, là ? Non. Me regarde pas avec ces yeux-là. Tu verrais ma gueule d'ahuri, ma respiration trop rapide, mes doigts crispés dans le vide. Non… T'imagine même pas à quel point j'ai déjà dû lutter contre ce film-là… Peut-être que je fais un rêve, en fait. Ce serait con. Mais j'voudrais pas m'en réveiller. Ma lèvre inférieure tremble légèrement, je veux parler. Héhé. Bah vas-y, tente toujours.

"Haw…Hawkins-Viatschesl…"
Chêh. Depuis quand je butte sur mon propre nom, moi ? Hmm… Mais c'est pas exactement ça. J'ai pas pu finir ce nom là. Voir apposé le sien et…et le mien… C'est trop étrange. Paradoxal. Bâtard, presque. Pas du fait de la double origine qu'il précise, non, pas du tout. Plutôt de la différence qu'il y a entre elle et moi. Dans un nom, il y a la personne, il y a son passé –celui qu'elle s'est forgé- alors quoi ? C'est plus fort que moi : je peux pas assumer de voir de flingue posé sur un lit de plumes. Même si la joie est là. Peut-être que c'est les plumes qui couvrent l'arme, en fait. Qui sait. Mais je ne veux pas prendre de risques. Je ne joue plus à ce jeu là. Même si le sevrage va faire mal… longtemps.
"Tu… tu peux pas vouloir quelque chose de pareil…"
Bien sûr que si. Et moi, j'en crève tellement je le voudrais. Mais il y a le passé, il y a les déceptions. Tout ça, toutes ces choses qui nous prennent, nous tuent, nous piétinent. Tu vois, hein ? Non ? Tant mieux, tant mieux… Adieu, adieu.

Je déporte imperceptiblement mon poids sur mes talons. Latence. Il faut que je m'en arrache… Coupe le fil, ne la laisse pas faire cette connerie… Avec toi, tout finirait mal. Pars.
Pars.
Je lui tourne le dos, et l'instant d'après, je ne suis plus là.

***


Ma chambre.
Essoufflé par ma course –oui, j'ai cavalé… et alors ?- je m'assieds par terre, dos à la porte. La pièce est silencieuse, par contraste à ce qui s'y passa tantôt. Mes doigts caressent vaguement le sol froid. Puis je comprends que ce vide m'oppresse. Je me lève, enfile ce qui me tombe sous la main. Un pantalon noir d'uniforme, un T-shirt gris avec lequel je bataille pendant un moment, connement, un caban sombre, qui me tombe un peu au dessus des genoux.
Je sors.
Peu importe le chemin que j'ai pris. Mes pas m'y guident mécaniquement : la cour.

Le ciel est noir, le sol est blanc.
Il neige.
Il est trop tôt pour que quelqu'un ait déjà violé de ses pas cette surface neigeuse. Je m'en charge. C'est drôle. La façon dont le blanc recouvre le gris sale de la prison. Le fait disparaître. Pour une nuit au moins, la neige couvre la laideur de cet endroit le fait oublier. Et si je m'y allongeais, est-ce qu'elle parviendrait à me faire oublier moi à moi-même ? Le froid engourdit le corps. Alors pourquoi pas l'esprit ? Je trébuche, tombe à genoux. Je me rends compte que mes pieds sont nus, enfoncés dans la neige. Je lève les yeux au ciel.
Mais qu'est-ce que je suis en train de foutre ?
Des deux points, je frappe en vain le sol, et demeure prostré dans cette position, les avants bras tout humides de l'eau infiltrée dans les manches de mon manteau. Mon visage est si proche du sol que je peux voir quelques unes de mes mèches noires reposer sur le blancheur de la neige.
"Est-ce qu'elle se rend seulement compte…"
Mes doigts s'enfoncent dans la substance gelée, durcie par la froidure de la nuit.
"Pourquoi est-ce qu'elle fait ça… Elle me doit rien… Rien…
Encore un instant, et je m'allonge tout à fait, sur le côté, les bras croisés sur ma poitrine. La neige continue de tomber. J'en suis presque heureux. C'est le seul temps qui m'ait jamais plu : la neige. Endors-moi… Je ferme les yeux.
"Merde."

Ce que je m'étais dit, c'est qu'elles étaient toutes pareilles. Les femmes, je veux dire. Pour pas avoir à assumer que la dernière fois, je n'avais été qu'un pauvre débile. Et maintenant, c'est un scénario étrangement familier qui revient à moi. D'abord, il y eut la Femme. Puis il y eut l'Homme. Cela était bon. Survint alors l'Enfant. L'Espoir vint aussi, mais Pandore l'étrangla, et le dévora. La Femme prit l'Enfant, délaissa l'Homme. A la fin de toute chose, Pandore sourit et découvrit au monde ses dents pointues. Fin d' l'histoire. Oprea… Tu vois ? Tu vois ce que tu m'as fait ? Tu es morte, toi. Mais ton histoire… ou plutôt la mienne… j'ai peur que ça revienne. C'est tout. Alors… Avant d'être abandonné à nouveau, mieux vaut partir, non ?
…Non ?

Je me relève un peu péniblement. La neige tombe toujours. Je ne sens plus mes pieds, et j'ai froid aux mains. J'enfonce ces dernières dans mes poches, les yeux fixés sur un arbre de la cour. Je cille, fronce les sourcils lorsque mes doigts rencontrent le coin d'une… d'une photo. Je l'extirpe, la place devant mes yeux, entre l'arbre et moi.
Helies…
Alors c'est ça, ton héritage ? Toi, un mec que j'ai jamais vu, jamais connu… Tu dois bien te foutre de ma gueule, maintenant. Non ? Je te demanderai pas pourquoi t'as laissé Petite Plume en arrière. Même si je pourrais t'en vouloir un peu. Non pas de m'avoir refilé la responsabilité de ton fils, mais plutôt de l'avoir fait pleurer, elle. Mais je te connais pas, j'te l'ai déjà dit. C'est ta fille, près de toi ? Tu l'as laissée, elle aussi ? J'espère que quelqu'un l'a récupérée pour toi… Sa mère ? A moins qu'elles ne soient mortes…
J'abaisse la photographie, la tiens au bout d'un bras pendant, fixant pour je ne sais quelle raison ce foutu même arbre.
Alec… Que m'avait-il dit ? La donner soit à Sybille, soit à son enfant… Liam (étrange de l'appeler par un nom, désormais). Je ne sais pas ce qu'il aurait préféré…
Tss. Pourquoi je m'inquiète des états d'âme d'un détenu ?
… Encore à faire mon emmerdeur. C'est juste que ça a l'air important. Autant pas faire de trop grosses conneries.

Avec tout ça, pauvre débile, tu te décide à aller la retrouver ?
… Conscience de merde. J'aurai beau me traîner dans la neige comme un cloporte congelé, ça n'excusera rien. D'autant plus que je n'ai rien expliqué à Petite Plume… En fait, je crois que je ne lui ai pratiquement rien dit de ma propre histoire.
Etrangement, je commence à avoir envie de le faire. Singulier. Envie de ne plus être seul. D'autant plus qu'elle a du croire que je m'enfuyais… ce qui n'était pas si faux, en fait.
Bon.
Retour à la réalité ?


***


"J'aimerais t'expliquer… Mais ce n'est pas le jour."

J'ai ôté ma veste, rejeté mes cheveux trempés dans mon dos, et c'est assis d'une chaise en plastique orange que je souris comme un idiot à Sybille. Je veux lui faire comprendre que je suis heureux, que je suis soulagé. Et que je lui suis reconnaissant de ce qu'elle a désiré faire. Mais, pour moi, exprimer toutes ces choses en paroles… c'est pas gagné. Mon regard glisse pour la énième fois sur le visage de Liam, émerveillé comme un gosse… ou comme un père.

"Il est beau."

J'avoue que j'aimerais le toucher. Mais j'ai peur. Peur de le briser. Alors pour le moment, je ne bouge pas. Sauf pour sortir le don d'Alec de la poche du manteau déposé derrière moi. Je la glisse entre ses doigts.

"Tu dois savoir qui m'as donné ceci. Il m'a dit qu'il voulait que ton enfant… notre enfant…" j'articule difficilement, hésitant encore, craignant une dernière blessure, me trouble, mais finis par reprendre "…sache qui était son père. Un héritage.

Je glisse les mains sur ma nuque, détache un des nombreux liens porteurs de mes habituelles amulettes. Je recueille dans ma paume la petite plaque d'or. Ce n'est pas quelque chose de véritablement beau visuellement. Mais c'est ce que j'ai jamais eu de plus précieux. Elle me vient de Mihai. Celui-là même qui m'avait fait mon tatouage, et était mort le lendemain, sur le terrain. Mon meilleur ami. Je la porte depuis si longtemps que l'inscription en est à la limite du lisible. On peut toutefois discerner l'unique mot : "Mereu". J'avais offert la même à Mihai. Il doit encore la porter, dans sa tombe. J'explique cette histoire à Sybille, et ajoute :
"Pour Liam. Comme ça il saura aussi qui est son second père… Cela veut dire << toujours >> ."
J'ose enfin étendre la main pour effleurer les doigts du petit. Je souris lorsqu'il s'agite un peu. Je perçois comme une petite douleur, tout au fond de moi. Une autre scène, assez similaire, mais toutefois différente, passée. Ma main vient caresser la joue de Sybille.

"Et c'est bon pour toi aussi."
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MessageSujet: Re: Une nouvelle vie   Une nouvelle vie Icon_minitimeLun 7 Juil - 6:55

Ai-je fait une erreur ?
C’est la question que je me pose, en ce moment même. Il aurait du être heureux, ému, me sourire, lui sourire, avoir les yeux brillants… Là, j’ai l’impression que c’est tout le contraire. Son regard, perdu, consterné, son air stupéfait, incompréhensif… J’ai même presque le sentiment qu’il va… pleurer ?
Mais pourquoi ?
Un air de détresse se peint dans mon regard émeraude. Pourquoi ? Je t’en supplie, réagis. Ris, souris, cries… N’importe quoi… Mais ne reste pas là à me regarder, sans rien dire, comme si je venais de prononcer un blasphème. En est-ce un ? Qui a-t-il de sacrilège à vouloir que cet enfant porte nos deux noms ? Si il ne l’est pas le sang, il l’est par la loi, et il l’est de par les sentiments, de par le passé. Il s’est battu pour que ce bébé vienne au monde. Ludwig m’a abandonnée, et lui avec. Il ignorait même qu’il allait être père… Y aurait-il quelconque justice à éclipser Tobias de la vie de mon fils ? Aucune. Ce que j’ai dit, là, je le veux. Réellement.
Alors je t’en supplie…
Ne t’en vas pas…

Ma tête vient se nicher là, contre le corps de Liam. Ma main, elle, caresse avec milles douceurs sa tête, si douce, si fragile. Une larme roule sur ma joue.
Il est parti. Au moment où j’avais le plus besoin de lui. J’étais heureuse, et je le suis toujours. Rien ne parviendra à entraver le bonheur que j’éprouve en ce moment, depuis que j’ai donné la vie. Simplement… Je regrette. Aurais-je du me taire, faire comme si de rien était ? Non. Je suis désolée, mais c’est ainsi.
Je redresse la tête, plante mon regard quelque part, là, dans le mur. Mon index se glisse entre les doigts de Liam, qui les resserre autour de ce dernier, tandis que je lui caresse doucement la paume, en lui murmurant quelques mots tendres.
A quoi s’attendait-il ? Dis-moi Tobias, à quoi t’attendais-tu ?! Tu t’es battu pour cet enfant, tu as tué pour lui, pour moi. Croyais-tu vraiment que j’allais t’oublier, t’éclipser, te laisser de côté, maintenant qu’il est là ? As-tu… peur ? Peur de ce que ce nom engage ?
Hawkins-Viatscheslav… Un mélange de moi, et un mélange de lui. Normalement, les enfants portent le nom de leurs deux parents lorsque ceux-ci ne sont pas mariés, mais s’aiment, et veulent bâtir une vie de couple, une vie de famille. Un enfant porte le nom de ses deux parents lorsqu’il est lié à tous les deux par le sang. Là, ce n’est nullement le cas…
Est-ce ça que tu voulais… ?
Mon visage se crispe, quelques instants, et je cille doucement, avant de porter brusquement mon regard sur mon fils, blottit contre moi, qui commence à pleurer. Mon cœur se serre, l’espace d’une seconde, au son de ces bruits que sont les pleurs d’un enfant. Immédiatement, je commence à le bercer, tout doucement, en chantonnant à mi-voix. Malgré cela, un air inquiet persiste sur mon visage : il ne se calme pas. Qu’a-t-il donc ?

Sans doute alarmée par le bruit, Mélodie arrive soudainement, et se penche vers mon fils et moi.

- Il doit avoir faim je pense… Murmure-t-elle, à moitié pour elle-même.

Je demeure immobile, une seconde. Le temps que l’information se fraye un chemin dans mon esprit. Faim ? Oui, faim idiote. En gros, c’est à toi de jouer, fais donc ton travail de mère ! Si tu crois vraiment qu’ils ont du lait et des biberons ici, et tout ce genre de matériel pour s’occuper d’un bébé…
Je jette un regard à mon infirmière, elle me sourit, et m’aide à tenir Liam le temps que je déboutonne légèrement ma chemise, avant de me le tendre à nouveau et de me le déposer délicatement dans les bras.

- Prenez-le comme ça –elle joint le geste à la parole-. Son cou sur votre bras, voilà, comme ça. Tenez-le par en dessous de l’autre main, -j’esquisse maladroitement un geste, elle me corrige, me sourie- oui, comme ça, et maintenant, approchez-le de votre sein.

Je m’exécute, et laisse échapper une petite exclamation de rire en sentant son souffle chaud, pressé contre ma peau, en voyant ses mains s’agiter dans le vide, avant d’écarquiller légèrement les yeux et de grimacer.

- Eh… Doucement toi… Que je lui souffle tendrement à l’oreille, caressant sa joue du bout du doigt, un sourire béat rivé aux lèvres. Mélodie sourit à son tour, et tandis que j’allaite mon fils, elle prend place sur la chaise à côté de moi, et entame une discussion sur les prochains jours à suivre, mon comportement à adopter, ce qui va se passer, ce que je devrai faire…
J’hoche la tête, attentivement, l’écoutant sans piper mot, posant une question, de temps à autre. Je sais que je devrai rester à l’infirmerie pendant quelques temps encore, et sûrement plus longtemps que si j’avais accouché à la maternité. Une prison, c’est froid, c’est dangereux, c’est hostile. Un bébé, c’est petit, c’est délicat, et surtout extrêmement fragile. Alors, un bébé dans une prison… c’est tout simplement insensé et paradoxal. Mais je crois que je ne suis plus à un illogisme près…

- Comment savez-vous tout cela ? Demande-je finalement, étonnée.

Un maigre sourire, que je devine amer, se peint sur le visage de « mon » infirmière. Glissant sa main dans ses cheveux bruns, elle pose son regard sur Liam, l’espace d’un instant, avant de joindre ses mains et d’observer le mur, comme perdue, triste…

- J’ai été élève sage-femme autrefois. M’explique-t-elle calmement. Mais par une suite d’évènements, j’ai été contrainte de rejoindre les rangs des infirmières. Et me voilà, à présent. Sourit-elle.

Elle marque une pause, songeuse, tandis que je n’ose l’interrompre. Puis, à nouveau, ses yeux se posent sur mon bébé, dont elle caresse tout doucement les cheveux :

- Et j’ai été mère également. J’ai eu un fils, autrefois…

Je sens ma gorge se nouer. Je n’ose relever cet emploi du passé, et je préfère ne pas le faire. Je n’ose non plus imaginer ce qui a pu se passer. Si je venais à perdre mon fils… Je pense que je n’y survivrais pas. Rien que d’y penser, mon cœur se serre. J’en ai les larmes aux yeux. Instinctivement, je resserre mon étreinte sur Liam, ne serait-ce que pour sentir la chaleur de sa peau, son cœur battre, là, contre ma poitrine.
Jamais je ne te laisserai, tu m’entends… ?

Mon regard se perd dans les grands yeux noisette de Mélodie. Elle me sourit doucement, et serre délicatement mon bras, quelques fractions de secondes.

- Prenez-en soin Mademoiselle, et prenez soin de vous également. Je pense que personne ne réalisera jamais vraiment à quel point un bébé est un cadeau merveilleux…

Puis, sans un mot de plus, elle se lève et tourne les talons avant de s’en aller, m’adressant un dernier sourire. Moi, je reste là –que puis-je faire d’autre de toutes manières ?- adossée contre mon oreiller, mon bébé au sein. Perplexe, mais heureuse. J’ai peur également. Peur de ne pas être à la hauteur, peur de ce qui peut arriver, lui arriver, nous arriver. Nous ne sommes jamais à l’abri de rien, en particulier ici. A présent qu’il n’est plus en moi, je ne peux plus aussi bien le protéger qu’avant. Et il suffirait d’un instant d’inattention… Je frissonne, et caresse tendrement le bras de Liam de ma main tenant son épaule. Si petit, et si fragile…

La porte s’ouvre subitement. Elle grince légèrement avant de pivoter sur ses gonds, laissant entre une silhouette qui ne m’est que trop familière. Mon cœur fait un bond dans sa poitrine et je me redresse subitement, peut-être un peu trop pour Liam qui se met à protester à sa manière, avant de se remettre à téter. Je soupire, un doux sourire aux lèvres, avant de reporter mon regard sur Tobias. Il s’installe sans un mot sur la chaise où Mélodie s’était auparavant assise, avant d’ôter sa veste noire. Ses cheveux ont l’air humides, ses mains et ses joues sont rougies. Quelques flocons de neiges demeurent encore quelques ultimes secondes avant de fondre sur son caban. Qu’est-il allé faire dehors ? Il fait nuit, il neige. Rien à voir, rien à faire… Je ne comprends pas. D’ailleurs, le regard interrogatif que je lui lance doit clairement exprimer mon incompréhension. Il l’essuie d’une simple parole, d’un simple sourire.
Je lui souris en retour, plus heureuse que jamais.
Il est revenu.

Je ne vais pas chercher à comprendre, ni à savoir pourquoi. Je suis trop fatiguée pour discuter, et je n’ai aucune envie de le forcer et de me brouiller avec lui. Pas maintenant, pas maintenant, alors que je suis tout simplement sereine, pour l’une des rares fois de ma vie.
Il est revenu. Et il me sourit, me regarde. Il a l’air heureux, ravi. Etait-ce le choc, l’émotion qui l’a fait partir, avant ? Je pourrais comprendre… L’accouchement, la naissance, le stress, la joie, l’angoisse, et maintenant ça… Etre père, ce n’est pas une tâche aisée. Pas plus que d’être mère.
Je souris à nouveau en voyant son regard caresser mon fils. Notre fils plutôt. Il a l’air réellement subjugué. Et moi je suis attendrie. Attendrie, émue devant ce spectacle. Si j’avais su, quelques mois plus tôt encore… J’aurais ri. C’est tellement… tellement fou…

- Qu’est-ce que c’est… ?

Ma voix tremble légèrement, tandis que je me saisis du carré de papier glacé. Pourquoi est-ce que j’ai posé cette question, puisque je connais déjà la réponse ? Je ne l’ai pas vu sortir cette photo de sa poche, tellement j’étais absorbée par mes pensées et ma contemplation. Sa voix m’a tirée de ma rêverie, et une drôle de sensation m’a parcourue lorsqu’il a prononcé ces mots. « Notre enfant »… Cela me fait tellement étrange de l’entendre dire cela. Mais, au fond de moi, je suis heureuse. Soulagée, aussi. Qu’il accepte tout ceci, et avec joie. J’ai eu peur, j’ai douté quand je l’ai vu partir. Peur qu’il m’abandonne, qu’il fuit ses responsabilités… Maintenant, je sais que tout est possible.
Ne serait-ce qu’à cause de l’éclat qui brille dans ses yeux…

- Où as-tu eu ça ?

Alec. Cela ne peut être que lui. Il l’avait donc gardée, durant tout ce temps ? Moi qui était persuadée qu’il lui avait rendue. Il m’avait promis… Elle était à lui, à lui ! Il n’avait pas le droit… Néanmoins, je suis heureuse de l’avoir. Que Liam l’ait. Qu’il sache, qu’il ait au moins une image, à défaut d’un souvenir… Un cadeau, son seul et unique cadeau, en quelques sortes…
Lentement, mon regard glisse sur cette photographie. Il butte, hésite, puis se pose finalement sur ce visage qui me paraît aujourd’hui à la fois terriblement familier, et pourtant si loin… Une histoire aussi courte que passionnée… et qui m’aura sans doute donné le plus grand des bonheurs. Les larmes brillent dans mes yeux, mais je tiens bon, et je glisse maladroitement le papier dans ma poche, avant de soutenir à nouveau Liam, pour éviter qu’il ne tombe. D’ailleurs, il s’est endormi…
Un sourire attendri illumine mon visage, et je dépose un baiser sur son front. Il bouge légèrement dans son sommeil et je relève la tête, reportant mon attention sur Tobias. Ecoutant attentivement ses paroles. Et, au fil de son récit, je me trouble de plus en plus. Je ne sais pas exactement ce que c’est, cette sensation de malaise, de gêne, d’émotion… Je ne sais que dire. Je ne comprends que trop bien la souffrance ressentie lors de cette mort, et ce que ce geste doit lui coûter. J’ai moi-même perdu ma mère. Sauf que, mis à part un souvenir, des images, il ne m’en reste plus rien…
Je n’ose me saisir de la plaque. Trop de souvenirs, de sentiments dedans. Rien qui ne me concerne. Changeant la position de mes bras pour pouvoir porter mon fils d’une seule main, je me saisis de celle de Tobias de l’autre, et referme doucement ses doigts sur le collier.

- Merci… Murmure-je simplement. Je marque une pause, le regarde dans les yeux, un instant, silencieuse, avant de baisser le regard. Garde-la pour le moment, tu la lui donneras en temps voulu. J’ai peur de la perdre, qu’il ne la brise ou qu’il s’étouffe avec. Précise-je. C’est beaucoup trop précieux, autant à mes yeux qu’aux tiens.

Une larme roule sur ma joue lorsqu’il me répond en retour. Et je ferme les yeux, appuyant doucement ma tête contre sa main qui vient caresser sa joue.
Toujours…
Que veux-tu dire par là Tobias ? Toujours ? Resteras-tu toujours à mes côtés, à nos côtés ? Dis-moi que oui… Puisque je n’ose te poser la question. J’ai peur de te perdre, je ne veux pas te quitter… Sans toi je… je n’aurai plus la force de continuer.
J’ai besoin de toi… Peux-tu comprendre cela… ?

Tout ceci, je m’efforce de le lui transmettre par la seule force de mon regard. Essuyant la perle salée qui s’attarde dans ma peau, je referme maladroitement ma chemise –mes joues rougissent légèrement à l’idée que, pendant tout ce temps, je lui ai parlé en oubliant ma « nudité »-, avant de me redresser et de lui déposer Liam dans les bras, avec milles précautions. Il dort toujours, mais s’agite légèrement dans son sommeil. Me penchant vers lui, j’effleure sa joue du bout des doigts avant de glisser à nouveau mon index dans sa main, l’agitant légèrement, tout en soufflant doucement :

- Dis bonjour à papa…

Je dépose un baiser sur le front de mon fils avant de me redresser, me retrouvant assise sur le bord de mon lit. Mes yeux émeraude sondent la mer grise, et un sourire se dessine sur mes lèvres :

- Je tiens à ce que cet enfant porte nos deux noms. Si je l’ai fait, c’était parce que je le voulais. Il s’agit d’une décision mûrement réfléchie. Simplement parce que si il y a une part de moi dans mon fils… Je marque une pause, embrassant Liam du regard. Il y en a aussi une de toi…

Et ça, tu ne pourras jamais le changer…
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Tobias Viatscheslav
0274 Serenae Aquae Natae
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MessageSujet: Re: Une nouvelle vie   Une nouvelle vie Icon_minitimeDim 27 Juil - 11:30

Je sais pas trop où on va.
Je sais pas non plus comment on va y aller.

Bah.
On verra.


Ma main se glisse sous celle de l'enfant. Son fils. Mon fils. Le notre. J'ai un sourire un peu niais en constatant la différence de taille… et de "teinte". Comme une petite chose blanche entre mes doigts tannés par le Soleil. Une aile d'oisillon dans une griffe de piaf.
La colombe et l'hirondelle.
Mon sourire retombe légèrement, mais la douceur dans mon regard demeure. Je crois… C'est bête, hors-sujet, ce que vous voulez… Mais je suis en train de me demander à ce que ce bout de mioche gigotant deviendra dans dix, vingt ans. Un grand gaillard, blond comme une pâquerette, pâle comme un nuage de printemps ? Je me penche légèrement sur lui, et quelques unes de mes mèches les plus longues s'échappent pour venir caresser le petit bras.
Cheveux noirs.
La colombe et l'hirondelle.
Mon sourire revient. Ce sera une drôle de famille. Je cille. Mais ce sera la nôtre.

A nouveau, je m'écarte, m'asseyant silencieusement sur ma fidèle chaise orange (elle en aura vu, celle-là, aujourd'hui…heh). J'ouvre ma main gauche, et la plaque de métal choit, seulement maintenue en l'air par son lien, enroulé autour de deux de mes doigts. Je la contemple. Mihai. Tu sais que j'ai eu peur, l'ami ? J'ai cru qu'elle refusait. Oui. J'ai bien cru, au début, qu'elle rejetait notre cadeau à tous les deux. Parce que t'es aussi dans l'affaire, mon pote. Tu sais pourquoi ?
Parce que dans cette affaire-là, c'est toute mon histoire que j'engage.
Et à long terme.
Infime ride au coin des yeux.
Je souris.
Et ce sourire-là ne risque pas de me quitter.

Surtout pas après ce que je viens d'entendre. Comment ? Comment faire autrement ? Sybille… Sait-elle au moins ce qu'elle vient de faire, là, direct, l'air de rien ? Attention aux mots… c'est pas ma langue, l'effet est moins direct, moins familier, mais il demeure présent. Rien, juste un terme. Quatre lettres.
Papa.
Hey… On t'a pas appris à prévenir les gens, avant de les bénir ?
J'acquiesce lentement. Amen, amen. Dites-moi : hérétique. Dites-moi : déviant. Dites-moi : infidèle. Parlez-moi de chasteté et d'impureté. D'épées et de vases. De fruit tentateur, de péché originel. De toutes vos conneries de misogynie religieuse. J'en ai rien à foutre.
Une femme me baptise. Et j'adore ça.
Bonjour, Liam, bonjour… Je crois qu'on en a pour un bon bout de temps, à faire le chemin ensemble. Bonjour, Liam, bonjour. Lève la tête. Dis ton nom. Crie tes noms. Nous sommes-là pour toi.
Toi, l'enfant aux trois parents.

"J'ai eu peur que tu te sentes obligée. Redevable... Je voulais pas."

Je penche légèrement le visage sur le côté, replace une mèche derrière mon oreille. Le silence se fait. Liam dort. Le doc et les infirmières se sont tirés. Nous trois, c'est tout.
Nous trois.
Et c'est ce "nous" que je vins enfin de comprendre. D'accepter. Peut-être. Pour une fois, la peur se fait oublier. L'appréhension recule, et je peux regarder cet enfant sans trop m'en vouloir. Le passé. Le passé est mort. Eux aussi.

Un geste.
Je baisse pudiquement les yeux. Sybille se rhabille. Avais-je seulement remarqué que…? Non. Etrange ? Non. Maintenant, tout paraît si…naturel. Mais bon. Voilà… Hey, depuis quand t'es prude, mon vieux ? Ouais mais… Pas pareil. Autre chose.
Bref. Je regarde le sol. Vaguement.
Et j'écoute.

… Une part de moi ?
Je… Je ne sais pas. Est-ce que tu veux vraiment que ce gosse ait quelque chose qui puisse venir de ma pauvre gueule de pyromane veuf en fin de parcours ?… Qu'est-ce que j'ai dit… ? "En fin de parcours"… Ah. Je hausse un sourcil, étire un coin de sourire. Une part de toi, une part de lui, une part de moi. Si tu le dis. Et si je le veux… parce que putain que je le veux… c'est que c'est vrai, nan ?
Je pose mes yeux sur l'enfant.
"Fin de parcours" ?
Non. J'crois pas.
J'crois vraiment pas.

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